Laurent Thévenot Statistique et politique. La normalité du collectif In: Politi

Laurent Thévenot Statistique et politique. La normalité du collectif In: Politix. Vol. 7, N°25. Premier trimestre 1994. pp. 5-20. Abstract Statistics and politics. The normality of the collective. Laurent Thévenot. (5-20]. The idea of a consistent policy of statistics must be understood in the relationships between statistical operations involving a qualification of persons and operations that make equivalence through reference to other registers, moral, social or economic. It is then necessary to analyze the complex relationships between different equivalence formulas, statistical and political. An illustration is to be found in the elaboration of the average by Quetelet and Durkheim. For Quetelet, the average realizes the construction of a moral norm, that of the ideal individual, allowing the differential evaluation of the political and moral dimensions. For Durkheim, the average appears as a - controversial - modality for the construction of a social physics of the collective fact for the assumption of a realist moral being,- irreducible to particular beings. Résumé Statistique et politique. La normalité du collectif. Laurent Thévenot. [5-20]. L'idée d'une politique des statistiques conséquente doit se comprendre dans les relations nouées entre des opérations statistiques engageant une qualification des personnes et des opérations qui font équivalence par référence à d'autres registres, moraux, sociaux ou économiques. Il s'agit dès lors d'analyser les intrications entre des formules d'équivalence différentes, statistitique et politique. L'illustration en est fournie par les modalités de composition de l'opération de la moyenne à des constructions politiques antagonistes chez Quetelet et Durkheim. La moyenne réalise chez Quetelet la construction d'une norme morale, celle de l'individu idéal, permettant l'évaluation différentielle des grandeurs politiques et morales. Chez Durkheim, la moyenne apparaît comme une modalité — discutée — de construction d'une physique sociale du fait collectif et d'assomption d'un être moral réaliste irréductible aux êtres particuliers. Citer ce document / Cite this document : Thévenot Laurent. Statistique et politique. La normalité du collectif. In: Politix. Vol. 7, N°25. Premier trimestre 1994. pp. 5-20. doi : 10.3406/polix.1994.1822 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1994_num_7_25_1822 Statistique et politique La normalité du collectif Laurent Thévenot Groupe de sociologie politique et morale Ecole des hautes études en sciences sociales (CNRS) LA GRANDE DIVERSITÉ des façons d'envisager la statistique sociale pose problème lorsqu'on envisage son histoire1. Le point de vue indigène du statisticien, tel qu'on a pu le voir déployé dans le rassemblement de Matériaux pour une histoire de la statistique2, correspond à trois modes principaux d'interprétation de l'histoire : le premier magnifie le registre de l'action et prend comme fil directeur le combat des hommes et des institutions dans une dynamique de conflit qui fait l'histoire3 ; le deuxième est centré sur le progrès inlassable des techniques, l'accroissement des moyens et les limites qu'il rencontre, la statistique étant alors envisagée comme une technique d'ingénieur parmi d'autres (ce qu'évoque le terme de «génie statistique») ; le troisième mode d'interprétation de l'histoire met en avant la réponse à une «demande sociale» d'information, au fur et à mesure que l'extension des domaines d'intervention de l'Etat et que le «débat social» font apparaître de nouvelles lacunes4. Les chercheurs en science sociale, quant à eux, adoptent le plus souvent deux attitudes à l'égard du développement de la statistique sociale, toutes deux sensiblement différentes des précédentes. Bien que souvent empruntées par les mêmes auteurs, elles sont fortement contrastées, ce qui ajoute encore à l'ambiguïté du traitement de l'objet. La première attitude visera à dénoncer l'illusoire de cette statistique au regard de la réalité sociale dont elle ne renverrait qu'une image déformée. Tirant argument du lien dévoilé avec «la politique», «l'Etat» ou «le pouvoir», le chercheur démontrera la marque idéologique sur les données produites, la référence à l'ancestrale statistique morale venant conforter la démonstration. L'autre attitude consistera, à l'inverse, à prendre appui sur ces ressources statistiques pour donner une assise empirique à la description du monde social que propose le sociologue : ce dernier puisera à l'envi dans ce 1. Cet article est issu d'une recherche entreprise à l'Unité de recherche de l'INSEE sur les relations entre forme statistique et lien politique CThévenot (L.), .Forme statistique et lien politique. Eléments pour une généalogie des statistiques sociales-, Paris, INSEE, Unité de recherche, 112/930, 1987). Un extrait concernant les enquêtes de mobilité sociale a été publié dans Thévenot (L.), 'La politique des statistiques : les origines sociales des enquêtes de mobilité sociale«, Annales ESC, n°6, 1990. 2. Affichard (J.), dir., Pour une histoire de la statistique, tome II : Matériaux, Paris, INSEE/ Economica, 1987. 