Le populisme et la science politique. Du mirage conceptuel aux vrais problèmes

Le populisme et la science politique. Du mirage conceptuel aux vrais problèmes Author(s): Pierre-André Taguieff Source: Vingtième Siècle. Revue d'histoire, No. 56, Numéro spécial: Les populismes (Oct. - Dec., 1997), pp. 4-33 Published by: Sciences Po University Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3770596 . Accessed: 23/09/2013 22:49 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Sciences Po University Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Vingtième Siècle. Revue d'histoire. http://www.jstor.org This content downloaded from 190.145.116.11 on Mon, 23 Sep 2013 22:49:10 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions LE POPULISME ET LA SCIENCE POLITIQUE DU MIRAGE CONCEPTUEL AUX VRAIS PROBLEMES Pierre-Andre Taguieff ,Je ne trouve cette definition nullepart, etj'ai ete oblige dy travailler moi- mmee. G.W. Leibniz, lettre a Foucher, 1686 Mot-valise, concept inexperimente, surgeon batard d'un < peuple > indecis, le populisme n'est reductible ni a un regime politique particulier ni a des contenus ideologiques fixes. Des populistes russes du siecle dernier aux <tele'populistes» qui nous hantent aujourd'hui, la science politique a tente de cerner ses manifestations ravageu- ses. Pierre-Andre Taguieff dresse la typologie de ce systeme defensif pour communautes fictives. II est arrive une singuliere mesaventure au mot,, populisme,,: il est recemment devenu populaire. Le terme 6tant sorti du langage savant, ses usages dominants s'inscrivent desormais dans l'espace pole- mique occupe par les acteurs politiques, les journalistes et les intellectuels media- tiques. On sait ce qu'il est advenu de l'adjectif ,surrealiste,,, lorsque ses usages se sont etendus et banalises ((C'est surr6aliste !) au point de l'evider de tout sens precis. Cette desemantisation est le prix a payer pour toute extension inde- finie d'une cat6gorie d'usage courant (, Cest baroque!,,, ,C'est decadent!,,, ,C'est raciste!,). Le suremploi a toutes fins utiles prive un mot de sa pertinence, le rend non seulement inutile, mais aussi dangereux, voire nuisible. N'irait-on pas jusqu'a soutenir, non sans quelque rai- son, qu'user d'un mot degrade est un acte degradant? Quoi qu'il en soit, la reduction r6currente d'un mot a un ins- trument de blame ou d'eloge en rend fort difficiles les eventuels usages conceptuels, comme si un pli rh6torique avait 6et pris une fois pour toutes. Les usages recents du mot populisme , sem- blent avoir pris le meme pli que ceux du mot ,fascisme, dans le langage ordi- naire: le suremploi polemique a fait de ce terme une etiquette disqualificatoire et un operateur d'amalgame permettant de stigmatiser, en les rassemblant abusi- vement, un certain nombre de pheno- menes sociopolitiques ou de leaders juges detestables ou redoutables par celui 4 This content downloaded from 190.145.116.11 on Mon, 23 Sep 2013 22:49:10 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions LE POPULISME ET LA SCIENCE POLITIQUE qui les denonce. Significativement, l'epithete ,populiste, n'apparait guere que dans des expressions polemiques: ,,derive populiste , tentation populiste , "danger (ou menace) populiste,,, voire ,prurit populiste , et le ,populisme est denonce comme l'incarnation du ,mal europeen,, le principal facteur de divi- sion et de conflit en Europe. Ainsi contextualisee, cette categorie pejorante qui refere a une sourde menace semble avoir ete reprise telle quelle, dans un premier temps, au sein des milieux savants: l'examen critique de la notion n'a pas precede l'usage du terme. Aux Etats-Unis dans les annees 1950, le mac- carthysme etait denonce comme une forme de populisme,1, tandis qu'en France l'on croyait assister, dans la fievre electorale, du poujadisme (1953-1956), a une mobilisation populiste 2, qui paraitra renaitre en Grande-Bretagne, a 1. Sur le maccarthysme ainsi interprete, voir Daniel Bell (ed.), The New American Right, New York, Criterion Books, 1955, puis New York, Doubleday, 1963, en particulier les textes de Richard Hofstadter et de Seymour Martin Lipset, p. 75-103 et p. 373-446 ; Edward A. Shils, The Torment of Secrecy, Glencoe, Illinois, The Free Press, 1956, p. 98-104; Richard Hofstadter, Anti-Intellectualism in American Life, New York, Vintage Books, 1963 (lere ed., 1962), p. 3-4 et p. 41- 42. Approches nouvelles: Robert Griffith, The Politics of Fear. Joseph R. McCarthy and the Senate, 2e ed., Amherst, University of Massachusetts Press, 1987; Michael Kazin, The Populist Per- suasion. An American History, New York, Basic Books, 1995, p. 183-193 et p. 236-237. 