Bénir les icônes : Conforme à la Tradition de l’Église orthodoxe, oui ou non ?

Bénir les icônes : Conforme à la Tradition de l’Église orthodoxe, oui ou non ? I. Le problème Les chrétiens orthodoxes ont l’habitude de faire bénir les icônes par un prêtre ou un évêque. Souvent les évêques les bénissent en les oignant du saint chrême. Il y a même des offices spéciaux pour bénir les différentes sortes d’icônes : celles du Christ, de la Mère de Dieu, des fêtes, etc. La plupart des fidèles n’imagineraient jamais de garder une icône non bénite dans leur maison. Ce serait une sorte de sacrilège. Mais une fois que l’image est bénite, quel que soit son sujet, goût, canonicité, etc., les fidèles pensent que, étant une simple image avant la bénédiction, elle devient une icône après, à cause de la bénédiction. Elle devient au moins une « meilleure » icône. N’étant qu’une image « profane » avant, elle devient « sainte » après, grâce à la bénédiction. Très peu d’orthodoxes questionneraient cette pratique qu’ils considèrent comme légitime, traditionnelle et tout à fait conforme à la sainte Tradition de l’Église. Néanmoins, c’est le but de cette étude d’examiner la pratique de bénir les icônes pour déterminer jusqu’à quel point cette pratique et la théologie qui la justifie sont véritablement conformes à la Tradition de l’Église. J’espère montrer que, malgré la pratique très répandue de bénir les icônes, elle n’est pas conforme à la Tradition ecclésiale, qu’elle est en fait contraire à cette dernière et qu’elle se fonde sur une théologie de l’icône étrangère à l’orthodoxie. II. L’histoire 1. De la Pentecôte de l’an 33 jusqu’à 787 : silence dans les documents. Que nous sachions, personne n’a jamais écrit sur le sujet de la bénédiction des images. Il n’y a aucune trace d’une prière de bénédiction d’images. 2. Le Second Concile de Nicée, 7871 2.1 Voici une des attaques des iconoclastes contre les iconodoules lue pendant le concile, accompagnée de la réponse des pères2 : Les iconoclastes : Il n’y a pas de prière de bénédiction pour l’image, laquelle prière la transfère du domaine du profane à celui du sacré. Plutôt, elle demeure profane et sans valeur, telle que le peintre l’a faite. Les orthodoxes : Maintes choses sacrées dont nous nous servons n’ont pas de prière de bénédiction, parce que leur nom lui-même indique qu’elles sont toutes sacrées et remplies de grâce. Par conséquent, nous les honorons et les embrassons comme vénérables. Même sans prière de bénédiction, nous honorons la forme de la Croix vivifiante. La forme même de la croix 1Concile de Nicée II, Mansi XIII ; Icon and Logos : Sources in Eighth-Century Iconoclasm, Daniel Sahas, Toronto, Ontario, University of Toronto Press, 1986. 2Mansi XIII, 269E-272A, Sahas., p. 99. La traduction française est de l'auteur. nous suffit pour en être sanctifiés. Par la vénération que nous offrons à la croix, par le signe de la croix que nous traçons sur le front, et par le signe que nous faisons dans l’air avec le doigt, comme un sceau, nous exprimons l’espoir qu’elle dispersera les démons. De même, lorsque nous écrivons un nom sur une image, nous faisons jaillir l’honneur sur le prototype et en embrassant l’image et en la vénérant d’un honneur convenable, nous sommes sanctifiés. De même, nous baisons et embrassons divers vases saints, dont nous nous servons, et espérons être sanctifiés par eux. Donc, ou bien les iconoclastes doivent dire que la croix et les saints vases sont profanes et sans valeur ― puisque le menuisier, le peintre ou le tisserand les ont faits et puisqu’il n’y a pas de prière de bénédiction pour eux ― ou bien ils doivent accepter les vénérables images aussi comme sacrées, saintes et dignes d’honneur. 2.23 De même que lorsque l’on peint le portrait d’un homme, on ne prive pas ce dernier de son âme, mais il demeure uni à son âme et [son] image est dite de lui à cause de la ressemblance, de même en produisant l’image du Seigneur nous confessons que la chair du Seigneur a été déifiée et nous connaissons que [son] image n’est rien d’autre que l’image qui manifeste la ressemblance par imitation du prototype. De ce fait, l’image est désignée par le nom du prototype qui est la seule chose qu’elle partage avec le prototype lui-même. Voilà pourquoi elles sont vénérables et saintes. 