GREQAM Groupement de Recherche en Economie Quantitative d'Aix-Marseille - UMR-C
GREQAM Groupement de Recherche en Economie Quantitative d'Aix-Marseille - UMR-CNRS 6579 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Universités d'Aix-Marseille II et III Document de Travail n°2005-11 L'économie politique de Rousseau Christophe Salvat Mars 2005 L’économie politique de Rousseau Christophe Salvat, CNRS, GREQAM Résumé Selon Rousseau, l’économie politique a ainsi été frauduleusement présentée comme une gestion paternaliste, familiale voire naturelle de la société. L’économie domestique, comme la loi naturelle, a été instrumentalisée par certains philosophes pour légitimer une société injuste et inégalitaire. Sorti par un ‘funeste hasard’ de l’état de nature, l’homme a toujours refusé de voir dans l’homme civil une entité différente de l’homme naturel. A l'exemple de Locke, les tenants du droit naturel n’ont pas pris conscience de la rupture historique constituée par la division du travail et le partage des terres. Rousseau, en réinvestissant les notions d’état de nature et d’économie domestique défend une nouvelle représentation de la société civile et de son administration, l'économie politique légitime. Summary According to Rousseau, the political economy has falsely been presented as a paternalistic of the society. The domestic economy, like the natural law, has been often used to legitimate an injust and unequal society. Exit from the state of Nature, human refuses to see himself as basically different from a man of Nature. Like John Locke, philosophs of the natural right have not been aware of the historical breaking off represented by the division of labour and the land sharing. By his reinterpretation of the state of nature and the domestic economy, Rousseau defend a new representation of the civil society and its administration, the legitimate political economy. JEL B110 Keywords Histoire de la pensée économique, Pensée des Lumières, Rousseau, Economie politique, Economie domestique, Identité. 2 L’économie politique de Rousseau Christophe Salvat, CNRS, GREQAM Résumé Selon Rousseau, l’économie politique a ainsi été frauduleusement présentée comme une gestion paternaliste, familiale voire naturelle de la société. L’économie domestique, comme la loi naturelle, a été instrumentalisée par certains philosophes pour légitimer une société injuste et inégalitaire. Sorti par un ‘funeste hasard’ de l’état de nature, l’homme a toujours refusé de voir dans l’homme civil une entité différente de l’homme naturel. A l'exemple de Locke, les tenants du droit naturel n’ont pas pris conscience de la rupture historique constituée par la division du travail et le partage des terres. Rousseau, en réinvestissant les notions d’état de nature et d’économie domestique défend une nouvelle représentation de la société civile et de son administration, l'économie politique légitime. Summary According to Rousseau, the political economy has falsely been presented as a paternalistic of the society. The domestic economy, like the natural law, has been often used to legitimate an injust and unequal society. Exit from the state of Nature, human refuses to see himself as basically different from a man of Nature. Like John Locke, philosophs of the natural right have not been aware of the historical breaking off represented by the division of labour and the land sharing. By his reinterpretation of the state of nature and the domestic economy, Rousseau defend a new representation of the civil society and its administration, the legitimate political economy. JEL B110 Keywords Histoire de la pensée économique, Pensée des Lumières, Rousseau, Economie politique, Economie domestique, Identité. 3 Introduction1 L’acte économique est doté d’un statut ambivalent dans l’œuvre de Rousseau. Il est à la fois peu présent et omniprésent. Peu présent, car Rousseau s’intéresse peu aux mécanismes économiques (concurrence, circulation monétaire, distribution des revenus) et aux techniques de production (agricoles, manufacturières), qui font pourtant l’objet de toute l’attention de ses contemporains. Omniprésent, car toute sa philosophie repose sur le rapport de l’homme aux biens, l’importance déterminante de la division du travail dans l’histoire humaine et le statut prépondérant de la richesse dans les rapports sociaux. L’économie politique de Rousseau n’est pas la science des richesses, encore moins une analyse économique forcenée de la société2. Elle se présente comme une réflexion sur la nature de la société et de son organisation. Elle n’en est pas moins économique. Mais l’économique de Rousseau se veut politique. L’économie politique s’oppose à l’économie domestique. Elle naît d’un constat, celui de la divergence voire de l’opposition des intérêts individuels et de la nécessité de l’artifice législatif pour la surmonter. La référence à la famille et à la loi naturelle ne peut donc légitimement fonder le gouvernement économique d’une société civile. Rousseau parvient cependant difficilement à échapper au problème que poserait l’action conjointe de la loi et de la richesse sur les comportements des citoyens. Bien que théoriquement redevenue neutre, la monnaie, et la forme qu’elle donne aux biens, la richesse, conserve en effet une influence destructrice sur les rapports sociaux. Les institutions perverties, sur lesquelles repose néanmoins la nécessaire transition, demeurent en partie entachées par les croyances qu’elles ont fondées. 