Comprendre la kabbale Quentin Ludwig De Rabbi Siméon bar Yochaï (2e siècle) à M
Comprendre la kabbale Quentin Ludwig De Rabbi Siméon bar Yochaï (2e siècle) à Madonna (21e siècle) © Groupe Eyrolles, 2006 ISBN 2-7081-3676-3 27 Qu’étudie la kabbale ? Le but de la kabbale, nous l’avons dit, est double. D’abord mystique (c’est-à-dire l’approche de Dieu, l’union mystique avec Dieu, la dévékouth) et ensuite ésotérique (c’est-à-dire la découverte des secrets cachés concernant la divinité dans ses relations avec l’homme). Quels sont ces secrets cachés ? Sur quoi portent-ils ? Selon la période historique, l’étude de ces secrets peut se canaliser sur des sujets particuliers mais, en règle générale, l’élucidation des secrets concerne les grands thèmes classiques que sont la création du monde, les récits bibliques, les commandements de Dieu (les mitsvoth), les interdits de la religion juive, les raisons des règles liturgiques, l’élucidation des lois juives (halakha), l’exil des juifs et, enfin, les fins dernières (eschatologie). On voit ainsi qu’aucun sujet de la vie juive n’échappe réellement à la kabbale. Nous verrons par la suite que les grands ouvrages de la kabbale sont quasi tous des commentaires des ouvrages bibliques (le Pentateuque, le Cantique des Cantiques, les Psaumes, Ruth, le prophète Ézéchiel) ; c’est la raison pour laquelle avant de s’attaquer à la kabbale, il est nécessaire de bien connaître ces textes bibliques et d’être imprégné de leur sens obvie, c’est-à-dire commun. Dans un autre domaine, la kabbale est sans doute la seule « théologie » à proposer une explication intéres- sante (et religieusement plausible) à l’exil du peuple juif ; elle seule aussi donne des justifications aux différentes transgressions de la Loi juive, ces transgressions (nous verrons plus loin comment) s’approprient et réduisent les forces du mal. C’est en partie cela qui a expliqué la large adhésion du peuple juif à la kabbale et son énorme pouvoir de rassemblement des masses. Sans se tromper, on peut © Eyrolles Pratique Comprendre la kabbale 28 affirmer que la kabbale possède un réel pouvoir politique mais que la politique n’est pas de son domaine. On ne peut donc que regretter que certains « kabbalistes » actuels s’associent en Israël à un parti politique et mêlent sans vergogne mysticisme, kabbale magique et politique. Mais la plus grande gloire de la kabbale est d’avoir fait comprendre aux juifs que Dieu a besoin des hommes. Il ne s’agit pas ici d’une quelconque « complicité » de l’homme avec Dieu, comme elle peut se rencontrer dans le judaïsme rabbinique, d’un homme co-créateur avec Dieu, mais d’un besoin réel de l’homme pour la divinité, d’un appel au secours de la divinité, appel auquel seul l’homme peut répondre. Bien entendu, certains penseurs ont déjà dit, sous forme de boutade, que Dieu a besoin des hommes car que ferait-il sans eux, qui le glorifierait ? Mais ici, il ne s’agit pas d’un besoin narcissique de la divinité mais d’un besoin quasi vital (si je puis m’exprimer ainsi) car seule l’intervention de l’homme permettra à la divinité de retrouver son Unicité perdue en unissant la Chekhinah (la part féminine de Dieu) à Ein Sof (le Dieu-infini, inconnaissable, hors de l’entendement humain). Aucun monothéisme n’est allé aussi loin. Dans l’Antiquité, bien des hommes ont quitté leur Dieu car il ne leur donnait pas « satisfaction » et optaient pour une autre monolâtrie (dans la monolâtrie, les Dieu sont interchangeables mais on choisit de n’en adorer qu’un seul ; ainsi est né le monothéisme). À l’époque actuelle, bien des hommes quittent, pour la même raison, une religion pour une autre, tout en gardant généralement le même Dieu. Mais dans ce cas, c’est l’homme qui manifeste son besoin de Dieu et non l’inverse. Avec la kabbale, l’homme humilié (expulsé, insulté, torturé) sort grandi non seulement par rapport aux événements mais aussi par rapport à son Dieu. Il n’est donc guère étonnant qu’aujour- d’hui des hommes en quête d’une spiritualité entrent dans le bouddhisme puis le quittent pour la kabbale car, comme dans le bouddhisme, le génie inventif de la kabbale est incroyable et offre à chacun la possibilité de trouver son chemin dans la spiritualité. Ainsi, à la « double vérité » des bouddhistes (vérité conventionnelle et vérité ultime) qui permet toutes les interprétations (y compris la © Eyrolles Pratique 1. La kabbale des docteurs juifs 29 logique du tétralemme), on pourrait opposer l’interprétation ésoté- rique de la kabbale (le sod) qui permet — par le truchement de l’ana- lyse fine assistée par la guématria (calcul sur les mots) et la témourah (permutation des lettres) toutes les interprétations. Dans la kabbale, comme dans le bouddhisme, rien n’est fondamentale- ment faux mais, sur