LA MATIÈRE DE L'INTELLIGIBLE: Sur deux allusions méconnues aux doctrines non éc
LA MATIÈRE DE L'INTELLIGIBLE: Sur deux allusions méconnues aux doctrines non écrites de Platon Author(s): Pierre Aubenque Reviewed work(s): Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 172, No. 2, ÉTUDES DE PHILOSOPHIE ANCIENNE: Hommage à Pierre-Maxime Schuhl pour son quatre-vingtième anniversaire (Avril-Juin 1982), pp. 307-320 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41093332 . Accessed: 29/09/2012 01:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Philosophique de la France et de l'Étranger. http://www.jstor.org LA MATIÈRE DE L'ENTEIXIGIBLE Sur deux allusions méconnues aux doctrines non écrites de Platon A la mémoire de Léon Robin. Pour M. Pierre-Maxime Schuhl, fondateur du Centre Léon-Robin. Dans sa thèse de 1908 sur La théorie platonicienne des Idées et des Nombres d'après Arisloie1, Léon Robin a frayé une voie qui n'a pas fini de manifester sa fécondité. Cette voie était pourtant si nouvelle et pouvait paraître, au sens propre du terme, si détournée qu'il aura fallu attendre plusieurs décennies pour que d'autres chercheurs, au premier rang desquels il faut citer l'école dite de Tübingen avec H. J. Krämer et K. Gaiser2, s'y aventurent avec un succès qui confirme la justesse des intuitions de leur devancier. Le propos de Léon Robin tenait de la gageure, puisqu'il ne s'agissait de rien de moins que d'exposer la doctrine platonicienne « en utili- sant exclusivement les textes du Stagirite, comme si aucune œuvre de Platon ne nous était parvenue »3. Et le résultat dépassait toute attente, puisque Léon Robin, sans avoir cité une seule fois les « Dia- logues », avait pu écrire plus de 600 pages qui reconstituaient, apparemment sans effort ni artifice, une théorie parfaitement cohérente et richement diversifiée, qu'il fallait bien dire « platoni- 1. Paris, 1908: 2e éd., Hildesheim, 1963. 2. Citons seulement H. J. Krämer, Arete bei Platon und Aristoteles. Zum Wesen und Geschichte der platonischen Ontologie, Heidelberg, 1959 ; 2e éd., Amsterdam, 1967, et K. Gaiser, Pialos ungeschriebene Lehre, Stuttgart, 1963 ; 2e éd., 1968, deux ouvrages fondamentaux qui ont été suivis de nombreuses autres études. On trouvera une bonne synthèse et une mise au point nuancée sur la question dans J. N. Findlay, Plato. The Written and Unwritten Doctrines , Londres, 1974. 3. J'emprunte cette caractérisation à l'excellent chapitre que P.-M. Schuhl consacre aux doctrines non écrites de Platon dans V œuvre de Platon, Paris, 1954, p. 196. Revue philosophique, n° 2/1982 308 Pierre Aubenque cienne », puisque Aristote en accord avec quelques autres témoins la présentait comme telle, et qui pourtant ne coïncidait ni dans la forme ni même parfois sur le fond avec le platonisme « que nous connaissons par ailleurs »4. Léon Robin expliquait ce paradoxe en attribuant à la vieillesse de Platon un développement de la doctrine que le philosophe n'aurait pas eu le temps de fixer par écrit et qui serait donc demeuré à l'état d'enseignement oral. En tout cas, il fallait en déduire que l'œuvre écrite de Platon (mis à part peut-être quel- ques allusions dans le Timée et surtout le Philèbe) serait restée tout entière et pour l'essentiel en deçà de ce qu'Aristote nomme au moins une fois les « doctrines non écrites » (áypacpa Soyfiaxa) de son maître6. Quant à l'interprétation proprement dite de Léon Robin, qui discernait dans ces doctrines non écrites l'ébauche de ce qu'il appe- lait une « procession de l'être », elle l'autorisait à conclure qu' « Aris- tote nous a mis sur la voie d'une interprétation néo-platonicienne de son maître »6 et confirmait ainsi, sans l'avoir cherché, la vrai- semblance historique, en même temps que la fécondité herméneu- tique, de l'hypothèse : la reconstitution des doctrines non écrites permettait enfin d'apercevoir, entre le platonisme et le néo-plato- nisme, une continuité qui ne pourrait apparaître avec cette clarté à qui s'en tiendrait, pour caractériser le platonisme, aux seuls Dialogues. L'histoire de la philosophie, même ancienne, est plus dépendante qu'il n'y paraît du mouvement général des idées. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, surtout en France, les indications de Léon Robin sont restées longtemps sans grand écho. En réaction contre un style d'interprétation, dominant au début de ce siècle, qui privi- légiait l'esprit d'une doctrine par rapport à sa lettre et s'intéressait plus au mouvement d'une pensée qu'à l'articulation des raisons selon lesquelles elle se légitime après coup, l'attention des interprètes a été entre-temps énergiquement invitée à s'exercer sur la seule littéralité des textes, pour en dégager patiemment la structure. S'agissant de Platon, les Dialogues redevenaient dès lors les seuls dépositaires de la vérité du platonisme. Parallèlement, nous étions conviés, en particulier par les travaux de H. Gherniss7, souvent 4. P.