Florin Crîşmăreanu/ Corpus Areopagiticum dans l’interprétation de st. Thomas d’
Florin Crîşmăreanu/ Corpus Areopagiticum dans l’interprétation de st. Thomas d’Aquin 157 META: RESEARCH IN HERMENEUTICS, PHENOMENOLOGY, AND PRACTICAL PHILOSOPHY VOL. III, NO. 1 / JUNE 2011: 157-174, ISSN 2067-3655, www.metajournal.org Corpus Areopagiticum dans l’interprétation de saint Thomas d’Aquin∗ Florin Crîşmăreanu Université « Al. I. Cuza » de Iasi Abstract Corpus Areopagiticum in the Interpretation of St. Thomas Aquinas In this article I intend to highlight a fundamental difference that I have seized between Dionysius interpreted by Thomas of Aquinas and the author of Corpus Areopagiticum. In the first stage, I will present the way in which Thomas understands Dionysius as a simple Aristotelian, then the confession of faith of saint Thomas regarding that particular Dionysius from The Acts of Apostles 17, 34, without, however, noticing the fact that Dionysius invokes the Holy Trinity in his texts, a dogma established only in the first Ecumenical Council of Nicaea (325). However, the most obvious issue that radically separates the two thinkers (Dionysius and Thomas) is their way of understanding theology (θεολογία). Keywords: Dionysius the Areopagite, Thomas Aquinas, Aristotelianism, theology, Christology, divinity, knowledge I. Si le Corpus Areopagiticum s’était perdu, je pense qu’il aurait pu être facilement reconstruit à partir du Corpus Thomisticum. Car Denys l’Aréopagite a trouvé dans la personne de Thomas d’Aquin un lecteur privilégié, même un disciple, qui cite l’„obscure” l’Aréopagite 1701 fois1. Voulant excuser saint ∗ Acknowledgement: Cet article a été publié dans le cadre d’une période de recherche financée par le programme POSDRU/89/1.5/S/49944 („Developing the Innovation Capacity and Improving the Impact of Research through Post- doctoral Programmes”). META: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy – III (1) / 2011 158 Thomas d’avoir tant accordé à ce mystérieux théologien, É. Gilson explique: „depuis cette époque, l’imposante figure de Denys l’Aréopagite s’est réduite pour nous à la stature beaucoup plus modeste du Pseudo-Denys, auteur dont l’autorité doctrinale n’a cessé de décroître dans l’Église” (Imbach 1997, 161). É. Gilson suggère ensuite que la théologie de l’Aréopagite n’était pas très „saine” mais que saint Thomas ne s’est pas laissé „décourager” : en bon „prestidigitateur” il a su „métamorphoser le contenu” d’une pensée „obscure” – „beatus Dionysius in omnibus libris suis obscuro utitur stilo” (Aquinatis 1950, Proemium) – et „risquée”, „servile imitatrice des platoniciens” (Gilson 1992, 161). Le commentaire sur le traité De Divinis Nominibus considéré par tous les exégètes comme faisant partie de la liste des œuvres authentiques de saint Thomas. Selon J. Durantel, „saint Thomas ne faisait donc pas, en commentant les Noms Divins, œuvre nouvelle, puisque plusieurs les avaient déjà pris comme matière de leurs explications; mais un commentaire est toujours nouveau, puisqu’il vaut par ce que la pensée du commentateur en dégage ou y ajoute; que saint Thomas ait connu et sans doute utilisé les commentaires antérieurs, c’est infiniment probable. Les procédés utilisés par saint Thomas sont à la fois très simples et très compliqués. Très simples, parce qu’ils se répètent à chaque leçon, à chaque cours, avec une régularité un peu monotone; compliqués, on le verra, parce que saint Thomas divise et subdivise à l’infini” (Durantel 1919, 210-1). Par rapport à É. Gilson, la position de J. Durantel nous semble plus conforme à la lettre des textes thomasiens. S’il faut faire une comparaison entre le Super Dionysium De divinis nominibus (1249) d’Albert le Grand et le In librum Beati Dionysii De divinis nominibus (1261/1268) de Thomas d’Aquin, on observera une différence importante: tandis que saint Thomas s’applique à relever le côté néoplatonicien des Noms divins et en même temps à mettre la conception dionysienne des transcendantaux au service de son concept de l’être, Albert le Grand reste plus attaché à l’identité néoplatonicienne du traité en question (par exemple, la participation quantum potest). Florin Crîşmăreanu/ Corpus Areopagiticum dans l’interprétation de st. Thomas d’Aquin 159 Dans son commentaire sur le De Divinis Nominibus, saint Thomas énumère les difficultés d’interprétation de cette œuvre. Il en cite cinq: l’obscurité du style qu’il attribue non à l’inertie de l’auteur, mais à son dessein de soustraire les dogmes à la dérision des infidèles, l’emploi du vocabulaire platonicien, la prolixité et à la fois la concision de l’auteur et, enfin, la profondeur de sa pensée (Aquinatis 1950, Proemium). Il est important de savoir que Saint Thomas suit la traduction de Scot Érigène pour la Hiérarchie céleste et celle de Jean Sarazzin pour les autres œuvres. Commentant cet œuvre de Denys, saint Thomas n’utilise jamais le schéma néoplatonicien exitus - reditus qu’il emploie lui-même dans sa Somme Théologique (Chenu 1954, 