2. Dans les etudes savantes recentes, le poujadisme est soit defini comme un mouvement populiste . (Harvey G. Sim- mons, The French National Front. The Extremist Challenge to Democracy, Boulder, Westview Press, 1996, p. 27), soit carac- terise par le populisme parmi d'autres traits, tels que l'anti- intellectualisme, la xenophobie, l'autoritarisme, l'opposition a la , classe politique. (Paul Hainsworth, ,The Extreme Right in Post-War France: The Emergence and Success of the Front National , dans P. Hainsworth (ed.), The Extreme Right in Europe and the USA, Londres, Pinter, 1994 (lere ed., 1992, p. 33). Sur le poujadisme, et plus particulierement sur l'appel au peuple par un homme du peuple et le retour au peuple. qui le caracterise, voir Stanley Hoffmann, Le Mouvement Pou- jade, Paris, Armand Colin, 1956, en particulier p. 228 et sui- vantes; Dominique Borne, Petits-bourgeois en revolte? Le mouvement Poujade, Paris, Flammarion, 1977; Jean- Pierre Rioux, -La revolte de Pierre Poujade. (1981), dans Etudes sur la France de 1939 t nos jours, Paris, Le Seuil, 1985, p. 248-266. Dans Le Peuple et les Gros. Histoire d'un mythe (Paris, Grasset, 1979), oO il esquisse une interpretation du poujadisme, Pierre Birnbaum insiste justement sur la demo- nologie conspirationniste, presente dans la plupart des varian- tes du -populisme , structure par l'imaginaire anti-gros . la fin des annees 1960 et au debut des annees 1970, avec le powellisme 3. Autant de mouvements sociopolitiques incarnes par des demagogues manipulant le res- sentiment des classes populaires dans le cadre de la vision du complot, situes a droite, voire a l'extreme droite, lies selon divers dosages a l'anticommunisme, a l'anti-intellectualisme et a la denonciation des elites, a l'autoritarisme et a la defense conservatrice de l'ordre moral, au natio- nalisme et a la xenophobie, a l'antise- mitisme (Pierre Poujade) et au racisme (Enoch Powell). Le terme ,populisme, est redevenu, dans les annees 1990, un terme pejoratif, de strict usage polemi- que. Sa signification oscille entre ,fas- cisme, (tel qu'il est imagine dans la culture antifasciste) et demagogie: un <populiste., dans le langage mediatique, est soit un <fasciste , soit un demagogue. Il s'ensuit que le ,populisme, semble se definir soit par son orientation antide- mocratique (<fasciste ), soit par son allure pseudo-democratique. Dans ce dernier cas, il se reduit a une corruption de l'idee democratique ou a un mesusage tactique de la reference a la democratie. A considerer cependant les populismes historiques, en Europe et dans les deux Ameriques, l'antidemocratisme ni le pseudo-democratisme n'y apparaissent comme dominants. Dans le populisme russe de la seconde moitie du 19e siecle, c'est l'orientation reformiste et ,progres- 3. Sur le powellisme, voir Monica Chariot, Naissance d'un probleme racial. Minorites de couleur en Grande-Bretagne, Paris, Armand Colin, 1972; Douglas E. Schoen, Powell and the Powellites, Londres, Macmillan, 1977; Martin Barker, The New Racism. Conservatives and the Ideology of the Tribe, Fre- derick, Maryland, University of America, 1982 (2e ed.), p. 22 et p. 40; Margaret Canovan, Populism, New York et Londres, Harcourt Brace Jovanovich, 1981, p. 228 et suivantes. Des le milieu des annees 1980, le rapprochement a ete suggere entre la rhetorique populiste , centree sur le rejet de certaines categories d'immigres, d'un Enoch Powell et d'un Jean-Marie Le Pen (Peter Weinreich, -The Operationalisation of Identity Theory in Racial and Ethnic relations., dans John Rex, David Mason (eds), Theories of Race and Ethnic Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 302). Voir aussi Monica Chariot, - L'emergence du Front national , Revue fran(aise de science politique, 36 (1), fevrier 1986, p. 30-45. 5 This content downloaded from 190.145.116.11 on Mon, 23 Sep 2013 22:49:10 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions PIERRE-ANDRE TAGUIEFF siste, d'un socialisme humaniste qui pre- vaut; dans le populisme americain de la fin du 19e siecle, la critique du capita- lisme est egalement liee a un souci refor- miste. Les valeurs et les normes demo- cratiques ne sont rejetees ni par l'un ni par l'autre, qui cherchent au contraire a mieux les realiser. Quant aux populismes latino-americains du second tiers du 20e siecle, si nombre de leurs leaders peuvent etre consideres comme des demagogues, ils n'en ont pas moins pris le parti ou la defense des classes popu- laires (paysans, ouvriers), mis fin (parfois provisoirement) au regne des caudillos ou barre la route a des dictatures mili- taires, sans remettre en question le prin- cipe du vote selon les regles democra- tiques. 0 QUESTIONS DE METHODE Dans la periode qui a immediatement precede le recours immodere au terme ,,populisme, comme uploads/Politique/ xix.pdf

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