Réflexions sur l’évolution des communautarismes en Belgique En Belgique, pays d

Réflexions sur l’évolution des communautarismes en Belgique En Belgique, pays de Contre-Réforme, la tactique des ‘piliers’ donne aux discussions intra- et inter- communautaires un caractère difficile. Le chantier des relations entre les groupes et les personnes qui relèvent des traditions arabes, musulmanes, juives ou israélites y est donc plus compromis que dans les pays de tradition républicaine. Serge Pahaut Université libre de Bruxelles De nombreux signaux attestent depuis quelques décennies une remontée universelle des sentiments, des représentations et des conduites communautaristes, et l’on sait que cette évolution n’est pas d’abord liée à l’intensification des flux migratoires. Dans la Belgique du tournant du siècle, ces phénomènes ne sont pas en soi d’une nature différente de celle qu’on leur connaît ailleurs dans le monde. Pays très marqué par la Contre- Réforme, ce pays présente cependant des caractéristiques singulières, dont on tentera ici de comprendre l’allure spécifique qu’y prend le balancement entre les deux régimes fondamentaux qui depuis un siècle ont retenu l’attention des sociologues : la communauté (Gemeinschaft :coutumière et solidariste) et la société (Gesellschaft : légaliste et ouverte aux contrats). On veut tenter de faire comprendre ici en quel sens l’évolution de la société civile belge a donné aux discussions intra- et inter-communautaires un caractère spécifiquement difficile, en particulier dans la sphère des relations entre les groupes et les personnes qui relèvent des traditions arabes, musulmanes, juives ou israélites. Dissymétrie des traits culturels Parler de telles relations, c’est assortir des termes souvent asymétriques, et par exemple le lecteur aura noté ci-dessus que les traits religieux et nationaux ne s’assemblent pas de la même manière dans les communautés issues des vagues d’immigration marocaine, turque, sépharade ou ashkénaze. Mais s’arrêter à de tels contrastes revient souvent à s’interdire de parler. Paradoxalement, trop d’information sur « la culture des autres » paralyse souvent la communication : une érudition hâtive, alimentée par la diffusion rapide de textes tapageurs, ne sert souvent qu’à se commettre en oppositions formulées pour être peu maniables[1], au termes desquelles dans tel ensemble (Petit véhicule, karaïsme, etc) le national et le religieux sont indissociables, ou le juridique et le politique, ou le familial et le national, et ainsi de suite, avec pour effet des blocages non négociables dans les communications. Comment, dira-t-on, peut-il être possible de parler de morale avec des x orthodoxes ou des y traditionnels alors que leur morale dépend de T, etc ? Dans ce domaine, il n’y a souvent pas de solution, et seul le temps offre aux analyses et aux synthèses le milieu porteur qu’elles requièrent. Ainsi que disait l’ancienne alchimie, les corps n’agissent qu’en solution. A défaut de cette longue patience, on est pour échapper au blocage condamné au forçage ou au discours politique. Nous verrons que la Belgique a peu pratiqué cette souhaitable dissolution des corps dans le milieu porteur de la république. 1 Il est entendu que partout la religion ou la nationalité relèvent au moins autant du projet que de l’héritage ; mais on sait que les grands communs dénominateurs associés à de tels projets ne vont pas sans d’infinies variations dans les facteurs qui accompagnent l’évolution des groupes, des familles et des personnes. Du côté des projets d’intégration culturelle à grande échelle, religieuse ou nationale, on sait que l’histoire de chacun des ensembles évoqués est riche en épisodes et en résultats contrastés pour ce qui est de l’assortiment des divers groupes, sous-groupes et inter-groupes qui lui donnent sa substance. Mais la disparité de ces relations d’appartenance ou d’allégeance pose à l’étude des religions des problèmes à ce jour insurmontables, puisque les univers qui séparent « soufi » et « musulman » ne présentent pas de commune mesure avec ceux qui séparent « berbère » et « arabophone », ou « hassid » et « lecteur de Maïmonide ». Cette incommensurabilité a pour conséquence que seuls des énoncés très généraux permettent de confronter ces grands projets, que ne peuvent compléter, pour ceux qu’intéresse le concret, que le génie du romancier et ou de l’historien. Le lecteur aura donc compris qu’on ne discutera pas ici de la portée de tels énoncés définitifs qui enrôlent Beni Hilal, Khazars et autres groupes au service de telle ou telle analyse plus ou moins subversive, où il s’agit par exemple de dissoudre un ensemble national ennemi. La discussion de ce genre littéraire nous éloignerait du contexte belge récent du communautarisme. Il était cependant inévitable de le mentionner, pour ne pas laisser le lecteur s’interroger sur la démarche suivie ici. On parlera en effet au seul niveau des collectifs qu’évoquent les grandes traditions mentionnées ci-dessus, familières à tout un chacun en Belgique. Problématique du communautarisme