DELEUZE POLITIQUE ? Pablo Pachilla Presses Universitaires de France | « Revue p

DELEUZE POLITIQUE ? Pablo Pachilla Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de l'étranger » 2015/1 Tome 140 | pages 79 à 94 ISSN 0035-3833 ISBN 9782130651468 DOI 10.3917/rphi.151.0079 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-philosophique-2015-1-page-79.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mais même en considérant l’ontologie deleuzienne comme un apport de première importance à la pensée contemporaine, nous ne pouvons pas rejeter d’emblée la possibilité que ces questions conduisent à une impasse. Il semblerait, en effet, que les apports les plus remarquables à la théorie poli- tique dus conjointement à Gilles Deleuze et à Félix Guattari soient aujourd’hui des idées que beaucoup de philosophes politiques parmi les plus influents partagent : le déplacement de la notion de sujet comme déjà constitué vers la recherche des modes de subjectivation ; l’introjection du désir dans l’infrastructure économique, qui dissout ou donne une forme nouvelle à cette notion ; le divorce irréversible entre action politique et prise de conscience – triplet que nous abrégerons en Subjectivation/désir/inconscient. Découle aussi de ces trois idées la dissolution de la notion classique d’« intérêt » entendu d’un point de vue objectif, remplacée par un concept de désir inconscient, qui varie en nuances et en degrés de complexité. Or la présence générale de ces conceptions chez des penseurs actuels de gauche, étrangers à la tradition libérale du xixe siècle, ne peut s’attribuer uniquement et principalement à Deleuze et à Guattari, mais plutôt à une multiplicité 1. Je remercie vivement Jean-Claude Dumoncel pour sa générosité, sa patience et sa bonne humeur : ses suggestions ont constitué un apport fondamental à cet article. 2. Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Puf, 1968, p. 236. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) 80 Pablo Pachilla Revue philosophique, n° 1/2015, p. 79 à p. 94 d’événements qui ont abouti à une profonde modification de l’horizon intellectuel. Le Zeitgeist est autre, et les figures du pensable aussi. Peut-être Deleuze et Guattari ont-ils été des pionniers de ce chan- gement, mais la question demeure : à quoi nous sert aujourd’hui de penser politiquement avec Deleuze et Guattari ? L’un des événements marquants est l’irruption de la psychanalyse dans le champ de la culture ; la France et l’Argentine sont des exemples particuliers à cet égard, et la place que la psychanalyse, notamment lacanienne, a acquise dans ces pays, à l’inverse de ce qu’il en fut aux États-Unis et dans les pays européens, est importante pour comprendre leur divergence avec dans le conceptions politiques libérales qui main- tiennent une idée du sujet fondée sur la conscience. Nous pensons aux auteurs explicitement lacaniens comme Ernesto Laclau, Slavoj Žižek ou Alain Badiou ; aux deleuziens, parmi lesquels Antonio Negri est sans doute le plus influent ; même aux heideggériens « biopolitiques » comme Giorgio Agamben ou Roberto Esposito, dans une tout autre ligne de pensée. Malgré les différences considérables qui les séparent, ils reprennent en grande partie les thèses que l’on peut tenir pour les apports principaux de Deleuze et Guattari. Si leurs projets philoso- phiques divergent profondément, autant que leurs sympathies politiques concrètes, tous ces créateurs de concepts partent de Subjectivation/désir/ inconscient pour construire autre chose. Mais si ce n’est là qu’un point de départ, en quoi serait-il fructueux de le repenser ? Cet examen ne constitue pas un geste anti-deleuzien. Deleuze lui- même disait l’inutilité des concepts trop lâches, comme des filets qui laissent passer jusqu’aux poissons les plus gros3. S’il existe quelque chose comme une « politique deleuzienne », elle semble être à cher- cher dans cette direction. On peut habiller Deleuze en libéral social- démocrate et utopique et le rapprocher de John Rawls (comme le fait notamment Paul Patton), d’anarchiste aristocratique (voir à cet égard Badiou), de pessimiste incurable (la grande majorité des commen- tateurs, et avec de bonnes raisons), d’étatiste Realpolitiker, parfois en le rapprochant d’un Spinoza lu par les anti-spinozistes (Philippe Mengue, ces dernières années)4. Que reste-t-il donc de la méthodologie bergsonienne exigeant de créer des concepts moulés spécifiquement 3. Ibid., p. 94. 