terre, rien n’est fondalement vrai non plus, pas même la Thora qui à la fin des temps sera lue tout autrement. Comme le bouddhisme, la kabbale apporte à l’homme un supplé- ment de spiritualité susceptible de combler aussi bien les intellec- tuels que les gens simples (dans le hassidisme). Mais, ainsi que nous l’avons dit, la kabbale apporte à l’homme ce qu’aucune autre spiri- © Eyrolles Pratique Savant juif étudiant l’astrologie L’astrologie a été dès les premiers siècles une partie importante, et encore méconnue, de la kabbale. Un spécialiste de la kabbale, Moshé Idel, n’hésite pas à écrire aujourd’hui qu’ « il m’est apparu avec une netteté croissante que la compréhension de certaines formes de messianisme avait beaucoup à gagner de l’étude du modèle talismanique et de certaines formes d’astrologie »1a. Comprendre la kabbale 30 © Eyrolles Pratique tualité ou religion ne lui annonce : un rôle majeur dans le destin de la divinité. L’homme n’est plus seulement co-créateur avec Dieu, il est une étincelle de Dieu qui participe à son destin. Dieu a besoin de l’homme, le kabbaliste le sait et sait comment remplir son rôle sur terre pour se sauver et sauver son Dieu de la dés-union divine (le Dieu infini, Ein Sof, est séparé de sa part féminine, dont la présence accompagne l’homme dans son exil, conséquence du péché d’Adam et d’Ève). L’Exil prend un sens. L’accompagnement de la présence de Dieu dans l’Exil (la Chekhinah) prend un sens. La vie prend un sens. L’observation des commandements prend un sens. Qui s’étonnera qu’avec un tel programme la kabbale ait fasciné les hommes ? Bien entendu, nous reviendrons sur ces différentes notions dans le courant de ce texte en tentant de les expliciter le mieux possible mais, ainsi que le lecteur a pu s’en apercevoir, les notions sont denses et ne se laissent pas enfermer dans quelques mots. ÉSOTÉRISME/EXOTÉRISME La notion d’exotérisme et son pendant, l’ésotérisme, apparaissent régulièrement dans les textes lorsqu’il s’agit de religion. Il convient d’en faire, dès maintenant, la distinction de manière à ne plus devoir revenir sur ce sujet. Par exotérisme, on entend toutes les doctrines et les enseignements de la religion tels qu’ils sont divulgués à l’ensemble des pratiquants. Le sens exotérique d’un texte, c’est son sens obvie, son sens commun ; le sens qui apparaît à quiconque maîtrise la langue du texte. Par ésotérisme, on entend les enseignements oraux qui ne sont divulgués qu’à certains initiés. L’ésotérisme s’accompagne égale- ment de rites et de croyances magiques auxquels n’accèdent que les initiés selon leur degré de connaissance. Les initiés forment souvent des « confréries » et respectent le secret des choses révélées (c’est la loi de l’arcane). Ces notions existent dans toutes les religions et se constituent parfois en un courant religieux comme, par exemple, la kabbale chez les juifs (mais, nous le verrons, la kabbale n’est pas .../... 1. La kabbale des docteurs juifs 31 uniquement un courant ésotérique). Pour accéder au sens ésotérique, non obvie, des textes et des gestes liturgiques, le croyant doit non seulement prendre un maître (ou s’affilier à une corporation dont il respectera la règle du secret, la règle de l’arcane) mais doit également s’astreindre à apprendre et utiliser diverses méthodes lui permettant d’accéder au secret. Il est à noter que dans la kabbale, même si de nombreux textes ont été écrits, on sait que les techniques physiques permettant de parvenir à l’extase, à l’union mystique avec Dieu (la dévékouth des kabbalistes) n’ont été révélées que de manière orale. Au sujet de l’arcane, il est dit dans le Talmud : « On ne doit pas interpréter les chapitres concernant les relations sexuelles interdites devant trois personnes, ni le récit de la Création devant deux personnes, ni le récit qui a trait au Char céleste devant une seule personne, à moins qu’il ne s’agisse d’un sage capable de comprendre par lui-même2. Un versant mystique et un versant pratique La Kabbale est en réalité composée de plusieurs disciplines et phéno- mènes religieux qui s’enchevêtrent et se fortifient : la mystique, la théosophie, la magie, la cosmologie, l’angéologie, la démonologie, l’astrologie, la chiromancie, etc. Pour plus de clarté, on pourrait diviser la kabbale en un versant mystique, en un versant pratique et en un versant magique. Le versant mystique cherche tous les moyens pour communier de manière plus intuitive avec Dieu, pour participer plus « physiquement » au divin. Il cherche à dévoiler les mystères de la vie cachée de Dieu (ce qu’on appelle uploads/Religion/ chap1-ludwig.pdf
Documents similaires










-
33
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 09, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 1.7464MB