André Dumas Une transfiguration mutuelle : bouddhisme-christianisme In: Autres

André Dumas Une transfiguration mutuelle : bouddhisme-christianisme In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°27, 1990. pp. 38-41. Citer ce document / Cite this document : Dumas André. Une transfiguration mutuelle : bouddhisme-christianisme. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°27, 1990. pp. 38-41. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1990_num_27_1_1399 UNE TRANSFORMATION MUTUELLE : BOUDDHISME- CHRISTIANISME André Dumas Les athéismes passent, les religions renaissent Toutes les prédictions, tant philosophiques et sociologiques que théolo giques, sur l'avenir de la religion, du 18e siècle à 1945, se sont révélées fausses. Les philosophes des lumières, s'ils n'éteignaient pas complète ment le ciel, comme aspiration, salutaire crainte et éventuelle rétribution, clamaient essentiellement la raison. Toutes les religions, y compris la plus morale, la plus purifiée et la plus universelle, le christianisme, ne pou vaient subsister qu'à titre de représentation provisoire de plus ultime qu'elles, toujours la raison. D'autant qu'à partir de la moitié du 19e siècle allaient grandir ce que l'on a appelé, sans doute abusivement, les religions séculières, avec leur mélange de scientisme et de messianisme, de popul isme et d'espoir. Non seulement les religions, toutes les religions, celle d'Europe comme celles du Moyen-Orient, d'Asie et d'Afrique, allaient disparaître. Elles le devaient, pour l'avenir de l'humanité. Vieille rengaine désormais que tout ce discours, démenti par les faits. Les idéologies se sont effondrées comme des châteaux de cartes. Et les religions, les plus traditionnelles et les plus récentes, montent comme nouv elle vague. Mais les théologies se sont autant trompées que les philosophies. Pour prendre un seul exemple frappant, Dietrich Bonhoeffer était convaincu, dans ses lettres de prison, que le monde entier était en train de devenir non-religieux et que le vrai problème pour le christianisme serait de savoir comment la foi allait durer et s'exprimer sans religion. Karl Barth était moins assuré dans ses prédictions, mais il ne s'intéressait vraiment qu'à la révélation de Dieu en Jésus-Christ, face aux diverses religions des hom mes, tout comme Bultmann ne s'intéressait qu'à la décision de la foi, et André Dumas est théologien protestant. John B. Cobb, Bouddhisme-Christianisme. Au-delà du dialogue ? Labor et Fides, 1988. 38 pas aux diverses expériences religieuses de l'humanité. Certes, il y avait bien eu de grands savants pour tenter chacun leur typologie du phéno mène religieux : les grands jésuites, arpenteurs de la Chine, du Japon, des Amériques, puis Rudolf Otto, Troeltsch, Max Weber et aussi, moins con nus parmi nous, Eugène Burnouf, Northrop. Mais on gardait le sentiment qu'en devenant objets d'études, les religions cessaient peu à peu d'être sujets de croyances. Il faut mettre à part seulement deux noms, Mircéa Eliade et Paul Til- lich, tous deux convaincus de la pérennité et de la richesse des diverses religions. Or aujourd'hui, il n'est pas théologien qui ne fasse de l'interreligieux un objet d'étude central pour la théologie, je cite seulement deux titres signalés par Pierre Gisel dans sa préface à Cobb : Hans Kung, Le Chris tianisme et les religions du monde, en allemand, en 1984 ; en français aux éditions du Seuil en 1986. Gérard Siegwalt, Dogmatique pour la catholi cité évangélique — 2. p. 108-499. Labor - Cerf 1987. A ce total renversement, je donnerai, dans le désordre, quelques expli cations hypothétiques. Depuis bientôt 2000 ans, la théologie chrétienne a vécu avec un unique partenariat culturel : la Grèce et Rome, qu'elle a combattu certes, mais plus encore incorporé. Au centre, la Méditerranée, même quand il s'est agi par la suite, de la mer du Nord, puis de l'Atlantique. Mais maintenant le centre se déploie vers le Golfe, l'Océan indien, le Pacifique. De tout autres partenariats s'ouvrent et ce n'est pas un hasard, si John Cobb, né au Japon de missionnaires méthodistes américains, enseigne en Californie et s'est spécialisé dans le bouddhisme mahayana japonais, plus largement dans le bouddhisme zen et la « terre pure ». Si le 19e siècle a été le siècle de l'expansion missionnaire chrétienne, le 20e est en train de devenir celui de l'expansion non chrétienne, avec un mélange de curiosité, d'attrait, de sérénité et de peur. Enfin et surtout, nous avons beaucoup de mal à remplir d'un contenu le nouveau mot en faveur : pluraliste, alors que les deux autres mots : sécularisé et laïc, sont déjà des mots qui appartiennent à la période précé dente. Pluraliste veut-il dire relativiste, perspectiviste, sans unicité de la vérité ? Ou pluraliste veut-il dire disponibilité à se laisser transformer par la vérité qui est aussi en l'autre, seule