1 POLITIQUE PUBLIQUE ET ANALYSITIQUES PUBLIQUES LAURIE BOUSSAGUETProfesseure de

1 POLITIQUE PUBLIQUE ET ANALYSITIQUES PUBLIQUES LAURIE BOUSSAGUETProfesseure des universités en science politique, Université de Rouen, chercheure au Centre d’études européennes de Sciences Po Paris. Cette séance a pour objectif de dresser un rapide historique de la sous-discipline « analyse des politiques publiques » qui a vu le jour aux Etats-Unis dans les années 1950, d’en présenter les évolutions jusqu’à aujourd’hui, ainsi que de définir son objet central, à savoir une politique publique. Section 1 : D'où vient l'analyse des politiques publiques ? Retour sur l'histoire d'une discipline §1 : La genèse dans les années 1950 L'analyse des politiques publiques fait son apparition dans les années 1950 aux États-Unis ; il y a à ce moment-là une forte articulation entre analyse et pratique : les premiers analystes sont en même temps des praticiens de l'action publique (universitaires consultants pour l'administration). Ex : Merriam, universitaire et directeur du National Ressource Board dont l'objectif est d'optimiser l'utilisation des ressources publiques. >>> C'est le développement des policy sciences (Cf. ouvrage fondateur de Lerner et Laswell en 1951). Le but de cette nouvelle discipline = produire des connaissances applicables à la résolution des problèmes de l'action publique. Il s'agit d'améliorer l'efficacité des politiques publiques en rationalisant l'action étatique. C'est donc une science de l'action publique et pour l'action publique, opérationnelle, qui vise à aider la prise de décision. Ex : élaboration d'un outil de planification budgétaire : le planning programming budgeting system (PPBS), mis en œuvre au niveau fédéral américain dans les années 1960. C'est un projet simultanément politique et scientifique (rationnaliser l'action publique), qui se développe dans l'Etat. En France, cela se traduit par exemple par la mise en place du Commissariat au Plan et le développement de la procédure de rationalisation des choix budgétaire (RCB). Dans cette première période, on se focalise essentiellement sur la décision publique et l'analyse repose sur 2 deux postulats principaux : la rationalité de la décision ; et le caractère non problématique de la mise en œuvre (qui est d'ailleurs l'objet d'une attention très limitée). Le contexte de l'époque est très particulier : croissance économique forte et forte légitimité de l'Etat. Mais les choses vont changer dans les décennies suivantes. §2 : Le basculement dans les années 1960-1970 Tournant de la discipline dans ces deux décennies (surtout les années 1970) pour 3 séries de raisons : • Des raisons pratiques : les dispositifs qui ont été développés dans la première phase de la discipline sont couteux et connaissent des échecs relatifs. Ex : la guerre du Vietnam durant laquelle l'armée américaine a tenté de rationaliser son action; ou le début de la crise de la planification à la française. C'est aussi le moment où démarre la crise économique (suite aux chocs pétroliers des années 1970), qui révèle l'incapacité de l'Etat à répondre à la stagflation (progression concomitante du chômage et de l'inflation) et entraîne la contraction des dépenses publiques. Petit à petit, une conception plus modeste de l'action publique se fait jour. • Des raisons idéologiques : c'est le tournant libéral (conception libérale de l'économie et de l'Etat qui devient dominante). On passe d'un paradigme keynésien en matière économique (ex : politiques de relance budgétaires qui jouent sur la demande) à un paradigme néo-libéral qui prône la rigueur (dérégulation, privatisations, démantèlement progressif des monopoles étatiques). Cela s'accompagne d'une redéfinition générale du rôle de l'Etat (délégitimé et qui se rétracte). Cf. célèbre citation de Reagan à son arrivée au pouvoir à la présidence américaine : « si l'Etat ne peut répondre à vos problèmes, c'est peut-être que l'Etat est le problème ». • Des raisons théoriques : l'APP fait un détour par la sociologie des organisations qui devient une discipline incontournable dans les années 1960 (Cf. travaux de Lindblom, March ou Wildawsky aux USA ; Crozier en France) ; cela contribue à remettre en cause les deux postulats sur lesquels reposaient les policy sciences. Sont en effet mis en avant les multiples dysfonctionnements de l'action étatique, l'absence de rationalité de la décision publique, les difficultés de l'administration à mettre en œuvre les décisions prises, l'autonomie des agents aux guichets (les street-level bureaucrats), les limites des capacités de l'Etat à résoudre les problèmes qu'il affirme prendre en charge, la rationalité limitée des acteurs (du fait notamment d'un accès limité à l'information), etc. 3 C'est l'ère du pessimisme sociologique (après l'optimisme rationalisateur de la première période). On prend désormais en compte les facteurs organisationnels et institutionnels, les conflits entre acteurs et leurs caractéristiques sociologiques : l'Etat n'est pas un acteur homogène et unitaire, mais il est composé d'une série d'acteurs souvent en concurrence. Il s'agit d'un ensemble hétérogène, non cohérent et fragmenté. Sy.