À propos de Chateaubriand, « Les dieux s’en vont » Chateaubriand concluait Les

À propos de Chateaubriand, « Les dieux s’en vont » Chateaubriand concluait Les Martyrs, du moins dans le texte de la première édition, sur cette envolée : Les époux martyrs [Eudore et Cymodocée] avoient à peine reçu la palme [du martyre], que l’on aperçut au milieu des airs une croix de lumière, semblable à ce Labarum qui fit triompher Constantin ; la foudre gronda sur le Vatican, colline alors déserte mais souvent visitée par un esprit inconnu ; l’amphithéâtre fut ébranlé jusque dans ses fondements, toutes les statues des idoles tombèrent, et l’on entendit, comme autre- fois à Jérusalem, une voix qui disoit : « Les dieux s’en vont. » La source de la formule finale est identifiée depuis longtemps, à savoir un passage de Flavius Josèphe, tiré de la Guerre des Juifs (Φλαυίου Ἰωσήπου ἱστορία Ἰουδαικοῦ πολέμου πρὸς Ῥωμαίους), VI, 5, 299, que voici : (la scène se passe à Jérusalem, en 70 ap. J.-C.) Κατὰ δὲ τὴν ἑορτήν, ἣ πεντηκοστὴ καλεῖται, νύκτωρ οἱ ἱερεῖς παρελθόντες εἰς τὸ ἔνδον ἱερόν, ὥσπερ αὐτοῖς ἔθος πρὸς τὰς λειτουργίας, πρῶτον μὲν κινήσεως ἔφασαν ἀντιλαϐέσθαι καὶ κτύπου, μετὰ δὲ ταῦτα φωνῆς ἀθρόας · « Mεταϐαίνομεν ἐντεῦθεν. » Lors de la fête [juive] dite du cinquantième jour [= Pentecôte], les prêtres (= rabbins) ayant, comme ils ont coutume de le faire pour accomplir leur culte, pénétré de nuit dans le sanctuaire [on attendrait ἄδυτον], dirent avoir entendu une secousse et un choc retentissant [= le vacarme de gens qui se déplacent], puis (le son) de nombreuses voix (disant) : « Nous partons d’ici. » De même, le rapprochement a été fait avec Tacite, Hist., V, 13 : Apertæ repente delubri fores et audita maior humana uox excedere deos; simul ingens motus excedentium. Les portes du sanctuaire s’ouvrirent soudain d’elles-mêmes, et une voix plus forte que la voix humaine annonça que les dieux en sortaient ; en même temps fut enten- du un grand mouvement de départ. Or, sous la forme Κατὰ δὲ τῆν τῆς πεντηκοστῆς ἑορτήν εἰς τὸ ἔνδον ἱερὸν οἱ ἱερεῖς παρελθόντες κινή- σεως ᾔσθοντο καὶ κτύπου· εἶτα φωνῆς ἤκουσαν λεγούσης · « Μεταϐαίνωμεν ἐντεῦ- θεν » la phrase a été reprise par Zonaras (voir la Patrologie, de Migne, 134 : Ἰωάννου τοῦ Ζωνα- ρὰ τὰ εὑρισκόμενα πάντα: ἱστορικά, κανονικά, δογματικά — μέρος α΄, dans l’édition en ligne de Δρόμοι της Πίστης – Ψηφιακή Πατρολογία « Chemins de la Foi — Patrologie numéri- que », à l’adresse : http://patrologia.ct.aegean.gr/). Il ressort de la comparaison que là où Flavius Josèphe recourt à l’indicatif μεταϐαίνομεν « nous partons d’ici, nous nous en allons », Zonaras tourne au subjonctif μεταϐαίνωμεν « partons d’ici, allons-nous-en ». Le comble est atteint sur le site de Perseus, qui fait figurer le texte grec dans l’édition de Benedict Niese, publiée en 1895, portant l’indicatif, et la traduction de William Whiston (1667-1752), A.M. Auburn et Buffalo, publiée la même année, où l’on peut lire “Let us remove hence”— ce qui laisse à penser que les traducteurs ont eu sous