Les mécanismes de la pratique de la magie en Egypte ancienne. Par Robert Kriech

Les mécanismes de la pratique de la magie en Egypte ancienne. Par Robert Kriech Ritner. 1993 Chapitre I. Vers une définition de la magie. Dans toute discussion concernant les formules et techniques de magie; on est confronté à l’absence complète de critères partagés pour définir ce qui constitue exactement la « magie ». Trop souvent, à la fois les pratiques religieuses et médicales d’une culture ou d’une époque deviennent magiques quand on les voit sous la perspective d’un autre. Peut- être, ceci n’est-il pas plus clair ailleurs que dans le cas du développement de l’église chrétienne, qui a été persécutée pour des actes de magie par la Rome païenne, et qui en retour a persécuté les païens et les hérétiques pour la même offense quand elle a atteint le pouvoir, et finalement, fut à nouveau le sujet de dénonciations pour des pratiques de magie par les groupes protestants schismatiques. De façon similaire, de nombreuses prescriptions médicales de l’auteur romain Pliny seraient certainement considérées aujourd’hui comme « magiques », en dépit de la dénonciation par l’auteur des magiciens et de leur pratique. Ce fantasme inhérent au mot moderne « magie » -appliqué par boutade personnelle aux croyances stigmatisées comme étant mauvaises ou fausses- met en parallèle l’évolution péjorative du mot « mythe » et, comme lui, semble être un héritage du monde gréco-romain. Ce point de vue est devenu si enraciné dans la pensée occidentale que deux conséquences très sérieuses sont nées pour toutes les études égyptologiques modernes du concept. D’abord, les connotations négatives de la « magie » -en tant que subterfuge frauduleux ou « science » détournée- ont empêché des traitements vraiment favorables du phénomène en Egypte. Donc, les scientifiques précédents, contraints de discuter du sujet, déclarent expressément leur dégoût pour cette matière. Aux frontières de la religion d’un coté, et de la médecine de l’autre, la magie a été considérée comme inférieure aux deux et a souvent reçu un traitement seulement sommaire dans le cadre de l’étude de l’une ou de l’autre. Deuxièmement, la très grande incertitude des lignes exactes de démarcation (si elles existent) des frontières entre la religion, la magie, et la médecine, ont rendu les distinctions théoriques entre elles insoutenables en pratique. La désignation de tout texte comme étant « magique » par opposition à « religieux » ou « médical » est souvent hautement problématique et subjective. L’existence même d’une formule dans un contexte médical a suffi à stigmatiser cette formule comme étant « magique » même quand la forme du traitement décrit ne peut pas se distinguer des autres au sein du même papyrus. Par rapport à la religion, l’emphase a été placée sur la phraséologie de la récitation et l’attitude de celui qui la prononce. Vue toujours sous une perspective occidentale, la « religion » devait être distinguée de la « magie » par l’attitude pieuse du pratiquant, l’humble supplication de ses prières, et la vision noble de ses rituels et de sa théologie. En contraste, la magie demandait hubris et blasphème de la part de ses dévots, ses formules ne supplient pas mais menacent, et ses buts étaient immédiats, limités, et personnels. Les limites de cette approche deviennent aisément apparentes quand on essaie de l’appliquer à des textes réels. Chapitre I. Vers une définition de la magie. Plus particulièrement, la littérature funéraire –textes des Pyramides, textes des Sarcophages, livre des Morts, et divers textes dans les tombes royales du nouvel Empire- a montré de la résistance à une classification consensuelle. Clairement conçus pour un individu unique (le propriétaire de la tombe), ces textes « personnels » fournissent déjà les plus grands aperçus sur les préoccupations religieuses du pays, incluant la relation des dieux avec les hommes, la conception de l’au-delà, le jugement des péchés, etc… De plus, il y a une petite hésitation de la part de celui qui prononce ces formules à mêler la prière et les menaces, « prière » respectueuse et demandes. Les opinions concernant la nature de cette littérature, ont, en conséquence, varié. Ces limitations deviennent bien plus aigües, cependant, quand on trouve que le même texte peut apparaître dans les deux contextes, « magique » et « religieux ». Ainsi, le papyrus « magique » Harris dont le titre le décrit comme contenant des formules pour enchanter des crocodiles inclut des hymnes bien connus au dieu Shou que l’on trouve également dans une utilisation religieuse en « utilisation principale » sur les murs du temple à Philae et Hibis. Séparés de leur contexte, ces textes sont identiques. La dépendance première de la formule prononcée comme indicateur d’un texte magique est donc