Sous la direction d’Anna Stellinger, avec la collaboration de Raphaël Wintreber
Sous la direction d’Anna Stellinger, avec la collaboration de Raphaël Wintrebert Préface par François de Singly -&4+&6/&44&4'"$& «-&63"7&/*3 6OFFORVpUFJOUFSOBUJPOBMF 4PVTMBEJSFDUJPOEµ"OOB4UFMMJOHFS BWFDMBDPMMBCPSBUJPOEF3BQIBqM8JOUSFCFSU 1SnGBDFQBS'SBOmPJTEF4JOHMZ 'POEBUJPOQPVSMµJOOPWBUJPOQPMJUJRVF &ORVpUFSnBMJTnFQBS,BJSPT'VUVSF GPOEBUJPOQPVSMµJOOPWBUJPOQPMJUJRVF SVFEFMµ6OJWFSTJUn]1BSJT°'SBODF 5nM ]'BY &NBJMDPOUBDU!GPOEBQPMPSH]4JUF*OUFSOFUXXXGPOEBQPMPSH 2008 – ISBN 978-2-9529612-7-1 TPNNBJSF QSnGBDFMFTKFVOFTTFTEVNPOEFNPEFSOF 'SBOmPJTEF4JOHMZ Q JOUSPEVDUJPO "OOB4UFMMJOHFS 3BQIBqM8JOUSFCFSU Q QBSUJFJBOBMZTFTUSBOTWFSTBMFT -FTKFVOFTFUMBTPDJnUnEFTWJTJPOTDPOUSBTUnFTEFMµBWFOJS 0MJWJFS(BMMBOE Q -FTKFVOFTFUMFUSBWBJMEFTBTQJSBUJPOTGPSUFTEBOTEFTNPEoMFTTPDJnUBVYEJGGnSFOUT %PNJOJRVFcQJQIBOF &NNBOVFM4VM[FS Q -FTKFVOFTFUMBGBNJMMFDPNQSFOESFMFTMJFOTFOUSFTUSVDUVSFGBNJMJBMFFUSnVTTJUFJOEJWJEVFMMF 7JODFO[P$JDDIFMJ Q QBSUJFJJnDMBJSBHFTOBUJPOBVY 6OFTPDJnUnCMPRVnF NBJTEFTKFVOFT*UBMJFOTRVJOFTPOUQBTSnTJHOnT -PSFEBOB4DJPMMB Q %FTKFVOFT'SBOmBJTJTPMnTFUQFTTJNJTUFTGBDFhVOFQSJTFFODIBSHFQVCMJRVFMJNJUnF 1BUSJDJB-PODMFQ -FTKFVOFTTFTFO"MMFNBHOFDPOUFNQPSBJOFFOUSFDPO¾BODFQPMJUJRVFFUDMJWBHFTTPDJBVY .POJLB4BM[CSVOOQ -FQFTTJNJTNFFUMµJTPMFNFOUEFTKFVOFT#SJUBOOJRVFT "OEZ'VSMPOH 'SFE$BSUNFMQ -FTKFVOFTFO4VoEFMFQFTTJNJTNFFTUJMEFSSJoSFOPVT .BUT5SPOENBOQ -µPQUJNJTNFEFTKFVOFT"NnSJDBJOT &NJMZ&.FTTFSTNJUI +FSBME(#BDINBO +PIO&4DIVMFOCFSHQ DPODMVTJPORVFMQSPKFUQPMJUJRVFQPVSMBKFVOFTTF "OOB4UFMMJOHFS 3BQIBqM8JOUSFCFSU Q BOOFYFT .nUIPEPMPHJFQ -FTBVUFVST Q QSnGBDF MFTKFVOFTTFTEVNPOEFNPEFSOF 'SBOmPJTEF4JOHMZ QSPGFTTFVSEFTPDJPMPHJFhMµVOJWFSTJUn1BSJT%FTDBSUFT EJSFDUFVSEV$&3-*4 VOJWFSTJUn1BSJT%FTDBSUFT$/34 La comparaison internationale proposée par la Fondation pour l’innovation politique permet de jouer au jeu des ressemblances et des différences entre les jeunesses de dix-sept nations. Pour ne pas se contenter de décrire seulement ce qui sépare ou rassemble les unes et les autres, il faut disposer d’un modèle de référence qui permette de déterminer si OHVGLIIpUHQFHVREVHUYpHVVRQWVLJQLÀFDWLYHV'DQVXQWH[WHFpOqEUH3LHUUH%RXUGLHXDIÀU- mait que « la jeunesse n’est qu’un mot », étant donné que les différences sociales étaient trop importantes pour conserver l’idée de l’existence d’un tel groupe d’âge (Bourdieu, 1984). Pour ce sociologue, le modèle de référence est celui de la domination sociale et des inégalités sociales et culturelles. Ici, nous adopterons un autre cadre d’interprétation. Nous chercherons à savoir comment les jeunes se conforment à l’injonction sociale de devenir soi-même. En effet, le processus central des sociétés modernes est, selon Ulrich %HFNO·LQGLYLGXDOLVDWLRQ %HFN /·LQGLYLGXGRLWLGpDOHPHQWSDUYHQLUjVHGpÀQLUSDU lui-même, à ne plus dépendre avant tout de ses appartenances héritées. Ce programme découle de la philosophie des Lumières valorisant l’homme indépendant et autonome (Kant, 1784). Cela présuppose que chacun se donne ses propres règles, refusant de se plier à des ordres venus d’autorités supérieures. Progressivement, ce programme a été appliqué dans les sociétés occidentales. Un des indicateurs de sa diffusion est la transformation de l’éducation et du rapport entre les générations. Le père, symbole de l’autorité légitime, va perdre de son pouvoir. Une enquête américaine démontre le déclin de la valeur «obéissance» et la montée des valeurs de l’indépendance et de l’autonomie tout le long du XXe siècle (Alwin, 1988). Les parents insistent de moins en moins pour que leurs enfants se conforment à des principes exté- rieurs; ils cherchent de plus en plus à respecter la nature originale de chacun de leurs enfants. Ils suivent les prescriptions des éducations dites «nouvelles». Les règles ne