Collectanea Cisterciensia 67 (2005) 313-321 Marie-Noël BOUCHARD, ocso La tuniqu

Collectanea Cisterciensia 67 (2005) 313-321 Marie-Noël BOUCHARD, ocso La tunique sans couture SYMBOLE DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE La tunique sans couture de Jésus, tirée au sort pour ne pas être déchirée, a été regardée comme un symbole de l’unité de l’Église. À l’origine de cette tradition se trouve, bien sûr, l’évangile johannique∞∞; puis certains Pères de l’Église ont interprété de cette manière l’épi- sode relaté par saint Jean∞∞; enfin saint Bernard s’en est servi dans plusieurs de ses écrits. Il peut être intéressant d’étudier ces trois phases d’une telle tradition. Dans l’évangile de saint Jean Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits∞∞; ils en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique∞∞; c'était une tunique sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux∞∞: «∞∞Ne la déchirons pas, tirons au sort celui qui l'aura.∞∞» Ainsi s'accomplissait la parole de l'Écriture∞∞: Ils se sont partagé mes habits∞∞; ils ont tiré au sort mon vêtement (Ps 21, 19). C'est bien ce que firent les soldats (Jn 19, 23-24). Les autres évangélistes ont noté le partage des vêtements de Jésus quand il a été mis en croix. Mais alors que les trois synoptiques se contentent de citer succinctement le verset 19 du psaume 21, Jean raconte la scène en détails, comme l’accomplissement de l’Écriture où le sort n’a pas été jeté sur les parts de vêtements à attribuer à l’un ou à l’autre, mais sur une seule pièce, mise hors partage. Il y avait quatre soldats, qui ont fait quatre parts∞∞; puis ils ont tiré au sort la tunique. Jean a été témoin de la scène. Il décrit la tunique «∞∞sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas∞∞». Il a vu les soldats jeter les dés pour que le sort désigne celui qui l’aurait. Ce n’est pas la tunique elle-même1 qui 1 On vénère traditionnellement cette tunique sans couture à Argenteuil. On pourra lire à ce sujet∞∞: André MARION, Jésus et la science. La vérité sur les reliques du Christ. Paris, Presses de la Renaissance, 2000, p. 123-128∞∞; 145-228. intéresse saint Jean, c’est l’acte des soldats, auquel il attache à coup sûr une signification symbolique. De même, dans l’utilisation du psaume 21, 19, la Passion selon saint Jean diffère de celle des synoptiques. Il en a donné le sens dans la prophétie de Caïphe en 11, 49-52∞∞: «∞∞Jésus devait mourir non seule- ment pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.∞∞» L’évangéliste rappelle cette prophétie au moment de la comparution de Jésus devant Anne et Caïphe (18, 14)∞∞; il veut donc en montrer la réalisation dans son récit de la mort de Jésus. Il y relate quatre scènes en soulignant pour trois d’entre elles qu’elles accomplissent l’Écriture. La première scène est le partage des vêtements, où nous trouvons la tunique. La seconde, la seule sans cita- tion explicite de l’Écriture, mais contenant une allusion au psaume 86, 52, est parallèle à la première∞∞; aux quatre soldats qui se partagent les vêtements et tirent au sort pour désigner celui à qui sera confiée la tunique, correspondent les quatre femmes qui se tiennent près de la Croix (cf. Jn 19, 25)∞∞; la première d’entre elles est la mère de Jésus, à qui Jésus lui-même confie le disciple qu’il aimait. À la troisième scène, Jésus «∞∞donne l’Esprit∞∞»∞∞; à la quatrième, de son côté ouvert il sort du sang et de l’eau. Comment ces quatre scènes réalisent-elles la prophétie de Caïphe∞∞? Si à sa mort Jésus rassemble en «∞∞un∞∞» les enfants de Dieu dispersés, c’est bien la naissance de l’Église qui nous est montrée là. Jean ne nomme jamais l’Église∞∞; ce mot ne fait pas partie de son vocabulaire. Mais à la place il parle des «∞∞enfants de Dieu∞∞». Nous trouvons deux fois l’expression dans son évangile. Dans le prologue d’abord∞∞: «∞∞À tous ceux qui ont reçu le Verbe, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu∞∞» (1, 12- 13). Il s’agit bien là d’une nouvelle naissance se substituant à la nais- sance selon la chair. Puis, lors de la prophétie de Caïphe, où les enfants de Dieu sont rassemblés dans l’unité et forment donc l’É- glise. Si nous remarquons qu’en grec le verbe utilisé pour dire ras- sembler est synagô, ne peut-on pas penser qu’il s’agit d’un passage de la synagogue à l’Église, passage qui, à la seconde scène que nous avons évoquée, se fait par Marie, la Femme, Mère-Sion (cf. Ps 86, 5), devenue mère du disciple bien-aimé, le nouveau peuple de Dieu rassemblé à la Croix. À la troisième scène, Jésus donne l’Esprit, ce qui évoque la créa- tion d’Adam, dans les narines de qui Yahvé Dieu avait insufflé une 314 Marie-Noël Bouchard, ocso 2 «∞∞On appelle Sion ‘Ma mère’, car en elle tout homme est né.