>>> Pour l'ensemble de ces raisons, la discipline « analyse des politiques publiques » se transforme. Elle se retire tout d'abord du champ de l'aide à la décision pour devenir progressivement une discipline académique et universitaire à part entière, autonome, en tant que sous-discipline de la science politique – on assiste donc à un changement de nature de la discipline. Pour cela – et c'est le 2ème élément de transformation, elle se nourrit des autres courants de recherche existants (qui vont lui permettre d'accroitre sa scientificité) : la sociologie des organisations bien sûr, mais aussi la sociologie de l'action collective et des groupes d'intérêt (on s'intéresse désormais aux acteurs qui gravitent autour de l'Etat et participent aux processus de décision) et l'étude du fonctionnement des institutions. §3 : Les évolutions récentes Cette dernière période – qui correspond aux 20 dernières années – se traduit par 3 évolutions majeures pour la discipline : • Son institutionnalisation définitive en tant que sous-discipline autonome de la science politique. Les indicateurs de cette institutionnalisation : nombre de thèses soutenues en APP qui augmente ; des revues spécialisées (PMP, JEPP, GAP, etc.) ; des manuels et dictionnaires ; le nombre de publications ; groupes spécialisés au sein des associations de science politique ; etc. • Sa « sociologisation » : on constate un intérêt de plus en plus grand pour les acteurs des PP et leurs modes d'interaction et d'intervention. L'Etat n'est plus au centre de l'analyse ; on cherche à comprendre les interactions existant entre acteurs publics et acteurs privés. Cf. concepts de « réseau de politique publique » ; de « coalition de cause » ; etc. La démarche sociologique est privilégiée. • Son ouverture au-delà du cadre national : on constate en effet une évolution des frontières de l'action publique et le développement de PP non étatiques. Cf. politiques locales ; politiques internationales, politiques européennes. On est ainsi passé d'une production étatique des politiques publiques à une construction collective de l'action publique, sur plusieurs niveaux de pouvoir. 4 Section 2 : Qu'est-ce qu'une politique publique ? Tentative de définition Dans nos sociétés contemporaines, les politiques publiques sont omniprésentes. Cf. politiques de l'emploi ; règlementations européennes sur les OGM ; réforme de l'assurance-chômage ; plan d'urgence pour les banlieues ; nouvelles règles de concurrence de l'OMC ; réforme des retraites ; mesures de protection de l'environnement ; durcissement de la répression en matière de délinquance sexuelle ; etc. >>> Mais comment définit-on une politique publique ? Rq.On distingue généralement 3 sens du mot « politique » en anglais – qui correspondent à 3 articles/déterminants différents en langue française : • LE politique, ou polity, qui renvoie au sens le plus général (régulations du monde social, « art du commandement social » d'Aristote, régime politique, Etat). • LA politique, ou politics, qui renvoie à la vie politique (tout ce qui gravite autour du pouvoir politique et a trait à la conquête de ce pouvoir : partis politiques, débats politiques, élections, etc.). • LES politiques, ou policies, qui renvoient à l'action publique, à ce qui est produit par le système. C'est ce 3ème sens qui est au cœur de ce cours. §1 : 3 tentatives infructueuses Une politique publique est un objet difficile à définir car il varie dans le temps et dans l'espace : • Dans le temps : aujourd'hui, l'action publique recouvre des domaines d'intervention beaucoup plus larges qu'il y a 30 ou 40 ans. Ex : la protection de l'environnement. • Dans l'espace : on ne trouve pas la même conception de l'intervention de l'Etat suivant les pays. Ex : aux États-Unis, les niveaux des politiques publiques (mesurés par exemple avec les prélèvements obligatoires) sont beaucoup moins élevés qu'en Europe – l'action publique prend surtout la forme de règlementations (et non pas de grands programmes dépensiers). Comment dans ces conditions, trouver une définition valide et cohérente qui rende compte de cette diversité ? Plusieurs tentatives peuvent être citées – mais aucune n'est véritablement satisfaisante. 5 Df.Définition 1 : Laswell en 1936 : « who gets what, when and how ? », c'est à dire qui obtient quoi, quand et comment? Les politiques publiques sont d'abord pour lui des choix de clientèles (et par contrecoup, des victimes). L'intérêt de cette définition est de souligner le ressort social des politiques publiques (elles constituent des ressources ou des contraintes pour les individus et uploads/Politique/ politique-publique-et-analyse-des-politiques-publiques-cours-net.pdf

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