les yeux le subjonctif. La traduction latine du texte de Flavius Josèphe, elle aussi, rend par ce mode : In sequenti autem festo Pentecostes noctu sacerdotes templum ad ministerium implendum ex more ingressi, primum quidem motus quosdam strepitusque senserunt, et domum uoces quasdam sonantes, Migremus hinc. Et il en est de même pour la version de saint Jérôme : « Transeamus ex his ædibus » (fré- quemment citée sous une des formes ex his sedibus /ab his sedibus : fausse coupe quand le texte a été dicté ?). — Au passage, Jérôme (dans sa lettre à Damase sur les séraphins) dit bien « ex adytis templi » là où le texte de Josèphe porte « τὸ ἔνδον ἱερόν » et le recours aux séraphins permet d’essayer d’évacuer une vraie difficulté : l’emploi du pluriel (« partons d’ici ») alors que le lieu de culte dont il est question est consacré à une religion monothéiste. À propos de Chateaubriand, « Les dieux s’en vont » II Peut-être le nom de Mgr Gaume (1802-1879) n’évoque-t-il rien pour certains lecteurs, et le « gaumisme » pas davantage. C’était, écrit Émile Poulat, un « contre-révolutionnaire » anti-moderne qui a contribué à la diffusion aussi bien de la morale liguorienne (hostile au rigorisme) que du catholicisme social de son temps. Voici la notice consacrée par Pierre Larousse, 25 ans après la publication de l’ouvrage, au livre célèbre du prélat, « Le Ver rongeur des sociétés modernes, ou Du paganisme dans l’éduca- tion » (1851) : Néanmoins, il m’a paru intéressant de citer de cet auteur un passage tiré du chap. XV (dans la 3e éd.) de son « Traité du Saint-Esprit », en rapport avec « Les dieux s’en vont » : Chez les différents peuples de l’Orient et de l’Occident, on enchaînait les statues des dieux, afin que l’évocation [ēuŏcātĭō] ne pût les tirer de leur sanctuaire et leur faire abandonner le royaume ou la ville placés sous leur protection. « Les statues de Dédale, dit Platon [dans le Ménon, 97d], sont enchaînées. Quand elles ne le sont pas, elles s’ébran- lent et se sauvent ; quand elles le sont, le Dieu demeure à sa place. » Pausanias rapporte [III, XV, 7] qu’il y avait à Sparte une très vieille statue de Mars [Arès], attachée par les pieds. « En l’attachant ainsi, dit le grave historien, les Spartiates avaient voulu avoir ce dieu pour défenseur perpétuel de leurs personnes et de leur républi- que, et, le prenant comme à leurs gages, l’empêcher de jamais déserter leur cause. » Et Plutarque [Vie d’Alexandre, XXIV] : « Les Tyriens s’empressèrent d’attacher leurs dieux..., lorsque Alexandre vint assiéger leur ville. En effet, un grand nombre d’habitants crurent en- tendre, en songe, Apollon disant : Ce qui se fait dans la ville me déplaît, et je veux aller chez Alexandre. C’est pourquoi, agissant à son égard comme à l’égard d’un transfuge qui veut passer à l’ennemi, ils enchaînèrent la statue colossale du dieu, la clouèrent à la base, en l’appelant lui-même Alexandriste. » Homère affirme que les trépieds de Delphes marchaient tout seuls (Iliad., XVIII). Ces faits et beaucoup d’autres