∞∞» haleine de vie (Gn 2, 7). Cette fois, ce n’est plus un simple souffle, mais l’Esprit que Jésus donne à l’Église qui naît de sa mort. Enfin à la quatrième scène, le témoin voit sortir du côté ouvert du crucifié le sang et l’eau, ce qui évoque la création de la première femme tirée du côté d’Adam (Gn 2, 22). Ces deux dernières scènes illustrent l’en- seignement de Jésus à Nicodème∞∞: «∞∞À moins de renaître d’eau et d’Esprit nul ne peut entrer au Royaume de Dieu∞∞» (Jn 3, 5). Et cette seconde naissance est d’en haut, ànôthen, avait dit Jésus au verset 3. Ànôthen, d’en haut, c’est justement ce que Jean nous dit de la tunique∞∞: elle était tissée d’une seule pièce depuis le haut (ek tôn ànô- then). Ainsi c’est à la naissance de l’Église que nous font assister les trois scènes qui suivent celle du partage des vêtements, et celle-ci nous l’annonce, la tunique figurant l’Église qui vient d’en haut. Jean ne dit pas seulement que la tunique était tissée d’une seule pièce, mais que les soldats, qui avaient fait quatre parts des autres vêtements de Jésus, se dirent entre eux∞∞: «∞∞Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l’aura∞∞»( Jn 19, 24). Cette tunique s’oppose donc aux vêtements partagés en quatre entre les soldats. Elle reste une. Nous avons une correspondance de l’évocation de cette unité à la quatrième scène de la mort de Jésus, dans la première des deux cita- tions qui en donnent la portée∞∞: «∞∞Pas un os ne lui sera brisé∞∞» (Jn 19, 36∞∞; cf. Ex 12, 46). La tunique, elle, ne doit pas être «∞∞divisée∞∞», sens exact du verbe grec employé par les soldats. Le peuple d’Israël était divisé devant Jésus (cf. Jn 7, 43). Il est représenté par les quatre parts de vêtements que se partagent les soldats. En opposition, la tunique sans couture, tissée tout d’une pièce, qui ne doit pas être divisée, représente l’Église qui naît d’en haut à la Croix. L’interprétation des Pères de l’Église3 Dans le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique, les Pères ont vu tout d’abord l’accomplissement de la prophétie formulée dans le psaume 21, 19. De l’image de la tunique, on trouve chez les Pères grecs diverses interprétations∞∞: c’est parfois le symbole de l’unité de l’Église, mais également la désignation de la nature divine unie à l’humanité du Christ∞∞; la tunique était tissée d’en haut, ce qui montre, dit saint Jean Chrysostome, «∞∞que ce crucifié n’était pas sim- plement un homme, mais qu’il possédait aussi d’en haut la divinité4∞∞». La tunique sans couture 315 3 Cette partie se base sur un article de Michel AUBINEAU, «∞∞Dossier patristique sur Jean 19, 23-24∞∞: La tunique sans couture du Christ∞∞», dans La Bible et les Pères, Paris, P.U.F., 1971, p. 9-50. 4 JEAN CHRYSOSTOME, Sermons sur l’évangile de Jean, 85, 1. Le même Chrysostome, suivi par d’autres Pères grecs, a vu également dans cette tunique un exemple de la pauvreté du Christ. C’est surtout dans la tradition latine que s’est développée l’inter- prétation qui reconnaît dans la tunique intacte le symbole de l’unité de l’Église. Elle remonte à Cyprien de Carthage dans son De catho- licæ ecclesiæ unitate. Cet ouvrage, qui date de 251, est le premier traité sur l’Église∞∞; il vise la situation concrète où elle était alors plongée avec la persécution de Dèce et la querelle autour des lapsi, le schisme carthaginois de Félicissime et le schisme romain de Nova- tien. L’ecclésiologie de Cyprien s’enracine dans la théologie biblique. Pour illustrer l’unité de l’Église il a recours à des images empruntées à l’Écriture, et parmi elles, la tunique du Christ. Ce sacrement de l’unité, ce lien de la concorde dans une indissoluble cohésion nous est montré dans l’évangile par la tunique du Seigneur Jésus-Christ. Elle ne peut pas du tout être divisée ni déchirée, mais elle est tirée au sort pour savoir qui revêtira le Christ. Le vêtement du Christ échoit au gagnant, la tunique lui revient sans être abîmée ni découpée. […] Elle figurait l’unité qui uploads/Religion/ 2005-4-bouchard.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 12, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.0578MB