Poésie/ Gallimard DENISE DESAUTELS L’ angle noir de la joie suivi de D’ où surg
Poésie/ Gallimard DENISE DESAUTELS L’ angle noir de la joie suivi de D’ où surgit parfois un bras d’horizon Préface de Louise Dupré c o l l e c t i o n p o é s i e DENISE DESAUTELS L’angle noir de la joie suivi de D’où surgit parfois un bras d’horizon Préface de Louise Dupré GALLIMARD © Éditions Arfuyen, Paris-Orbey, 2011, pour L’angle noir de la joie. © Éditions du Noroît, Canada, 2017, pour D’où surgit parfois un bras d’horizon. © Éditions Gallimard, 2022, pour la préface et la présente édition. Couverture : Betty Goodwin, Red Sea, 1984 (détail). Musée d’Art contemporain de Montréal. Avec l’aimable autorisation de la Succession Betty Goodwin. Photo Richard-Max Tremblay/MACM Portrait de Denise Desautels, d’après photo © Justine Latour. ÉCRIRE : EN ÉTAT DE DOULEUR, EN ÉTAT DE PLAISIR […] J’imagine une histoire archéologique qui retrace le désir détourné, épuisé ; qui en provoque l’éclat. denise desautels, Un livre de Kafka à la main C’est en archéologue de l’intime que, de son propre aveu, Denise Desautels aborde l’écriture. Depuis la parution de son premier recueil de poésie, en 1975, aux Éditions du Noroît, elle a consacré son parcours à fouil ler sa mémoire enfouie pour la mettre en relation avec la mémoire collective, plus particulièrement celle des femmes. À partir de réminiscences, de souvenirs d’en fance associés au monde féminin, elle accomplit un inlassable travail en amont pour y créer un ordonnan cement, en arriver à une compréhension du passé et, de là, à une capacité d’agir sur sa propre vie. Montréalaise de naissance, elle a vécu son adoles cence à l’ombre de la Révolution tranquille, période charnière pour le Québec, qui s’est alors mis au diapa son du monde contemporain, aussi bien sur le plan sociopolitique qu’artistique. De nouvelles idéologies, comme le marxisme, la contre-culture et le féminisme, y font alors leur apparition. Les femmes, jusque-là fort 7 discrètes dans l’univers poétique – à l’exception de cer taines, telle Anne Hébert –, commencent à s’imposer dans la poésie québécoise. Pensons à Nicole Brossard qui, avec Le centre blanc, en 1970, remet radicalement en question la vision poétique de ses devanciers en pro posant une esthétique inédite au Québec, inspirée de la revue Tel Quel, avant d’assumer un je féminin sub versif et rebelle dans une textualité hybride, mêlant poésie, narrativité et réflexion sur l’écriture. Pensons aussi à Madeleine Gagnon et à France Théoret qui, chacune à sa façon, travaillent à l’élaboration d’une subjectivité affranchie des modèles traditionnels de la féminité dans une poésie se voulant résolument post moderne. Denise Desautels participe à la deuxième vague de ce renouveau littéraire : elle est l’une des chefs de file du courant qu’on a nommé l’écriture de l’intime, dans lequel les femmes poètes, au tournant des années 1980, ont voulu transgresser les interdits et briser le silence, en adoptant une posture autobiographique leur permet tant de mettre des mots sur le non-dit de leur passé : « Car les secrets, souvent sournois et inavouables, ont besoin de lumière, c’est-à-dire de pensée, de langage et de voix, pour ne pas s’envenimer », écrit l’autrice dans la présentation de son recueil L’angle noir de la joie. Le noir colore toute l’œuvre de la poète, comptant une quarantaine de titres, qui ont reçu de nombreux prix et distinctions. Le noir prend différentes nuances selon les livres, les sujets abordés et les émotions convo quées. Il permet de percer les ombres, de pénétrer dans l’obscurité du silence, d’explorer la douleur, de la 8 regarder sous tous ses angles, de l’apprivoiser ou de la disséquer afin de la tirer vers la lumière. La poésie de Denise Desautels est une lente remontée du temps et des nombreux deuils qui ont marqué sa vie, en tout premier lieu celui de son père, mort quand elle avait cinq ans. Cet événement deviendra le noyau central des réminis cences, le souvenir des souvenirs autour duquel s’arti culeront les premiers livres, et cela d’autant plus que cette perte sera suivie par plusieurs autres décès dans la famille, comme en témoigne le récit autofictif Ce fauve, le Bonheur, publié en 1998. Des textes comme le récit poétique La promeneuse et l’oiseau, en 1980, ou Un livre de Kafka à la main, en 1987, explorent en effet la douleur d’une enfance sans père sous l’emprise d’une mère dévorante, durant la Grande Noirceur, période d’obscurantisme s’étendant de 1944 à 1960, année qui marque l’avènement de la Révolution tranquille à la suite de la mort du premier ministre Duplessis. Mais le passé lointain restera un motif récurrent dans toute l’œuvre de Denise Desau tels : il réapparaîtra, par touches discrètes, dans une atmosphère, une figure, une réflexion, ou dans les mots orpheline, fragilité, absence, mort, qui deviennent des pivots autour desquels se développe l’écriture, en cercles qu’il s’agit d’explorer avec une infinie patience. On ne s’étonnera pas de retrouver, dans L’angle noir de la joie, le vers « l’enfant, l’inconsolable, la survivante » ou, dans D’où surgit parfois un bras d’horizon, une phrase comme « tu passes tes jours à t’occuper de ta peau meurtrie rebelle et à épier l’autre, ta mère, ta geôlière même morte ». 