du même genre prouvent que les païens croyaient à la puissance de l’évocation. Ils ne se trompaient pas. Aussi, ils la pratiquaient souvent : leurs auteurs et les nôtres [= les auteurs chrétiens] en font foi (Pline, Hist., lib. 28, c. 9; Festus, In peregrin.; Virgil. Æneid., lib. 2; Macrob., Saturnal. III, 9; Horace, Carmin., lib. 2, ode 1; Ovide, Fast., 6; Petron. Satyricon; Stace, Thebaid., lib., II, v. 8, 10; Claudian., De Probe et Olibr. coss.; Tertull. Apolog., x ; Prudent., lib. 2 adv. Symmach.; S. Ambr. epist. ad Valent. adv. Symmach.; etc). Cette croyance universelle explique la conduite de Balac, appelant Balaam pour maudire Israël. La puissance de l’évocation et les mouvements des statues ou des dieux se manifes- taient surtout, lorsque le peuple, la ville ou le temple étaient menacés de quelque grand malheur. Parlant de certaines calamités publiques : « Des voix terrifiantes, dit Stace, se firent entendre dans les sanctuaires, et les portes des dieux se fermèrent d’elles- mêmes. » Et Xiphilin : « On trouva dans le Capitole de grands et nombreux vestiges des dieux qui s’en allaient; et les gardiens annoncèrent que pendant la nuit le temple de Jupiter s’était ouvert de lui-même avec un grand fracas. » Et Lampride : « On vit au Forum les pas des dieux qui s’en allaient. » Et l’historien Josèphe : « Quelque temps avant la ruine de Jérusalem, on entendit dans le temple une voix qui disait : Sortons d’ici, migremus hinc. » Dans l’antiquité païenne le même phénomène eut lieu des milliers de fois. Remarque : « Homère affirme que les trépieds de Delphes marchaient tout seuls (Iliad., XVIII). » 1) Homère ne parle que de Πυθώ, -οῦς et Πυθών, -ῶνος (par exemple, au chant II, dans le « catalogue »); ni la localité de Phocide ni l’oracle ne sont mentionnés dans le chant XVIII de l’Iliade. 2) Quand Thétis « aux pieds d’argent » arrive (v. 369 et suiv.) chez Héphaïstos, le forgeron est occupé à assembler vingt trépieds munis de roues d’or et qui auront la pro- priété de se rendre à l’assemblée des dieux olympiens puis, le moment venu, d’en reve- nir, sur la seule injonction du plus célèbre des boiteux. En somme, l’anecdote n’a rien à faire ici. Le passage de Pausanias mérite une citation plus ample : Πλησίον δέ ἐστιν Ἱπποσθένους ναός, ᾧ γεγόνασιν αἱ πολλαὶ νῖκαι πάλης. Σέϐουσι δὲ ἐκ μαντεύματος τὸν Ἱπποσθένην, ἅτε Ποσειδῶνι τιμὰς νέμοντες. Τοῦ ναοῦ δὲ ἀπαν- τικρὺ πέδας ἐστὶν ἔχων Ἐνυάλιος, ἄγαλμα ἀρχαῖον. Γνώμη δὲ Λακεδαιμονίων τε ἐς τοῦτό ἐστιν ἄγαλμα, καὶ Ἀθηναίων ἐς τὴν Ἄπτερον καλουμένην Νίκην, τῶν μὲν οὔποτε τὸν Ἐνυάλιον φεύγοντα οἰχήσεσθαί σφισιν ἐνεχόμενον ταῖς πέδαις, Ἀθηνα- ίων δὲ τὴν Νίκην αὐτόθι ἀεὶ μενεῖν οὐκ ὄντων πτερῶν. Τόνδε μέν εἰσιν αἱ πόλεις αὗται τὰ ξόανα τὸν τρόπον ἱδρυμέναι καὶ ἐπὶ δόξῃ τοιαύτῃ. [§] Προελθοῦσι δὲ οὐ πολὺ λόφος ἐστὶν οὐ uploads/Religion/ a-propos-de-chateaubriand-les-dieux-s-x27-en-vont.pdf

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  • Publié le Apv 16, 2021
  • Catégorie Religion
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