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LOUVAIN IMPRIMERIE« NOVA ET VETERA • (Em. Warny) 2, rue Vésale, 2 ~., ;:1 ·~· { L La doctrine de saint Thomas sur l'individuation des substances corporelles Introduction On a beaucoup écrit ces dernières décades sur le problème de l'individuation des substances corporelles d'après saint Tho- mas <Il. Mais, bien que les travaux consacrés à cette question soient de grande valeur, la notion de materia quantitate signata (le prin- cipe d'individuation) n'a pas encore été suffisamment précisée. Pour y parvenir, différents points sont à étudier. En quoi consiste exactement le problème de l'individuation ? Quel est le rôle de la matière première dans l'individuation ? Quel est celui de la quan- tité, de la forme substantielle ? Pourquoi saint Thomas écrit-il en certains passages de ses œuvres que le principe d'individuation est la matière considérée avec des dimensions interminées, tandis qu'en d'autres il dit que c'est la matière avec des dimensions terminées ? Comment, enfin, doit-on comprendre l'expression: mate ria quantitate signata ? Telles sont les questions qui vont nous occuper et auxquelles nous allons essayer de répondre. 1. Les conditions de la possibilité interne de l'individu matériel 1. Le problème. Le problème est posé ici par le fait qu'il existe de multiples individus spécifiquement identiques. Pourquoi Azor et Médor sont-ils distincts, alors que ce sont tous deux des tll Cf., p. ex., Aimé FoREST, La structure métaphysique du concret selon saint Thomas d'Aquin, Paris, Vrin, 1931; Etienne GILSON, L'esprit de la philo- sophie médiévale (Giffard Lectures, 1931-32), vol. 1, chaJpitre X; Louis DE RAEY- MAEKER, Philosophie de l'Stre, Louvain, 1947; M.-D. RoLAND-GossELIN, Le «De 6 Joseph Bobik. chiens ? Pourquoi vous et moi, qui sommes également hommes, sommes-nous distincts l'un de l'autre ? Pourquoi toute substance corporelle est-elle distincte de toute autre, qu'elle appartienne ou non à la même espèce que cette autre ? La réponse qui saute aux yeux: << Je suis distinct de vous, parce que je suis né de mes parents et vous, des vôtres », bien qu'elle soit valide jusqu'à un certain point, n'est pas immédiatement pertinente. Le problème n'est pas: quelle est la cause ou quelles sont les causes extrinsèques qui pro- duisent cet homme individuel ou cet arbre individuel ? C'est plutôt: quelles sont les causes ou les principes intrinsèques à cet individu qui en rendent possible la production par sa cause extrinsèque ? Quels principes intrinsèques à cet individu rendent intelligible le fait qu'il est un individu, séparé dans son être de tout ce qui n'est pas lui, chacun de ces autres êtres étant d'ailleurs à son tour un individu ? Les causes extrinsèques, efficiente et finale, sont, bien sûr, requises pour rendre compte de sa production et de son dé- veloppement dans l'être. Ces causes extrinsèques présupposent cependant la possibilité intrinsèque de leur effet. Selon saint Thomas, l'individu doit, pour être intelligible, être indivis en soi-même et distinct de tout autre individu <"1• Or, si ente et essentia » de S. Thomas d'Aquin, Le Saulchoir, Kain (Belgique), 1926; Joseph B. WALL, The Mind of St. Thomas on the Principle of Individuation, dans The Modern Schoolman, vol. 18 (1940-41), pp. 41-44; Umberto DEGL'lNNOCENTI, Il pensiero di San Tommaso sul principio d'indioiduazione, dans Dious Thomas (Piacenza), vol. 45 (1942). pp. 35-81. (>1 « De ratione individui est quod sit in se indivisum et ab aliis divisum ultima divisione » (In Boethii De Trin., q. 4, a. 2, ad 3; vol. 28, p. 519 a). Il redit la même chose en maints autres endroits, par ex.: « De ratione individui duo sunt; scilicet quod sit ens actu, vel ens in se vel in alio, et quod sit divisum ab aliis quae sunt vel ;possunt esse in eadem specie, in se indivisum existens » (ln IV Sent., d. 12, q. l, a. 1, q. 3, ad 3; vol. 10, p. 295 b); «De ratione hypostasis duo necesse est esse, quorum .primum est quod sit per se subsistens et in se indivisa; secun- dum est quod sit distincta ab aliis hy1postasibus ejusdem naturae » (Quaest. dis- putai., De Pot., q. 8, a. 3, ad 7; vol. 13, p. 254 a). Nous citons les œuvres de saint Thomas d" après les éditions suivantes: Comment. in Metaph., éd. Cathala-Spiazzi. Comment. in Phys., éd. Léonine. Comment. in De anima, éd. Pirotta. De ente et essentia, éd. Roland-Gosselin, avec indication des pages et des lignes. Summa Theologiae, éd. Léonine. Summa Contra Centiles, éd. Léonine. Pour les autres œuvres, éd. Vivès. L'individuation des substances corporelles 7 l'individu est réellement indivis en soi-m~me, il doit y avoir en lui un ou des principes qui rendent compte de cette réelle in- division. De même, si l'individu est