3. Voir notamment, dans cet esprit, Fourquet (F.), Les comptes de la puissance. Histoire de la comptabilité nationale et du Plan, Paris, Encres, Ed. recherches, 1980 ; Voile (M.), Histoire de la statistique industrielle, Paris, Economica, 1982. 4. Affichard (J.), -Statistiques et mise en forme du monde social-, in Affichard (J.), dir., Pour une histoire de la statistique, tome II, op. cit. Polüix, n°25, 1994, pages 5 à 20 5 Laurent Thévenot «gisement de données» non sans faire subir à la matière première les retraitements nécessaires à une utilisation scientifique qui doit s'écarter autant que possible de fonctions administratives. Les fondements d'une structure sociale Illustrons cette diversité d'attitudes par le cas d'une statistique sociale par excellence, celle qui est au cœur des considérations sur la «structure sociale» et son évolution. Elle provient des enquêtes de mobilité professionnelle et sociale réalisées par l'INSEE, les enquêtes «Formation qualification professionnelle» qui suivent les recensements généraux de population depuis 19641. Conçues par l'INSEE pour élaborer une comptabilité des mouvements de main-d'œuvre adaptée à la planification des politiques de l'éducation et de l'emploi, ces enquêtes ont été considérées par des sociologues comme des sources exceptionnelles (comparées à celles disponibles à l'étranger) sur la mobilité sociale2. Dans la première perspective, elles servaient à des statisticiens de l'INSEE à construire une comptabilité destinée à prévoir les ressources de main-d'œuvre3. Dans la seconde, elles étaient utilisées par des sociologues pour mettre au jour des processus de «reproduction sociale» ou juger du caractère plus ou moins «ouvert» de notre société4. Comment expliquer que les mêmes statistiques sociales aient pu connaître des destinées 1. Pour une analyse des enquêtes de mobilité et un examen des relations entre formes statistiques et formes politiques, voir Thévenot (L), «Les enquêtes Formation - Qualification professionnelle et leurs ancêtres français«, in Affïchard (J-)> dir., Pour une histoire de la statistique, tome II, op. cit. 2. Contrairement à leurs homologues étrangères, les enquêtes françaises de mobilité ont en effet été principalement réalisées par des statisticiens et des démographes. Pour une explication de cette spécificité par ['«irrecevabilité de cette problématique (de la mobilité sociale) pour le paradigme durkheimien et le paradigme marxiste-, voir Cuin (C.-H.), «La sociologie de la mobilité sociale : essai d'analyse des conditions sociales et scientifiques d'émergence et de mise en œuvre d'un type de problématique sociologique», thèse de 3e cycle, Université Bordeaux II, 1985. Les travaux du durkheimien P. Lapie, étudiés par M. Cherkaoui (»Les effets sociaux de l'école selon Paul Lapie>, Revue française de sociologie, n°l, 1979), font exception en portant sur la relation entre la scolarisation et la mobilité sociale. 3- L'enquête de 1970 a été utilisée dans le cadre des travaux de planification des besoins de main - d'oeuvre réalisés pour la préparation du Vile Plan, servant à la construction de -comptes socio - démographiques» qui représentaient l'ensemble des mouvements affectant la main-d'œuvre au cours d'une période de cinq années (Thévenot (L.), -Les disponibilités de main-d'œuvre par profession», Economie et statistique, n°81-82, 1976). L'enquête de 1970, deuxième de la série, était ainsi utilisée conformément aux objectifs avancés par les concepteurs de la première enquête, celle de 1964 (Thévenot (L.), -Les enquêtes Formation - Qualification professionnelle et leurs ancêtres français», art. cité, p.139). 4. Voir, notamment, parmi les travaux pionniers illustrant cet usage, les recherches réalisées dans le Centre de sociologie européenne de P. Bourdieu (notamment Darras (P.), Le partage des bénéfices. Expansion et inégalités en France, Paris, Minuit, 1966, et Boltanski (L.), Prime éducation et morale de classe, Paris, Mouton, 1969), ceux de D. Bertaux («Sur l'analyse des tables de mobilité .sociale», Revue française de sociologie, n°4, 1969 ; «L'hérédité sociale en France», Economie et statistique, n°9, 1970), de C. Baudelot et R. Establet {La petite bourgeoisie en France, Paris, Maspero, 1971), ceux réalisés au Centre d'études sociologiques, notamment par J. Frisch («Les comportements de mobilité dans l'industrie», Année sociologique, vol. 17, 1966 ; «L'importance des diplômes pour la promotion», Economie et statistique, n°21, 1971) ou enfin ceux qui servirent à des travaux de comparaison internationale (Garnier (M.), Hazelrigg (L.), «La mobilité professionnelle en France comparée à celle d'autres pays», Revue française de sociologie, n°3, 1974). L'intérêt des sociologues pour les données issues des enquêtes FQP a tenu aux informations détaillées qu'elles livrent sur la situation professionnelle des parents de la personne enquêtée (et, en 1977, des grands-parents). Cette information peut servir à mesurer la fluidité de la société, comme dans les travaux américains sur la stratification sociale qui utilisèrent effectivement les enquêtes FQP dans ce sens. Cependant en France, et particulièrement dans les travaux mentionnés précédemment, les enquêtes FQP seront longtemps prisées parce qu'elles uploads/Politique/ thevenot-statistique.pdf

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