-M. Schuhl, ibid. 5. Phys., IV, 2, 209 ò 14-15. 6. L. Robin, op. cit., p. 600. 7. H. Cherniss, Aristotle's Criticism of Plato and the Academy, Baltimore, 1944 ; 2e éd., New York, 1962 ; et The Riddle of the Early Academy, Berkeley- Los Angeles, 1945 ; 2e éd., New York, 1962. D'une façon générale, H. Gherniss n'accorde aucune valeur historique aux témoignages d'Aristote. La matière de l'intelligible 309 invoqués d'ailleurs par les représentants de la précédente école, à comprendre l'exposé et la critique aristotéliciens du platonisme comme une sorte de travail de subversion s'exerçant sur les seuls textes platoniciens, les déplacements et les déformations ne s'expli- quant pas par le recours à des sources d'information extérieures, mais par une sorte de logique immanente, et à la limite délirante, de l'interprétation. Mais un élément nouveau est intervenu, qui devrait replacer le débat dans sa vraie dimension philosophique et donner à réfléchir aux tenants inconditionnels du texte et de la littéralité. On savait depuis longtemps, sans qu'on en ait tiré toutes les conséquences, que c'est Platon lui-même qui nous met en garde contre les fixations écrites de sa doctrine et, d'une façon générale, affirme « la supé- riorité de la parole vivante sur la lettre écrite »8. C'est essentielle- ment H. J. Krämer qui, dans son livre de 1959, a mis pour la pre- mière fois de façon systématique l'existence attestée des doctrines non écrites en relation avec les textes de Platon sur les rapports de l'écriture et de l'oralité. Il était ainsi définitivement établi que la distinction de deux formes d'expression n'était pas due à un hasard biographique, mais à une décision philosophique de Platon lui-même. Bien plus, le poids principal de la doctrine se trouvait dès lors transféré de l'exotérique à l'ésotérique - avec cette conséquence que l'ésotérique n'avait plus de raison d'être reléguée au stade final de la vie de Platon et qu'elle devait être au contraire contempo- raine de l'exposé exotérique des Dialogues, puisqu'elle en était le fondement caché. Ceci n'est pas sans poser un nouveau problème, qui est celui de la cohérence et de la compatibilité entre deux expres- sions aussi différentes de ce qui devrait être néanmoins une seule et même pensée9. On pourrait estimer que l'oscillation, dans l'histoire de l'exégèse, entre la sacralisation du texte et l'importance accordée à la parole vivante transmise par la tradition a pris, avec les travaux de l'école 8. P.-M. Schuhl, op. cit., p. 197 (cf. Lettre, VII, 341 c, 344 b-e ; Phèdre, 274 b, 278 b-e). Même si c'est dans une seule phrase, P.-M. Schuhl me paraît être le premier qui ait rattaché l'enseignement oral de Platon à ses déclarations sur les rapports de la parole et de récriture. - Le mépris platonicien de récri- ture a fait entre-temps l'objet d'un brillant essai de J. Derrida, La pharmacie de Platon, in Tel Quel, n° 32-33, 1968 (reproduit dans La dissémination, Paris, 1972). Bien que ce ne soit pas son propos, cet essai aurait dû être de nature à éveiller en France de l'intérêt pour le non-écrit du platonisme, même si ce non-écrit n'est pas tout à fait du non-dit. 9. Cf. mon compte rendu de cet ouvrage ae h. j. aramer aans a. soliüisal et P. Aubenque, Une nouvelle dimension du platonisme, Archives de Philos., 28 (1965), pp. 260-265. 310 Pierre Aubenque de Tübingen, un tour excessivement favorable au non-écrit, et qui ne l'est d'ailleurs finalement qu'en apparence, puisque celui-ci ne peut être lui-même reconstruit qu'à partir de traces écrites. Mais il reste qu'on ne peut plus lire désormais les Dialogues de Platon comme s'ils recelaient le dernier mot du platonisme, et ce d'autant moins que Platon lui-même nous met en garde contre cette illusion, et l'on ne devrait plus s'abstenir désormais de confronter la lettre des Dialogues avec la tradition vivante du platonisme - vivante quoique, ou peut-être parce que, « scolaire » - dont Aristote est un témoin capital et qui ne uploads/Religion/ deux-allusions-aux-doctrines-non-ecrites-de-platon-p-aubenque.pdf
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- Publié le Mar 21, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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