Église visible et invisible: l’architecture ecclésiologique de Calvin Église vi
Église visible et invisible: l’architecture ecclésiologique de Calvin Église visible et invisible : L’architecture ecclésiologique de Calvin Michel JOHNER* Résumé Calvin, à la suite de Luther, et contre le catholicisme romain de son temps, plaide tout d’abord en faveur de l’invisibilité de l’Eglise, dont les limites ne sauraient être confondues avec celles d’une institution ecclésiale temporelle, quelle qu’elle soit. L’Eglise est d’abord et essentiellement « corps mystique du Christ », et à ce titre objet de foi. Mais, dans un second temps, et sous l’influence de Bucer, Calvin, en lutte contre le protestantisme radical et spiritualiste, saura équilibrer son propos en revenant sur la visibilité institutionnelle de l’Eglise et donner à celle-ci un fondement théologique précis et solide. Au fil des éditions successives de son Institution chrétienne (IV), Calvin, de 1536 à 1559, développe un véritable traité d’ecclésiologie, remarquable d’équilibre et de précision, intitulé « Des moyens extérieurs, ou aides, dont Dieu se sert pour nous conduire à Jésus-Christ son Fils et pour nous garder en lui », qui reste, jusqu’à aujourd’hui, pour les Eglises réformées, une référence incontournable. INTRODUCTION En l’année anniversaire, nombreuses ont été les études publiées sur la théologie de Jean Calvin, mais relativement rares, curieusement, les références à son ecclésiologie[1] ; c’est à se demander si cette ecclésiologie mérite qu’on s’y intéresse ou représente une contribution réelle au développement de la théologie protestante. Le lecteur appréciera. Pour d’autres doctrines, les données sont dispersées dans les différents écrits du réformateur. Mais l’ecclésiologie de Calvin, à l’exception de certains développements sur les sacrements, se trouve pour l’essentiel dans l’Institution de la religion chrétienne[2]. Dans sa dernière édition, en particulier, elle apparaît comme une doctrine élaborée et complète. Ganoczy ira jusqu’à dire d’elle : « une des synthèses les moins inachevées de toute la théologie du réformateur[3]. » De plus, particularité très stimulante pour l’étude, le lecteur peut observer, sur le sujet, l’évolution et le développement de la pensée de Calvin au fil des éditions successives de l’Institution, partant de la première édition (la bâloise, de 1536, en latin) à la dernière (la genevoise, de 1559, en français, et rééditée une dernière fois par Calvin lui-même en 1562) portant comme sous-titre « Nouvellement mise en quatre livres, et distinguée par chapitres, en ordre et méthode bien propre, augmentée aussi de tel accroissement qu’on la peut presque estimer un livre nouveau[4]. » Ces éditions successives brossent un tableau vivant de l’évolution de la pensée ecclésiologique de Calvin entre l’âge de 27 et de 53 ans, deux ans avant sa mort. Pour cette étude comparative des éditions successives de l’Institution, je suis très redevable au chapitre II de la seconde partie de la thèse de A. Ganoczy (intitulé « La doctrine ecclésiologique de Calvin »), qui m’a servi de portail et a largement inspiré l’étude que je présente aujourd’hui[5]. Les notes critiques de l’édition scientifique de J.-D. Benoit fournissent également de précieuses indications sur les dates des modifications successives du texte[6]. Enfin, le texte des différentes éditions de l’Institution est accessible dans les œuvres complètes de Calvin[7]. Afin d’éviter la dispersion, j’ai volontairement laissé de côté les développements qui concernent le pédobaptisme de Calvin et sa théologie de la sainte cène, lesquels ont fait l’objet d’études spécialisées et ne modifient pas l’architecture ecclésiologique générale que nous allons présenter. I. LE VISIBLE ET L’INVISIBLE, PERSPECTIVE GÉNÉRALE A. UNE DISTINCTION FONDAMENTALE L’ecclésiologie de Calvin est tout entière construite autour d’une distinction, fondamentale pour lui (comme aussi pour Zwingli), entre ce qu’il appelle l’« Eglise visible » et l’« Eglise invisible »[8]. Dès l’édition latine