261). Dans ce texte de saint Thomas, le schème néoplatonicien n’est pas lié au problème de la hiérarchie. Toutefois, Denys est un des auteurs auxquels saint Thomas a rencontré l’idée d’un univers hiérarchisé2, mais dans ce commentaire la seule hiérarchie à laquelle il se réfère est celle aristotélicienne, qui prend en compte les étapes de la connaissance - de la sensation à la science (Aristote 2005, 337- 9). Pour comprendre plus clairement la perspective thomasienne sur le Corpus Areopagiticum, je renvoie à une remarque singulière de saint Thomas: „Dionysius autem fere ubique sequitur Aristotelem, ut patet diligenter inspicienti libros ejus” (Aquinatis 1929, II, XIV, 2). Aux yeux de saint Thomas, Denys l’Aréopagite est un disciple d’Aristote. Cependant, le „disciple” Denys l’Aréopagite semble ignorer la portée du terme „démonstration” qui, depuis Aristote, indique la méthode procédant par syllogismes. Mais l’Aréopagite utilise toujours le vocabulaire néoplatonicien et il n’éprouve aucun besoin de faire appel à la méthode proposée par Aristote. Denys évite soigneusement toute activité polémique ou réfutative et ne semble pas se soucier de l’apologétique. Il fait même preuve d’une extrême réserve à l’égard de l’apologétique, comme L. Couloubaritsis suggère (Couloubaritsis 1981, 112-121). Concernant cette question, B. Landry remarquait avec justesse que „saint Thomas d’Aquin veut être disciple d’Aristote, plus que de Platon et il a un grand désir de construire la philosophie chrétienne selon le modèle rigide de la META: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy – III (1) / 2011 160 science péripatéticienne. Il s’efforce d’éliminer toute donnée puisée dans les aspirations subjectives de l’individu; il met en œuvre des concepts impersonnels, évidents pour tous qui s’imposeront à tous. Il aime à manier le syllogisme, et il a certainement dans ce raisonnement parfait une confiance plus grande que saint Bonaventure” (Landry 1922, 38). Toutefois, au-delà d’un Denys „aristotélicien”, pour saint Thomas l’auteur du Corpus Areopagiticum était ce Denys dont il s’agit dans les Actes des Apôtres (17, 34) et qui avait donc, en tant que contemporain et disciple des Apôtres, une autorité hors paire. Dans ce sens, il y a, dans la Summa Theologiae, une expression remarquable de la croyance de saint Thomas en l’identité de l’auteur des écrits dionysiens et du Denys des Actes (17, 34): „Sed circa hoc magis est credendum Dionysio, qui oculata fide inspexit hoc accidisse per interpositionem lunae inter nos et solem. Dicit enim, in epistola ad Polycarpum, inopinabiliter soli lunam incidentem videbamus, in Aegypto scilicet existentes, ut ibidem dicitur”3 (Aquinatis 1903, III, 44, 2). Thomas d’Aquin croit, comme toute son époque, que Denys l’Aréopagite est un auteur du premier siècle. D’autre part, Denys, dans les Noms divins, traite fréquemment du dogme trinitaire, rejetant les erreurs d’Origène et d’Arius („Et videntur esse posita ad excludendum errorem Origenis et Arii, qui posuerunt deitatem filii esse participatam” (Aquinatis 1950, II, 1, 1). Il est très étrange que saint Thomas n’observe pas cet anachronisme: si Denys se prétend un auteur du I-er siècle, comment peut il critiquer les erreurs d’Origène et d’Arius qui se développent aux III-ème et au IV-ème siècle? II. Dans son Commentaire des Noms Divins, saint Thomas d’Aquin procède, par rapport au texte de Denys, comme ce dernier procède par rapport à l’œuvre de Hiérothée. Mais est- ce que il s’agit de la même relation entre Denys et Hiérothée, d’une part et Denys et saint Thomas, d’autre part? Il me semble que les choses ne soient pas telles que saint Thomas les croyait. Selon Jean-Luc Solère, Thomas d’Aquin n’expose ses thèses philosophiques originales que dans les œuvres de théologie, suivant un ordre théologique (Solère 2002, 23). D’autre part, son but ultime n’est pas de produire une Florin Crîşmăreanu/ Corpus Areopagiticum dans l’interprétation de st. Thomas d’Aquin 161 philosophie „mais il en use, et s’il ne trouve pas toute faite celle dont il a besoin, il la produit afin de pouvoir en user” (Gilson 1960, 115). En métaphysique, Dieu est connu à partir des créatures comme la cause est connue à partir de l’effet; en théologie, Dieu est connu par sa propre révélation ou inspiration, c’est-à-dire par le mode de la cause elle-même (Aquinatis 1929, I, 1, 3). Quant aux créatures, les philosophes les considèrent selon la consistance de leur nature propre; le théologien, de son côté, étudiera les créatures dans leurs rapports avec Dieu, c’est-à- dire selon qu’elles „sortent” du premier principe et sont ordonnées a lui comme à leur fin (Aquinatis 1929, II, Proemium). La philosophie, prise dans un sens large, est une recherche de la vérité et du bonheur selon un mode de vie propre aux uploads/Religion/ 157-174-f-crismareanu-meta5-tehno.pdf
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- Publié le Jan 21, 2022
- Catégorie Religion
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