9 Car l’œuvre de Denise Desautels est d’une grande cohérence. Contrairement à certains écrivains chez qui l’on remarque des ruptures thématiques ou esthétiques entre différentes périodes, on se trouve ici devant un parcours qui se déploie avec une belle continuité en dessinant une spirale dans laquelle chaque spire éclaire la précédente en approfondissant la compréhension de la vie et celle du monde. À partir de l’enfance et du deuil, l’écriture explore le lien à l’autre : l’amoureux, le fils, l’ami, et surtout l’amie, la complicité entre femmes revenant d’un recueil à l’autre. Et l’on constate que, avec le temps, le je a laissé de plus en plus de place au nous, l’intime a intégré de plus en plus une réflexion sociale et politique, ce qui apparaît clairement dans les deux recueils publiés ici. Ainsi, le texte « Sur fond d’océan », dans L’angle noir de la joie, écrit après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti : jamais jamais n’ai croisé de si vif néant ce jour même ça ne s’entend presque pas seulement alarmes et minces voyelles à pleines mains aux abois les unes contre les autres par centaines meurtrissures et agonies dans une atmosphère de parfums Ou encore « Pour dire nous voici », dans D’où sur git parfois un bras d’horizon, texte en réponse au 10 poème liminaire de L’homme rapaillé de Gaston Miron, et qui, intégrant des vers de ce poète québécois, lance un immense cri de colère à l’égard des injustices subies par les femmes : Nous – claire conscience colère de femmes – « n’irons plus mourir de langueur mon amour / à des milles de distance dans nos rêves bourrasques / des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres ». Nous souches errantes volontaires avançons. Nous seins nus pour dire non pour dire nous voici. Si la poésie réagit à la terrible réalité du monde dont on voit tous les jours des exemples – cataclysmes, guerres, abus sexuels, etc. –, la posture de Denise Desau tels ne tient aucunement du militantisme. Celle-ci exprime sa douleur, sa détresse ou son indignation dans des textes où le mot cœur prend une place capitale. Car cette poésie n’est ni cérébrale ni alignée sur une vision idéologique : la réflexion cherche constamment à s’an crer dans les affects, elle refuse de séparer le cœur de la tête, l’émotion de la pensée qui la sous-tend. Elle s’ins crit dans le trajet de ce qu’on a appelé, au Québec, l’écriture au féminin qui, tout en s’inspirant du fémi nisme, garde sa liberté par rapport à ce mouvement en reconnaissant, dans l’écriture, la préséance du désir soumis aux marques de l’inconscient. 11 UN LYRISME EN MODE MINEUR On ne s’étonnera pas de la présence du lyrisme dans cette poésie où le je de l’expérience personnelle, deve nant métaphorique, tente de sortir de lui-même, de rejoindre l’autre, de prendre le monde en soi, d’instau rer un nous porteur d’espoir et d’avenir, comme dans la suite poétique « Et nous aurons des filles » : et nous voilà, nombreuses Annette et les autres, nos filles à l’âge de l’enfant réel vulnérables, nous sommes à l’excès pointées du doigt, offertes et cependant rescapées saines Lyrisme, oui, mais lyrisme contemporain, en mode mineur, qui n’hésite pas cependant à faire parfois réfé rence au grand lyrisme, entre autres par l’emploi de l’interjection « ô », comme dans « ô ma mère, mon indémêlable / je poursuis ici nos fécondes trahisons ». Mais, à l’exception de ces clins d’œil, l’affectivité ne cherche pas les effets percutants : elle passe – aussi bien en ce qui concerne le vers que la phrase – par le travail du rythme, par l’accumulation de mots et de syntagmes. Denise Desautels ne pratique pas une poésie de l’ascèse, mais bien du débordement, qui montre ses affinités uploads/Religion/ denise-desautels-poe-sie-gallimard.pdf
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- Publié le Dec 05, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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