Mots Le discours de la caricature politique Hildegard Meister Citer ce document

Mots Le discours de la caricature politique Hildegard Meister Citer ce document / Cite this document : Meister Hildegard. Le discours de la caricature politique. In: Mots, n°34, mars 1993. Europe / Allemagne. Réunifications. pp. 101-106; doi : https://doi.org/10.3406/mots.1993.1778 https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1993_num_34_1_1778 Fichier pdf généré le 30/04/2018 Hildegard MEISTER Le discours de la caricature politique Les experts en publicité sont conscients du problème : la même image n'exprime pas forcément le même message dans les différentes sociétés culturelles. L'image peut être comprise autrement ou pas du tout. Une caricature, qui fait rire une certaine communauté socio-culturelle, ne représente qu'un non-sens pour une autre. Quels sont les mécanismes qui empêchent la compréhension interculturelle dans ce contexte ? Faut-il « traduire » une image ? Occupant une place importante dans notre société, les images (qu'elles soient linguistiques ou iconiques) sont utilisées comme moyens de communication, qui prétendent à « l'éclaircissement » des choses et à une « lecture » rapide. Elément indispensable dans le discours politique, ne renforcent-elles pas en même temps les clichés et le malentendu dans ce domaine ? La présente recherche s'inscrit dans le cadre d'une étude portant sur la sémiologie de la caricature de presse en France et en Allemagne. Nous abordons ici l'aspect des figures dites « rhétoriques », réalisées dans la partie textuelle et dans la partie iconique. Considérons d'abord la caricature de Barbara Henniger (publiée dans Eulenspiegel, hebdomadaire satirique de la ex-RDA, 32, 1990). Cette caricature consiste en un dessin (non colorié) et un seul mot. Elle n'est pas cadrée, mais entourée, sur deux côtés, de plusieurs articles de journal. Le mot, qui se trouve en dessous du dessin, est un mot « fantaisiste », c'est-à-dire qu'il n'existe pas comme tel dans la langue allemande. Il exprime toutefois, en relation avec les éléments iconiques, un message précis émis par la caricaturiste. Il s'agit, d'une part, d'une contrepèterie et de l'autre d'un mot-valise. La contrepèterie est un jeu de mots au sens large qui fait apparaitre un nouvel énoncé par métathèse, c'est-à-dire par déplacement des éléments phoniques (Mounin, 1974 et Larousse, 1973). Le mot de 101 Senior base est ici Zensur (censure). En permutant « z » et « s » il résulte Senzur. Dans un contexte de jeu cette déformation apparaît simplement burlesque. Ici elle est liée en même temps à la création d'un mot-valise. Les deux mots Sense (la faux) et Tjensur sont réduits à un seul mot qui conserve la partie initiale du premier mot et la partie finale du second (Mounin, 1974 ; Larousse, 1973). Cette deuxième figure rhétorique réfère directement au dessin où un personnage tient dans les mains une faux dont la lame est remplacée par un crayon. Les formes semblables du crayon et de la lame (oblong avec un bout pointu) permettent de créer une image-valise (voir Kerbrat-Orecchioni, 1979). Le personnage exhibé, de son côté, n'est pas fantaisiste. Il s'agit d'un portrait (du théologien Sebastian Miinzer) imprimé (jusqu'en octobre 1990) sur le billet de 100 DM. 102 Si l'on prend en considération l'action de Begruungsgeld (un billet de 100 DM était distribué, quelques mois avant, aux Allemands de l'Est en signe de « bienvenue » dans le « paradis » capitaliste), il est fort probable que le portrait est identifiable pour le lecteur- spectateur de la RDA (une question qu'un caricaturiste doit forcément se poser). La position du personnage est celle de « la mort » qui est conventionnellement symbolisée par un squelette portant une faux (voir aussi la caricature de Cabu dans le numéro spécial de Charlie-Hebdo, août 1982). Il s'agit ici d'une imbrication de plusieurs symboles : le billet de 100 DM pour le capitalisme, la faux (synecdoque) pour la mort et le crayon pour la censure et la littérature. La référence à l'actualité repose sur la destruction physique, en juin 1990, d'une grande partie des livres, scolaires et idéologiques, publiés en RDA. La caricature de Cabu (publiée dans Le Canard enchaîné, hebdomadaire satirique français, le 28 mars 1990) apparait, à première vue, très différente de celle de Barbara Henniger. Elle est cadrée et comprend plus d'éléments iconiques et textuels. L'EUROPE À MARCHE FORCÉE « Chaque Etat fait la politique de ша géographie » (Napoléon) : le pont d'Herr Kohi Le caricaturiste utilise pourtant des moyens similaires à l'égard des figures rhétoriques. A côté de l'énoncé « L'Europe à marche forcée », qui sort du langage militaire, on trouve plusieurs inscriptions à l'intérieur du dessin : une déformation de la devise de la Révolution française « liberté, inégalité, fraternité » et une allusion à la phrase célèbre de De Gaulle sur l'Europe « de