en Belgique Les sociologues n’ont pas reculé devant les simplifications, et la problématique communauté/société leur a permis de comparer des collectivités différentes. On demandera d’excuser le caractère trivial de l’énoncé suivant qui résume les remarques développées plus loin : le communautarisme se développe et prospère dans les zones sociales où le droit moderne a faiblement pénétré. On parle de communautarisme lorsque les relations deviennent irritantes, voire empoisonnées dès que certaines échelles collectives entrent en jeu. Ce ressenti vénéneux est pourtant chose assez ordinaire. Sous le nom péjoratif de communautarisme, on rassemble les tactiques mises en œuvre dans les transactions mal assurées où des personnes physiques ou morales incorporent des relations, invocations, représentations ou forces, lorsque celles-ci font leur référence à toutes communautés qu'on voudra: résidus à la Pareto, réciprocités contractuelles, solidarités institutionnelles ou communautés d'allégeance aux règles d'un projet. Qui craint que les choses ne s’arrangent pas peut se réclamer d’un ensemble dont l’invocation les empêche de mal tourner. À défaut de repères politiques reconnus et habitables, les acteurs se tournent volontiers vers ces références communautaires. En ce sens, la Belgique « active », celle du marché des transactions entre acteurs libres et égaux, relève le plus souvent du modèle de la Gesellschaft. Politiciens, juristes et commerçants, pour mentionner trois collectivités professionnelles des transactions sociales libéralisées, évoqueront plus volontiers des règles et procédures juridiques qui leur servent de recours qu’ils ne parleront de méfiance communautaire, même dans des situations où les rapports de force pourraient y conduire. On ne voit pas aujourd’hui que des commerçants ismaïliens aient plus de difficultés à faire valoir leur cause dans une affaire que des juristes protestants, de grands commis israélites ou des politiciens luxembourgeois. Les règles du jeu 2 sont connues, et en tous cas publiques ; et chacun peut consulter son avocat. Et pour sortir d’embarras on n’est pas tenu d’invoquer autre chose que ces règles du jeu. La procédure permet toujours de sortir d’embarras et de dénoncer un accord suspect avant d’être soumis à des effets dommageables. En un mot, pour les professions qui peuvent faire appel au droit, la référence communautaire peut sans doute exister, mais elle relève presque toujours du non-dit, et on peut dire que son invocation n’est sauf exception pas nécessaire. C’est la part de vérité dont peuvent raisonnablement se réclamer ceux qui disent que la société belge est aujourd’hui fort peu raciste. En un autre sens, et dans des univers sociaux en principe ouverts aux valeurs universelles (école, partis politiques, manifestations de rue), mais où les recours en droit sont moins bien assurés, plus proches donc d’une moderne et précaire Gemeinschaft, le communautarisme a depuis quelques décennies trouvé un terrain d’élection, et singulièrement dans les ensembles qu’un défaut d’encadrement laisse en proie à des mécanismes d’agrégation sommaire. Une des visées des projets de modernisation totalitaires fut, on le sait, de mobiliser ces univers instables pour transformer sans médiation la société civile. Le recul général de ces mouvements sociaux au cours de la seconde moitié du XXème siècle a permis cette récession, qu’accompagne une régression des projets égalitaires. Pour donner un exemple bien connu des sociologues de l’éducation, les sentiments, représentations et conduites communautaristes sont plus forts et surtout plus décisifs dans les communautés liées aux écoles pauvres ; les enfants bien dotés n’ont en gros guère de problèmes avec les diverses communautés dont ils relèvent. Pour prendre un cas limite, il est entendu que les enfants japonais qu'on croise dans les autobus de Bruxelles n'ont ni projet ni devoir d'assimilation d'une valeur « européenne» quelconque; on attend d'eux peu de choses, en gros négatives, qu'on ne peut guère spécifier qu'en parlant de l'ordre public, qu’ils respectent volontiers. Les enfants d’origine marocaine, qui parlent le français et comprennent l’histoire régionale et la politique locale, sont en revanche considérés comme mal intégrés. La pauvreté du tissu scolaire qui les prend en charge se traduit souvent, de fait, en crispations sur leurs attaches communautaires, seuls recours dans les nombreuses transactions hors-droits que leur impose un monde étranger. On sait que l’École en Belgique, suite aux guerres scolaires, présente un haut degré de démixage social, qui chez les professionnels a nom ségrégation. On a vu récemment que les partis politiques en quête de marchés captifs ne reculent pas devant les démarches communautaristes, quitte à s’en faire reproche réciproquement ; ils ont prolongé ces démarches jusqu’à l’absurde, recrutant par douzaines des commerçants libanais ou des uploads/Politique/ serge-pahaut-re-flexion-sur-les-communautarismes-serge-pahaut.pdf

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