4. Voir Paul Patton, Deleuze and the Political, New York, Routledge, 2000 ; « Deleuze, Rawls et la philosophie politique utopique », Cités, nº 40 (« Deleuze politique »), 2010, pp. 75-86 ; Alain Badiou, Deleuze. La clameur de l’Être, Paris, Hachette, 1997 ; Philippe Mengue, « Le peuple qui manque et le trou du politique », in Manola Antonioli et al. (dir.), Gilles Deleuze, Félix Guattari et le politique, Paris, Éditions Du Sandre, 2009, pp. 19 sq. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) 81 Deleuze politique ? Revue philosophique, n° 1/2015, p. 79 à p. 94 sur leur objet, des concepts ajustés à ce qu’on veut penser ? « Là comme ailleurs, le concept d’idéologie est un concept exécrable qui cache les vrais problèmes, toujours de nature organisationnelle », ont écrit Deleuze et Guattari5. S’il en est ainsi, quel problème organisa- tionnel Deleuze et Guattari peuvent-ils nous aider à penser ? D’autres facteurs ont contribué au changement d’horizon intel- lectuel : la tentative de Michel Foucault, qui a inscrit le point Subjectivation dans l’agenda de tout philosophe politique actuel ; l’effondrement du bloc soviétique, qui a donné lieu au « post- marxisme » ; la fin des « avant-gardes historiques » du champ artistique6, parallèlement à celle des illusions révolutionnaires dans les pays capitalistes. Par ailleurs, le point Inconscient est partagé par toute la vague transversale du post-marxisme et des critiques de l’avant-gardisme léniniste. Peut-être le point Désir est-il le plus propre à Deleuze et à Guattari. Quoiqu’ils y trouvent un antécédent chez Wilhelm Reich, les théoriciens qui ont mis le plus l’accent sur ce point appartiennent à la vague italienne issue de l’« opéraïsme », et se sont voulus, à des degrés divers, deleuziens : Toni Negri, Maurizio Lazzarato et autres ont entrepris de créer une nouvelle théorie de la valeur à partir de la postulation d’une nouvelle hégémonie du travail capitaliste, celle du modèle dit du « travail immatériel ». Or, sur les « problèmes de nature organisationnelle », on ne peut tenir l’apport de ces auteurs pour satisfaisant, et il faudrait même donner raison, dans une certaine mesure, aux conservateurs, aussi bien de droite que de gauche, qui les taxent de « spontanéistes ». En conséquence, si « Subjectivation/désir/inconscient » est partagé et accepté, comment penser une politique chez Deleuze et Guattari au-delà de ces points tellement généraux ? Les « deux politiques » deleuziennes Dans une très brève conférence dictée en 2001, juste à la suite du « 11 septembre » et de la publication de son livre sur Deleuze, au moment de s’interroger sur l’existence d’une politique deleuzienne, Alain Badiou identifie deux problèmes : d’abord, la division des 5. Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1972, p. 412. 6. Il faudrait ici considérer principalement le « situationnisme », dont le théo- ricien principal, Guy Debord, avait vu, bien avant d’autres, plusieurs des grands points de la théorie politique actuelle, avec une étonnante confluence de radica- lisation et pessimisme. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 191.119.147.8) 82 Pablo Pachilla Revue philosophique, n° 1/2015, p. 79 à p. 94 formes de la pensée dans Qu’est-ce que la philosophie ? en science, art et philosophie, qui ne marque pas de lieu pour la politique7 ; ensuite, la réduction, dans les textes deleuziens, des questions poli- tiques aux uploads/Politique/ rphi-151-0079.pdf

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