l'Atlantique 103 jusqu'à l'Oural ». La partie inférieure du texte représente une citation célèbre de Napoléon Bonaparte liée à un jeu de mot. Celui-ci est un à-peu-près (ou paronomase) et consiste à rapprocher deux paronymes, c'est-à-dire des mots (ou suite de mots) semblables par la forme, mais tout à fait différents par le sens (Mounin, 1974 et Larousse, 1973). L'énoncé « le pont d'Herr Kohi » et l'énoncé sous- jacent « le pont d'Arcole » (combat entre l'armée de Napoléon Bonaparte et l'armée autrichienne, près du village Arcole en 1796, qui marque le début des guerres napoléennes) représentent une « homonymie approximative » (Lessard, 1991), renforcée par la prononciation française des deux noms propres (« h » et « e » final non prononcés, « о » ouvert). Le jeu de mots est d'autant plus facile à décoder qu'il est lié à la citation dont l'auteur est indiqué. L' à-peu-près réapparait dans la partie iconique, non pas comme illustration du jeu verbal (ce qui serait même impossible), mais comme un vrai jeu d'images qui rapproche des icônes d'une ressemblance de forme et de fonction. Le chancelier allemand Kohi, dont les traits exagérés sont « grand, gros et lourd », est rapproché à la forme d'un pont solide en remplissant les fonctions de celui- ci. Le président français Mitterrand est « transvesti » en Napoléon, indiqué par le célèbre bicorne (objet-signe) et la petite taille. Portant le vêtement de général et battant le tambour en avance victorieuse, il prend les fonctions et les connotations liées à l'empereur à l'égard de sa politique européenne. (N'empêche qu'il est suivi d'une « armée », hommes politiques contemporains en France, qui apparait peu combative.) Le combat lui-même est métaphorisé par l'image de la corrida, où le (Gorbatchev-) taureau, affaibli par des banderilles (les pays baltes Lettonie et Lituanie) a peu de chance de survivre. Dans la caricature de presse les figures dites « rhétoriques », comme les jeux de mots fondamentaux (Г à-peu-près, le calembour, l'équivoque), le jeu de mots au sens large (la contrepèterie, le mot- valise) et la métaphore ne sont pas réservés à la partie textuelle. Ils apparaissent, seuls ou en combinaison avec le texte, dans la partie iconique, jamais comme simple illustration, mais comme « figures iconiques » qui jouent avec les formes, fonctions et les caractéristiques des personnages, animaux et objets. Les connaissances politiques et surtout socio-culturelles du lecteur- spectateur jouent un rôle essentiel dans la compréhension de la caricature de presse. Le caricaturiste, à son tour, ne choisit pas d'images ou de références historiques qu'il considère non identifiables pour une grande partie de ses lecteurs. Alors que la bataille 104 de Napoléon près d'Arcole appartient aux connaissances historiques générales de la société française, le jeu de mots « Herr Kohi »/ « Arcole » ne serait pas reconnu par la majorité des Allemands. En revanche, un billet de banque allemand est, même modifié, facilement identifiable pour les Allemands, alors qu'il est étranger aux Français. La reconnaissance repose sur le plan de la perception. Les perceptions, faites dans des conditions socio-culturelles spécifiques, forment une expérience qui, à son tour, manipule la perception d'une nouvelle image arrivée (par exemple, le portrait de la caricature allemande est parfois identifié comme Luther, personnage connu en France). D'autre part, la caricature politique utilise, indépendamment du milieu socio-culturel, des moyens similaires, comme le jeu de mots, le portrait (charge), Г objet-signe, etc., pour transmettre le message. Contrairement au dessin humoristique, l'effet comique, bien que fréquent, ne fait pas partie des éléments constitutifs de la caricature politique. En revanche, la référence à l'actualité et l'effet de distanciation (pris au sens de B. Brecht) sont indispensables (Schneider, 1988). Le dernier repose sur la juxtaposition de deux ou plusieurs éléments, verbaux et/ou iconiques, en rapport de contrariété/ contradiction. Par cette démarche, le caricaturiste crée son message en imposant au lecteur de déchiffrer les éléments de base. 105 Bibliographie Dictionnaire de la linguistique, sous la direction de Georges Mounin, 1ère édition, Paris, 1974. Dictionnaire de linguistique, par J. Dubois, M. Giacomo, et al., Paris, Librairie Larousse, 1973. GOMBRICH Ernst H., Caricature, Harmondsworth, King Penguin, 1 940 ; Kunst, Wahrnehmung, Wirklichkeit, s.n., Francfort, 1977 ; « Das Experiment der Karikatur », Kunst und Illusion, Zurich, 1978, p. 363-392. KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, «L'image dans l'image», Revue d'esthétique, 1-2, 1979, p. 193-233. LESSARD Denys, « Calembours et dessins d'humour », Semiotica, Berlin, vol. 85, 1-2, 1991, p. 73-89. uploads/Politique/ le-discours-de-la-caricature-politique-hildegard-meister.pdf

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