3. La Vie d’Étienne le Jeune4 Chapitre 55, « Rappel d’exil. Entrevue avec Constantin V » Le saint [Étienne] lui [Constantin V] répondit : « Empereur, ce n’est pas la matière que les chrétiens ont jamais prescrit d’adorer dans les icônes, mais c’est le nom de ce qui est vu devant lequel nous nous prosternons […] Alors le saint : « Et qui donc, maître de sa raison, adore le créé en se prosternant devant les objets qui sont dans les églises, qu’ils soient de bois, de pierre, d’or ou d’argent, alors que, du fait du nom, ils sont transmués en objets saints ? » 4. Nicéphore de Constantinople : « En effet, de même que les temples reçoivent le nom des saints éponymes, de même les copies [icônes] de ces saints portent leur nom, par le moyen de l’épigraphe, et sont de ce fait consacrées. »5 Dans ce traité, le patriarche attaque les déclarations et les arguments de l’empereur Constantin V qui convoqua le concile iconoclaste de Hiéria en 754 pour sanctionner sa doctrine iconoclaste. Parmi les points défendus par 3Mansi 344B, Sahas, p. 159. La traduction française est de l'auteur. 4La Vie d’Étienne le Jeune par Étienne le Diacre, Marie-France Auzépy, Aldershot, Hampshire UK, Variorum Ashgate Publishing Limited, 1997, pp. 253-254. 5Nicéphore de Constantinople Discours contre les iconoclastes, Nicéphore de Constantinople, Marie-José Mondzain-Baudinet, trad., Paris, Éditions Klincksieck, III, 54, 1989, pp. 259-260. l’empereur, nous trouvons cette affirmation : une image de quelqu’un, pour être correctement désignée par le nom image, doit être consubstantielle avec le prototype. Alors la seule image du Christ qui est consubstantielle avec lui, de la même substance que lui, est l’eucharistie, les saints dons de la communion. Toutes les autres « images » du Christ et des saints sont faussement appelées image parce que leur substance ― bois, pierre, couleurs, etc. ― diffère de celle des personnes représentées. En outre, pour que le pain et le vin deviennent l’image consubstantielle du Christ, il faut la prière de consécration de la liturgie pour les transformer. Les « images » du Christ et des saints sont doublement faussement appelées « images » parce qu’il n’y a pas de prière de bénédiction pour les transformer en la substance du Christ et des saints. Dans son discours, le patriarche Nicéphore attaque la position de l’empereur, disant qu’il est doublement en erreur. D’abord, l’empereur dit qu’une image du Christ ou des saints, pour être correctement appelée image, doit être consubstantielle avec la personne représentée, mais elle est précisément d’une autre substance. Donc, les « images » du Christ ne sont pas de vraies images. Nicéphore répond que le lien entre l’image, le type, et la personne représentée, le prototype, n’est pas la consubstantialité, mais la ressemblance et le partage du nom. L’image du Christ, continue-t-il, étant du bois et des couleurs, est appelée le Christ parce qu’elle lui ressemble dans la reproduction des traits physiques de son humanité et parce qu’elle porte son nom. Et ensuite, Constantin est encore dans l’erreur parce qu’il ne distingue pas deux sortes de sanctification : la sacralisation qui est produite par les prières de l’Église ― la bénédiction de l’eau à la Théophanie ― et la sanctification qui se fait par imitation du Christ, par participation à ses actes, à ses paroles, à sa mort ― le martyr –, etc. Dans le premier cas, une prière de bénédiction est nécessaire ; dans le second, non. L’icône n’appartient pas à la première catégorie, mais à la seconde. Donc, elle est sainte, pas à cause d’une prière de bénédiction, que le patriarche et les autres orthodoxes savaient inexistante, mais à cause de la ressemblance au prototype et du port de son nom. 5. Entre le VIIIe siècle et le milieu du XVIIe siècle, nous constatons un autre silence dans les livres de prières et dans les écrits d’auteurs orthodoxes sur la question de la bénédiction des icônes. Mais en 1649, le métropolite Pierre Maghila de Kiev a publié son Trebnik (Euchologe, Kiev, 1649) dans lequel se trouvent, pour la première fois dans une source orthodoxe, de courts offices pour la bénédiction des icônes. Voir plus loin les textes et l’analyse de ces prières. 6. Dans son article, Grondijs6 cite un passage de Dosithée de Jérusalem, patriarche de Jérusalem (1669-1706)7. [Grondijs] Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que la question [de la bénédiction des icônes] se pose, et Dosithée de Jérusalem la discute dans 6Actes du VIe congrès international d’études byzantines, tome II, Paris, École des Hautes études à la Sorbonne, « Images de saints d’après la théologie byzantine », L.-H. Grondijs, 1951, pp. 168-169. 7Histoire des patriarches de Jérusalem, (œuvre publiée à Bucarest en 1715, neuf ans après la mort de uploads/Religion/ benir-les-icones-conforme-a-la-tradition-odt.pdf

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  • Publié le Dec 15, 2022
  • Catégorie Religion
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