_______________________________ De la nécessité du contrôle fiscal 13 1- Le con

_______________________________ De la nécessité du contrôle fiscal 13 1- Le contrôle fiscal est à la fois une exigence juridique et politique et une exigence économique dans la mesure où il est indispensable pour assurer l’égalité de tous devant l’impôt. En même temps, le contrôle fiscal garantit, autant que possible, les conditions d’une concurrence saine entre les entreprises. Dans un système fiscal déclaratif, le contrôle fiscal est irremplaçable pour garantir l’accomplissement du devoir fiscal alors même que la déclaration bénéficie d’une présomption d’exactitude. Cependant, le contrôle fiscal est mal vécu par les contribuables qui le subissent. A vrai dire, il n’est souhaitable qu’autant qu’il ne nous concerne pas individuellement. En même temps, l’efficacité du contrôle fiscal est forcément limitée dans la mesure où d’un côté, il ne concerne qu’un faible pourcentage de l’ensemble des contribuables, environ 5 % dans la plupart des pays, et d’un autre côté, il n’est toujours pas suffisant pour garantir la sincérité des déclarations des contribuables. Ces derniers, et pour des raisons multiples et parfois compréhensibles1, s’ingénient à frauder y compris avec la complicité du vérificateur lui-même. Les raisons de cette faible proportion des contribuables contrôlés tiennent principalement aux insuffisances des moyens dont dispose l’administration fiscale pour accomplir une fonction à la fois ingrate et vitale pour la survie de l’Etat puisque les impôts fournissent actuellement à l’Etat tunisien plus que 85 % de ses recettes propres. En Tunisie, beaucoup plus que dans les autres pays de la région arabe, la survie de l’Etat et de ses services publics, à la fois nombreux et essentiels pour la population et pour la légitimité des gouvernants, dépend du rendement du système d’imposition en place. 2- Mais, aussi vital qu’il soit pour le fonctionnement de l’Etat, le contrôle fiscal ne doit pas, au risque de mettre en péril son propre rendement, méconnaître un certain nombre d’exigences dictées par la nouvelle conception du pouvoir politique et plus précisément par l’Etat de droit auquel la Constitution tunisienne proclame, depuis 2002, son attachement. La sécurité du contribuable doit être assurée contre les aléas 1 Notamment lorsque, par ses taux excessivement élevés, l’impôt devient spoliateur comme ce fût le cas des impositions du revenu qui étaient en vigueur en Tunisie jusqu’à 1989 puisque le contribuable pouvait, dans certains cas limites, être amené à payer 80 % de son revenu. _______________________________ De la nécessité du contrôle fiscal 14 inhérents aux pouvoirs exorbitants dont dispose le fisc pour juguler la fraude fiscale. La sécurité du contribuable doit être également assurée contre les aléas inhérents aux changements des politiques socio- économiques dictés par la conjoncture et qui se traduisent souvent par une instabilité notoire de la législation fiscale. L’équation que le pouvoir fiscal se doit de résoudre est celle de réussir un compromis entre des impératifs qui, pour des raisons multiples, peuvent apparaître comme contradictoires. Le payement de l’impôt et la nécessaire protection du contribuable contre des impôts inéquitables et contre des impositions arbitraires constituent deux exigences devenues plus que jamais impératives. Le rôle du parlement législateur et du parlement contrôleur de l’action gouvernementale est, dans les démocraties occidentales, un rôle essentiel pour rationaliser le contrôle fiscal même si l’on ne cesse de dénoncer dans ces mêmes pays le déclin du pouvoir financier du parlement2. Mais le contrôle fiscal s’exerce aussi et surtout sous le contrôle effectif du juge de l’impôt. 3- Le contrôle fiscal a des dimensions éminemment politiques surtout dans un pays comme la Tunisie où l’histoire politique a été intimement liée à des révoltes fiscales dues à des utilisations injustes et hasardeuses de l’instrument fiscal3. Cet usage abusif de l’instrument fiscal par les gouvernants de l’époque a coûté cher au pays puisque la Tunisie a perdu sa souveraineté par suite à l’endettement inconsidéré de l’Etat et son incapacité de rembourser sa dette. Ses finances ont été mises sous tutelle dès 1870 par la « Commission Financière Internationale ». Cette dernière fut un club de créanciers qui ressemble étrangement aux clubs modernes de Paris ou de Londres. Elle s’est chargée de « la gestion d’une grande partie des revenus publics »4. Le régime du protectorat s’est installé, en 1881, dans un sombre contexte d’un pays endetté et incapable de rembourser ses dettes. La France s’est d’ailleurs portée garante pour 2 A titre d’illustration voir, Ch. PIEUTER, le Parlement et la fiscalité, revue Pouvoirs, 1982 n° 23, p. 33. 