réellement distinct de tout autre, il doit y avoir en lui un ou des principes qui rendent compte de cette réelle division ou distinction. En fait, l'individu n'est distinct de tout autre que parce qu'il est indivis en soi. En d'autres termes, la distinction des autres est une conséquence du fait que l'individu est indivis en soi. Mais bien que les principes qui ex- pliquent l'indivision in se de la substance corporelle soient en fait les mêmes que ceux qui rendent compte de la distinction numé- rique des substances corporelles, on les comprend plus aisément de ce dernier point de vue. Quels sont donc ces principes internes de la distinction numérique des substances corporelles ? L'individu est, pour saint Thomas, ou bien un ens in se, ou bien un ens in alio <al. Il emploie donc le terme « individu 11 dans un sens plus large que nous ne le faisons généralement. Pour nous, un individu signifie d'ordinaire seulement l'individu qui est aussi un suppÔt < 41 • En d'autres termes, nous appelons individu ce qui pour saint Thomas est un suppôt. Traitant de la question de savoir s'il n'y a qu'une hypostase dans le Christ, saint Thomas remarque que l'emploi de certains mots ayant trait au vocabulaire de l'individuation est restreint aux individus substantiels. Ceci implique sans aucun doute que les in- dividus se trouvent également dans les genres autres que celui de la substance. Ainsi, par exemple, des mots comme hypostase, signi- fiant la substance individuelle, personne, signifiant la substance in- <•1 Voir le texte du Comment. in IV Sent. (d. 12, q. 1, a. 1, q. 3, ad 3) cité à la note précédente. <•1 James A. McWilliams expose en quelques mots, mais clairement, ce que signifie un supp$t dans la synthèse thomiste: « A supposit is a real, single, complete substance. When we say substance we mean « first substance », the ultimate in the real order, as opposed to «second substance», which is in the conceptual order. When we say single we mean that the oneness is real, not due to any grouping .by the mind into one unit, that the unit is such independently of the mind. Complete means that the substantial requisites for the species are . present. Completeness is of two kinds: integral, th us a man whose arm has been · amputated is integrally incomplete; and essential, th us the lluman soul after lhe death of the hody is an incomplete human being, an incomplete substance. Here is the difference between individual and 5UJPposit; the man is a swp.posit, hut the . separated soul, though an individual, is not a supposit » (The Supposil in the lnorganic World, dans The Modern Schoolman, vol. 18 (1940-41), p. 5). 8 Joseph Bobik dividuelle de nature rationnelle, supp$t, signifiant le sujet de l'acte d'exister, se disent d'individus qui rentrent dans le genre de la substance. D'autres mots, par contre, ne comportent pas cette restriction: ils signifient des êtres individuels de n'importe quel genre, substance comprise. Tels sont: singulare, particulare et in~ dividuum. Les termes qu'on vient de citer ne sont pas seulement appli- cables aux substances individuelles et aux accidents individuels, ils le sont aussi aux parties de la substance individuelle, qu'il s'agisse de parties substantielles (parties de la nature individ~ell: en tant que nature individuelle) ou de parties corporelles. AI~s~, par exemple, non seulement Pierre {ou cett~ couleur, cette quantlt~) est un individuum, ou quelque chose qu on peut appeler partz~ culare, singulare, mais cette main, cette âme séparée, et la nature humaine du Christ sont aussi des individua, particularia, singu~ Zaria !51. Ces derniers, bien qu'ils ne soient pas des accidents, sont (51 « I!lud autem quod est subsistens in natura, est aliquod indivi~u~m et singulare. .. Nominum autem quae singularitatem designant, qua edam ~Igmfican: singulare in quolibet genere entis, sicut .hoc nomen singulare et p~rh~~lare e individuum, quia haec albedo est quoddam singulare et particulare et md~vid.uum; nam universale et .particulare circumeunt amne genus. Quaedam vero s1gm~ca~t singulare solum in genere substantiae; sicut hoc nomen hypostasis, quod SI~nl­ ficat individuam substantiam; et hoc nomen persona, quod significat substantiam individuam rationalis naturae; et si militer hoc nomen suppositum vel res na~ur~e; quorum nullum de hac albedine ipOtest opraedicari, . qu.amvis hae~ albedo ~It si~­ gularis; eo quod unumquodque eorum significat ahqmd ut subs1stens, acc1denha vero non subsistant . uploads/Religion/ bobik1953-la-doctrine-de-saint-thomas-sur-l-x27-individuation-des-substances-corporelles.pdf

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  • Publié le Jan 01, 2022
  • Catégorie Religion
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