clairement non fiable, et les éditeurs sont souvent incapables de faire une quelconque différence formelle. On peut dire que T.G.H. James donne un exemple type du problème quand il cherche à l’éviter, en qualifiant un papyrus de « magico-religieux ». Nulle part la nature subjective de la classification actuelle n’est plus présente que dans le traitement accordé au papyrus Salt 825 (= papyrus BM 10051). D’abord publié par Birch en 1863, le papyrus fut dénigré comme consistant en « la magie la plus absurde ». En préparant la seconde édition de 1965, Derchain fut d’abord de la même opinion : « …j’ai pu difficilement me défendre d’un mouvement défavorable. Ecriture facile, sans doute, mais quelle littérature ». Au cours de son analyse, cependant, Derchain devint conscient des correspondances entre le texte et les rituels contemporains, et a radicalement réévalué le papyrus. « J’ai découvert tout l’intérêt de ce document qui se révélait contenir les restes d’un authentique rituel, au lieu d’être ce manuel de magie d’assez basse qualité qu’on avait vu jusqu’ici ». Bien que le mérite du siècle pour l’avancée dans la compréhension de l’égyptien qui est incorporée dans la traduction de Derchain ne peut pas être négligé, une comparaison des deux traductions révèle que le contenu essentiel du texte –les propriétés accordées aux plantes et la façon de faire un personnage en cire- demeure le même en 1965 qu’en 1863. Chapitre I. Vers une définition de la magie. La réhabilitation du papyrus Salt 825 de « manuel magique de qualité médiocre » en « rituel authentique » ne dérive pas d’améliorations dans la traduction, mais exclusivement du changement de perspective de l’éditeur. Les éléments perçus à l’origine comme magiques étaient encore clairs pour Borghouts en 1972 quand il se sentit forcé d’inclure le papyrus dans son étude des textes magiques, acceptant même sa reclassification comme « rituel ». Si les méthodes présentes ont été incapables d’isoler de façon uniforme les matériaux correspondant à la magie, la faute n’est peut-être pas due uniquement à l’emphase indue placée sur la formule prononcée, mais aussi aux définitions opérantes de la « magie » utilisées par différents scientifiques. Une telle variation dans la définition sous-jacente de la magie a de façon évidente influencé les interprétations divergentes du papyrus 825 comme mentionné ci-avant. Le plus souvent, aucune définition formelle de la magie n’accompagne les études du sujet car l’investigateur a supposé –de façon erronée- que sa compréhension personnelle du terme est à la fois appropriée pour un contexte égyptien et implicitement partagée par ses collègues. Au témoignage déjà avancé en réfutation de la supposition précédente de critère partagé, on peut ajouter le désaccord habituel, rencontré aussi dans les études classiques et anthropologiques, pour savoir si les oracles et la divination doivent être incluses parmi les pratiques magiques. Certains scientifiques, le plus notable étant Budge parmi les égyptologues, ont eu tendance à rassembler toute sorte d’activités « superstitieuses » dans le royaume de la « magie ». Donc non seulement les oracles, mais aussi les calendriers de jours de chance et de malchance, les rêves, les horoscopes, et même le culte des animaux ont été associés de façon plutôt incongrue à la « magie ». Des objections encore plus sérieuses peuvent être soulevées en ce qui concerne la supposition de l’applicabilité de définitions « standardisées » du dictionnaire moderne pour la magie à un contexte d’Egypte ancienne. Une étude sommaire des données en provenance d’une de ces sources suffira à révéler l’imprécision du langage moderne pour une pratique ancienne. « la magie peut être largement définie comme une tentative, à travers la prononciation de mots choisis ou la réalisation d’actes choisis, de contrôler ou faire plier les puissances du monde à la volonté de l’homme ». Une telle définition place une accentuation indue sur le rôle de l’homme dans la pratique de la magie, car comme on le verra, c’est avant tout les dieux qui sont censés exceller dans cet art. En fait, la plupart des textes de magie privée nécessitent l’assimilation du praticien à une déité en vue de réussir. Cette consécration de l’usage de la magie par les dieux a des implications profondes pour les tentatives de distinguer la magie de la religion. Chapitre I. Vers une définition de la magie. La magie est « l’utilisation de moyens (tels que des cérémonies, des charmes, des formules) dont on croit qu’ils ont un pouvoir surnaturel de permettre à uploads/Religion/ conception-de-la-magie-chez-le-egyptien-pdf.pdf

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  • Publié le Dec 09, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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