dis- paraissent pas, mais elles changent de régime : d’extérieures, elles deviennent intérieures VHORQODGpÀQLWLRQPrPHGHO·DXWRQRPLH Contrairement à des visions erronées, l’année 1968 ne marque pas une rupture histo- rique. Elle constitue plutôt une accélération d’un mouvement amorcé antérieurement. Les jeunes revendiquent clairement leur refus de l’autorité au sein de la famille et de l’école. Après une période d’excès, on aboutit à une situation dans laquelle l’obéissance se main- tient, mais en étant en tension avec d’autres exigences : celles d’un enfant qui doit dès son plus jeune âge avoir une certaine expression personnelle, le droit de dire ce qu’il ressent, ce qu’il pense être bien pour lui. -&4+&6/&44&4'"$&«-&63"7&/*36/&&/26Æ5&*/5&3/"5*0/"-& Ce mouvement est d’autant plus nécessaire que l’évolution du monde, avec la mon- dialisation, n’est possible que si les individus sur le marché du travail sont capables de plus de mobilité, et aussi de plus d’innovation. Cette demande permanente d’invention au XIXe siècle est reprise par le capitalisme, qui exige de plus en plus aujourd’hui des salariés autonomes, mobiles, créatifs (Boltanski, Chiapello, 1999). EFTKFVOFTQMVTPVNPJOTBVUPOPNFT La jeunesse n’échappe pas à ce mouvement général de valorisation de l’indépendance et de l’autonomie. C’est ce que montre cette très belle enquête de la Fondation pour l’in- novation politique, réalisée en partenariat avec l’institut Kairos Future. En effet, une ques- tion posée aux jeunes âgés de 16 à 29 ans sur les qualités importantes à développer chez l’enfant permet d’appréhender les variations nationales. On ne considère ci-dessous que les qualités d’obéissance et d’indépendance (le terme «autonomie» n’était pas proposé), et on construit un indicateur qui est le rapport entre la valeur «indépendance» et la valeur ©REpLVVDQFHª8QUDSSRUWQpJDWLIVLJQLÀHTXHO·REpLVVDQFHSULPH XQUDSSRUWSRVLWLITXH l’indépendance domine (voir tableau 1). La valorisation de l’obéissance varie fortement – dans le sous-ensemble des pays considérés, elle passe de 19% à 65% –, tout comme celle de l’indépendance – de 46% à 84%. Tableau 1 : les qualités à développer chez l’enfant *OEnQFOEBODF 0CnJTTBODF 3BQQPSUJOEnQFOEBODF PCnJTTBODF 'SBODF &TQBHOF cUBUT6OJT 3PZBVNF6OJ "MMFNBHOF 4VoEF %BOFNBSL +BQPO $IJOF Lecture : Le rapport entre indépendance et obéissance est inférieur à 1 si l’obéissance prime, et supérieur à 1 si l’indépendance domine. Les pourcentages correspondent aux réponses des jeunes de 16-29 ans qui considèrent comme très importante (réponses 6-7 sur une échelle de 1 à 7) l’indépen- dance et l’obéissance dans une liste des qualités qui doivent être encouragées chez les enfants. Il est possible de considérer cet indice (rapport indépendance/obéissance) comme un indicateur, pour chaque pays, de l’adhésion au processus de l’individualisation. On constate une grande hétérogénéité à l’intérieur de l’Europe, d’une part, et entre certains 1SnGBDFMFTKFVOFTTFTEVNPOEFNPEFSOF pays européens et des nations comme le Japon et la Chine, d’autre part. Le clivage au sein GHO·(XURSHVpSDUHOHVSD\VGX1RUGQRWDPPHQWOH'DQHPDUNOD6XqGHHWO·$OOHPDJQH et les pays du Sud, tels que la France et l’Espagne. La France est même le seul pays où le rapport entre l’indépendance et l’obéissance est négatif. Les jeunes Français sont plus nombreux à estimer que l’obéissance est très importante, comparativement à l’indépen- dance. Pour les personnes âgées de 30 à 50 ans, les mêmes différences sont observées, et la France obtient là encore le seul rapport négatif. En regardant de plus près, on se rend compte que la France présente le plus faible score pour l’indépendance comme qualité à développer chez l’enfant, et qu’aux États- Unis elle est pensée comme compatible avec l’obéissance, l’enfant étant soumis à une double