3 La révolte de BEN GHDHEHIM contre l’arbitraire fiscal en 1864 a secoué le régime politique de l’époque et a conduit le Bey à suspendre l’application de la constitution fraîchement octroyée et à revenir sur le dédoublement inconsidéré des impôts et en particulier la MEJBA. 4 Paul BERNARD, Les anciens impôts de l’Afrique du nord, éd. Des TABLETTES, 1925, p.6. Voire aussi Ali MAHJOUBI, L’établissement du protectorat français en Tunisie, publications de l’Université de Tunis, 1977, p203. _______________________________ De la nécessité du contrôle fiscal 15 assurer le remboursement par la Tunisie des créanciers membres de la Commission Financière Internationale, qui fut supprimée par décret dès l’installation du protectorat5. L’une des premières tâches auxquelles les autorités du protectorat français se sont attelées étaient la rationalisation du recouvrement des prélèvements fiscaux moyennant des voies de droit6 et rompre ainsi avec les expéditions punitives qui ont provoqué la célèbre révolte de BEN GHDHEHIM en 1864. 4- La constitution tunisienne du premier juin 1959 s’est d’ailleurs pressée de proclamer solennellement que «le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l’équité, constitue un devoir pour chaque personne ». Le devoir fiscal est ainsi érigé parmi les devoirs constitutionnellement consacrés et l’impôt ne peut être décidé que par la loi selon l’art. 36 initial de cette même constitution. La légalité fiscale a été ainsi posée pour marquer l’adhésion de la Tunisie à un modèle d’organisation politique représentatif moderne. Dès sa mise en place en 1959, l’institution parlementaire de l’Etat indépendant s’est préoccupée de la question du recouvrement des recettes fiscales. En 1962, la loi a institué la déclaration unique7 des revenus mais sans pour autant poser un véritable régime légal complet et rationnel de contrôle fiscal comparable à celui en vigueur dans les pays qui ont inspiré notre législation. La politique de collectivisation des moyens de production engagée au cours des années 1960 a détourné l’attention du législateur de l’époque de la question des réformes fiscales pourtant nécessaires pour débarrasser le système de sa complexité et de ses incohérences résultant de la stratification désordonnée des textes et des prélèvements fiscaux. Le tournant libéral engagé en 1970 n’a pas modifié substantiellement l’état de la législation en matière de contrôle fiscal. 5 Le décret du 2 octobre 1884. 6 En particulier à travers les décrets du 12 mars 1883, du 19 décembre 1883 et du 13 juillet 1899. 7 La loi n° 72-62 du 31 décembre 1962 a substitué au régime de déclarations multiples liées à la multiplicité des impôts cédulaires une déclaration unique où figurent tous les revenus du contribuable ainsi que ceux de sa femme et de ses enfants mineurs. Cette loi a également supprimé le rôle comme procédé de recouvrement et à généralisé le paiement au comptant. _______________________________ De la nécessité du contrôle fiscal 16 5- La faiblesse du dispositif fiscal8 a conduit les pouvoirs publics à adopter en 1976 des règles pour lutter contre la fraude devenue source de frustration pour les contribuables soumis à la retenue à la source, essentiellement les salariés et agents publics. Cette loi conçue essentiellement pour contrôler les professionnels libéraux a été mise en échec par les avocats et les médecins pour lesquels un système d’ordonnances numérotées a été conçu. Les médecins se sont opposés à l’application de ces mesures. Le gouvernement a dû ainsi faire marche arrière une première fois devant la résistance de certaines corporations. Une deuxième tentative de réforme a été entreprise en 1982 devait connaître le même sort9. Le professeur Habib AYADI parlait alors de « l’échec des deux tentatives de réformes (lois de finances du 31 décembre 1976 et du 31 décembre 1982 »)10. Lors de ces deux réformes, l’Etat n’a pas cherché à associer les structures représentant les contribuables concernés aux mesures envisagées. Le pouvoir politique a légiféré d’une manière autoritaire sans se soucier des destinataires de la règle fiscale. L’échec était alors garanti d’autant plus que les mesures envisagées étaient orientées maladroitement vers une catégorie professionnelle qui ne pouvait naturellement accepter une mesure vécue comme une loi « anti-médecins ». 6- Les différentes interventions législatives pour lutter contre la fraude fiscale ont été vouées à l’échec si bien que la première loi votée par le parlement après le changement politique à la tête de l’Etat en 8 H. AYADI, Droit fiscal, C.E.R.P., 1989, p. 258. 9 La loi de finances du 31 décembre 1982 avait posé que la déclaration unique de revenu doit contenir tous les éléments relatifs à la consistance du patrimoine du contribuable et des éléments de train de vie. Le défaut de mention de l’un de ces éléments est sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 500 D.T. par élément. uploads/Politique/de-la-necessite-du-control-fiscal-art 1 .pdf

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