condition pour que l'autre soit aussi transformé par la vérité qui est en nous ? Le choix de Cobb est évident et donne toute la force à ce livre sans concession : c'est le second sens. Mais peut-on se transformer sans se perdre ? L'Orient aux yeux de l'Occident : attirances et répulsions Le livre de John Cobb marque une date. Écrit entre 1976 et 1980, entre Etats-Unis et Japon, il est paru en anglais en 1982 et a été traduit chez 39 Labor et Fides en 1988. John Cobb est un dogmaticien averti, grand représentant de la Process-théologie. Son meilleur connaisseur en français est le professeur André Gounelle, de Montpellier, qui a écrit sur trois christologies américaines, celles de Tillich, d'Altizer et de Cobb, son livre Le Christ Jésus, quarante-et-unième ouvrage de la féconde collection Jésus et Jésus-Christ, dirigée par Joseph Doré, aux éditions Desclée, en 1989. Cobb veut aller au-delà du dialogue, vers une transformation mutuelle du christianisme par le bouddhisme et du bouddhisme par le christia nisme, comme cela s'est passé par exemple, dit-il, entre le néoplatonisme et le christianisme. A la suite en particulier du père Congar, il commence par distinguer soigneusement entre l'Inde, avec sa recherche acosmique du soi , en vue de son extinction, et la Chine confucienne, avec sa recherche sociale de l'harmonie cosmique, toutes deux s'opposant d'ailleurs toujours à l'Occi dent, dont les trois grandes erreurs, sans cesse dénoncées, seraient le dua lisme, le substantialisme et l'individualisme. Puis Cobb raconte avec une grande clarté intelligente les avatars histo riques de cette triple rencontre. Au 13e siècle, la Chine attire les Jésuites par ses vertus et sa science, tan dis que le bouddhisme apparaît perclus de sorcellerie. Au 18e siècle, on rêve plutôt de la Perse, tandis que la Chine repousse par son despotisme, son népotisme, et que le bouddhisme est jugé péjora tivement athée et passif. Il faut donc attendre le 19e siècle pour que, dans la grande vague rel igieuse du romantisme, Bouddha et Jésus soient mis côte à côte comme des exemples attirants, d'autant plus qu'on évite le grand problème du boud dhisme, l'aspiration au vide et que l'on glisse à la place l'aspiration uni verselle à l'immortalité. Schopenhauer est sans doute le philosophe qui approche le plus près du secret du bouddhisme : sortir de la souffrance par la cessation de l'égocentrisme volontaire. Mais personne ne franchit quand même les frontières entre l'Orient et l'Occident. Le détachement et le vide Nous voici au cœur du livre de Cobb qui rapporte surtout ici ce qu'il a hérité de ses amis bouddhistes. La liberté se trouve dans le non attachement total. Il n'y a aucune servi tude, pas même envers le Christ ou Bouddha. On ne regrette rien. On n'espère rien. On ne lutte pour rien, On ne repousse rien. Alors on est pleinement présent, pleinement dénué de culpabilité et d'anxiété, plein ement « content » (p. 107). Je retrouve ici Spinoza, plus encore que Maître Eckhardt. Suzuki qui a beaucoup discuté dans les années 60 aux Etats- Unis avec le moine catholique Thomas Merton, décrit le christianisme 40 comme « affectif, personnel et dualiste » et, par opposition, le Zen comme « non affectif, non personnel et non dualiste » (p. 96). Cobb insiste sur l'importance dû" vide, la dissolution de tous les fonde ments, la suppression de l'importance du temps, comme étant l'expé rience principale du bouddhisme, et il ne cache rien de ce qui désoriente ici un chrétien, habitué de toujours à un Dieu personnel, qui s'attache à l'homme et auquel l'homme s'attache, à la transcendance de ce Dieu, qui ne se confond pas avec la « coalescence » du continuum du sensible, et à l'orientation du temps de l'histoire vers un Royaume, encore en partie futur. Mais on sent Cobb, émotionnellement et conceptuellement, impres sionné par la sérénité, nullement repliée sur elle-même des bouddhistes, par leur profondeur, par tout ce qu'il apprend d'eux pour compléter un christianisme trop circonscrit, ou vivre de pure spontanéité et de pure réceptivité, en quelque sorte bouchant l'ouverture par l'attachement. Toute cette partie est forte. Elle correspond aux reproches si souvent faits contre le trop de détermination dans la théologie, la conduite et l'annonce chrétienne comme si l'attrait du bouddhisme tenait surtout dans son renoncement heureux. Enrichissements mutuels ? À mes yeux, le dernier chapitre du livre : « Le témoignage chrétien adressé aux bouddhistes » est le plus faible. Cobb voit une identification entre Amida et le Christ par le biais du logos. Mais cela demeure du brico lage assez inconsistant. uploads/Religion/ une-transfiguration-mutuelle-bouddhisme-christianisme.pdf

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  • Publié le Mai 04, 2022
  • Catégorie Religion
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