réglementation. Ce résultat observé en France peut surprendre, car ce pays a connu en 1968 une révolte nettement antiautoritaire des jeunes. Malgré l’importance de ce moment, l’inversion de valeur ne s’est pas produite de manière durable. Contrairement à une représentation répandue par des politiques, des intellectuels, des médias, les excès de l’individualisme antiautoritaire ne caractérisent pas la France. Il est vrai que les jeunes Français ont obtenu une certaine libération, en obtenant le droit à une vie sexuelle en dehors du mariage et de la vie conjugale, en ayant la possibilité d’accéder à des mondes parallèles grâce d’abord DX[UDGLRVOLEUHVHWHQVXLWH©MHXQHVª0DLVFHODQ·DSDVVXIÀjPRGLÀHUDXVVLIRUWHPHQW qu’ailleurs l’éducation, familiale et scolaire, de la jeunesse, à créer les conditions pour que les jeunes puissent devenir maîtres de leur existence. L’enfant, le jeune, n’est pas roi, même de sa vie. Il n’exerce le pouvoir que sur ses vêtements, sa musique, mais son avenir scolaire ne lui appartient pas. Entrer dans de bonnes conditions sur le marché du travail est indispensable pour que O·DXWRQRPLHVRLWDVVRFLpHjXQHYpULWDEOHLQGpSHQGDQFH/HVGLIÀFXOWpVUHQFRQWUpHVSDUOHV jeunes Français dans ce domaine témoignent aussi d’une stratégie, consciente ou non, des générations d’adultes pour les maintenir dans une interminable jeunesse. Les jeunes Français peuvent s’amuser, faire la fête, à condition de ne pas réclamer avec trop de force leur place sur le marché du travail. Ils ont le droit à une vie sexuelle hors mariage : ils désapprou- vent plus que les jeunes Suédois, Américains, Chinois, par exemple, le fait que les relations sexuelles soient autorisées seulement à l’intérieur du mariage. Ils n’ont le droit à la libre expression d’eux-mêmes que dans des territoires limités, et pour les temps dits libres. -BQMBDFEFMBGBNJMMF Au moment de la jeunesse, le processus d’individualisation consiste à pouvoir prendre seul des décisions qui concernent sa vie. Cette indépendance et cette autonomie n’impli- quent pas que la famille soit rejetée. L’individualisme est compatible avec les liens sociaux, à condition que ceux-ci ne soient pas trop inégaux entre les générations (voir tableau 2, ci-dessous). C’est ainsi que dans les pays où l’enfant et le jeune sont encouragés à avoir plus d’autonomie et d’indépendance, la famille n’est pas pour autant moins appréciée, bien au contraire. Les plus forts scores de satisfaction à l’égard de la famille sont observés HQ6XqGHHWDX'DQHPDUN -&4+&6/&44&4'"$&«-&63"7&/*36/&&/26Æ5&*/5&3/"5*0/"-& Tableau 2 : les jeunes et la famille -BGBNJMMF GBDUFVS EFMµJEFOUJUnJOEJWJEVFMMF -BGBNJMMF GPOEFNFOU EFMBTPDJnUn 4BUJTGBDUJPOhMµnHBSE EFMBGBNJMMF %BOFNBSL 4VoEF &TQBHOF $IJOF cUBUT6OJT 'SBODF "MMFNBHOF +BQPO Lecture : réponses 6-7 sur une échelle de 1 à 7. La famille peut être appréciée de plusieurs manières. Elle peut être aimée parce qu’elle constitue un cadre qui autorise un jeune à vivre sa vie, sans pour autant être trop pesante socialement (en étant le fondement de la société). C’est le cas de l’Europe du Nord. La famille peut être attractive aussi parce qu’elle est perçue comme une référence fondamen- WDOH(QFRPSDUDQWOH'DQHPDUNjOD&KLQH²GHX[SD\VROHVMHXQHVUHYHQGLTXHQWO·LQGp- SHQGDQFHSOXVTXHO·REpLVVDQFH²RQREVHUYHTXHSRXUOHV'DQRLVODIDPLOOHHVWXQHDIIDLUH privée, alors que pour les Chinois, tout comme pour les Américains, la famille est aussi une valeur sociale. Pour ces critères concernant la famille, les jeunes Français ressemblent uploads/Politique/ les-jeunesses-face-a-leur-avenir-enquete-internationale-fondation-pour-l-x27-innovation-politique.pdf
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- Publié le Jan 09, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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