1. La richesse, mesure du bien, représentation du mal 1 Seront utilisées les abréviations suivantes pour les écrits de Rousseau : CGP (Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation projettée) ; CS (Du Contrat Social ou, Principes du droit politique) ; DEP (Discours sur l’économie politique) ; DOI (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes) ; DSA (Discours qui a remporté le prix à l’Académie de Dijon. En l’année 1750. Sur cette question proposée par la même Académie : Si le rétablissement des Sciences et des Arts a contribué à épurer les mœurs, généralement désigné par Discours sur les sciences et les arts) ; EOL (Essai sur l’origine des langues) ; FP (Fragments politiques) ; LAS (Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, généralement désigné par Lettre à d’Alembert sur les spectacles) ; LEM (Lettres écrites de la montagne) ; MG (Du Contract Social ou essai sur la forme de la république- Première version, généralement désigné par Manuscrit de Genève) ; NH (Julie ou la Nouvelle Héloïse) ; Observations (De Jean-Jacques Rousseau de Genève. Sur la réponse qui a été faite à son Discours, généralement désigné par Observations) ; PCC (Projet de constitution pour la Corse) ; PN (Préface de Narcisse ou l’amant de lui-même). 2 B. Fridén, Rousseau’s economic philosophy. Beyond the Market of Innocents, Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 1998 4 1.1. L’économie dans les états de nature Il existe sous la même dénomination deux états de nature chez Rousseau. Le premier est fictif et hypothétique destiné à « démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la Nature actuelle de l’homme » (DOI, OC III, 123). Le second est un état tribal. L’état de nature à proprement dit est par définition a-économique. Il se caractérise par une indépendance totale de l’homme. Les hommes sont indépendants les uns des autres, et ne suivent que les pulsions qui leur sont dictées par leur animalité (DOI, OC III, 143). Cette indépendance leur assure, de fait, une liberté naturelle. On parle généralement, d’après la distinction établie par Berlin, de liberté négative. L’homme a toute lattitude pour réaliser ses désirs, aucune entrave autre que ses propres limites ne peut le contraindre. Mais indépendance n’est pas liberté, précise Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne3. La vraie liberté ne peut se résumer à une absence factuelle de contrainte, elle réside dans la garantie de l’absence de contrainte. Elle ne doit donc pas être associée à la notion d’indépendance4. L’autonomie, dans la dépendance établie par l’état civil, assurera aux hommes pour la première fois leur statut d’êtres libres. L’acte économique apparaît sporadiquement avec le second état de nature, parfois appelé âge des cabanes, avec la propriété, le langage et le sentiment amoureux (DOI, OC III, 164-169). Ce second état de nature est historique et contingent. La Nature, si prodigue dans la première partie du second Discours, est désormais soumise aux aléas du temps et de la géographie. Les besoins de l’homme, ou plus exactement la difficulté qu’il a à les satisfaire -la rareté-, le contraignent à raisonner, imaginer et communiquer. Les facultés intellectuelles de l’homme se développent par les passions, et les entretiennent (DOI, OC III, 143). Plus ces facultés se développent, plus les besoins se multiplient et se conceptualisent. Les échanges deviennent alors possibles, de même que les engagements mutuels, ainsi que l’illustre l’épisode de la chasse aux cerfs (DOI, OC III, 166-167). Mais ces interactions restent limitées et réversibles. Aucun rapport de dépendance ou de hiérarchie ne peut naître de ces accords temporels plus ou moins implicites. L’acte économique n’est pas structurant, il ne constitue pas un caractère d’individuation. Les hommes, réunis en famille puis en tribus, se positionnent cependant les uns envers les autres. Ce positionnement signe la fin de l’état de nature et de l’indépendance de l’homme. Le rapport de l’individu à la société, qui marque son appartenance, s’établit sur l’observation, 3 « On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plait, on fait souvent ce qui déplait à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à uploads/Politique/leconomie-politique-de-rousseau 1 .pdf
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- Publié le Mai 10, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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