de 1543, Calvin écrit : « L’Ecriture sainte parle de l’Eglise de deux manières. En utilisant ce terme, elle évoque, parfois, l’Eglise telle qu’elle est en Vérité, et qui ne comprend que ceux qui, par la grâce de l’adoption, sont enfants de Dieu et, par la sanctification de son Esprit, sont de vrais membres de Jésus-Christ. Dans ce cas, elle envisage non seulement les saints qui habitent sur la terre, mais aussi tous les élus depuis le commencement du monde. Souvent aussi, l’Ecriture évoque, par le nom d’Eglise, la multitude de personnes disséminées partout dans le monde, qui fait profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ, qui atteste de sa foi par le baptême, témoigne de son unité en matière de doctrine et d’amour, et adhère à la Parole de Dieu, dont elle veut garder la prédication selon le commandement de Jésus-Christ. Dans cette Eglise se trouvent, mêlés aux autres membres, des hypocrites qui n’ont rien de Jésus-Christ, sauf le nom et l’apparence : les uns sont ambitieux, les autres avares, d’autres sont médisants, certains mènent une vie dissolue. Ils sont tolérés pour un temps, ou parce qu’on n’a pas de preuve pour les condamner, ou parce que la discipline n’est pas toujours ce qu’elle devrait être. Mais de même qu’il nous faut croire l’Eglise qui est invisible, pour nous, et connue de Dieu seul, de même, il nous est ordonné d’avoir en honneur cette Eglise visible, et de nous maintenir dans sa communion.[9]. » L’interprétation de ces lignes a inspiré bien des débats parmi les spécialistes de Calvin[10], mais il est indubitable que, de son point de vue, tout ce que la Bible enseigne sur l’Eglise n’est pas réductible à une proposition simple. L’Ecriture en parle de deux manières, que la théologie doit savoir distinguer et respecter. Mais distinguer ne signifie pas séparer, et encore moins opposer. L’erreur, dans l’interprétation de ces paroles de Calvin, serait d’opposer les deux Eglises, comme s’il y avait, d’un côté, une Eglise essentielle et invisible et, de l’autre, une réalité accessoire et apparente, accidentelle et temporelle, qui serait, elle, vouée à disparaître et n’aurait pas de statut divin dans l’ecclésiologie. A. Lecerf rend compte de cette articulation en disant: « L’Eglise invisible, pour Calvin, est l’Eglise ‹idéale›, telle que Dieu l’a contemplée dans le pacte d’élection avec le Christ (MJ: l’Eglise dans sa perfection eschatologique)[11]. Mais l’Eglise doit, pour se constituer dans sa plénitude, apparaître comme un institut de salut et d’éducation à la sainteté, avoir une manifestation visible dans l’histoire (…). Et l’Eglise visible (dont le cercle déborde en ce sens de celui de l’Eglise invisible) est le cercle de l’alliance de grâce. Il comprend tous les professants et leurs enfants, quelle que soit la qualité de leur profession de foi, sincère, superficielle, conventionnelle, ou même simulée[12]. » Puis Lecerf de préciser : « Dans la théologie de Calvin, (…) la doctrine de l’Eglise invisible, qui se rattache elle-même à la doctrine de l’élection au salut, assure ses droits à la personne du croyant. La doctrine de l’Eglise visible, quant à elle, confère à la société religieuse ses titres de pérennité et se rattache (…) à la doctrine de l’alliance de grâce (…). Chez Calvin, l’Eglise invisible et l’Eglise visible ne sont ni confondues ni séparées, elles sont logiquement distinguées et organiquement unies[13]. » B. LES FAUSSES REPRÉSENTATIONS DE CE RAPPORT Calvin, parlant de l’Eglise, utilise également d’autres couples d’expressions qu’il ne faut pas confondre les uns avec les autres. 1. Vraie et fausse Eglise ? Notamment, ce que Calvin dit de l’Eglise visible et invisible ne doit pas être confondu avec ce qu’il dit de la vraie et de la fausse Eglise[14]. Car ce qu’il appelle vraie et fausse Eglises sont toutes deux visibles, aussi concrètes l’une que l’autre. Lorsqu’une Eglise devient « fausse » (entendez: lorsqu’une institution religieuse perd les marques de l’ecclésialité), elle n’en devient pas invisible pour autant! Si tel était le cas, et si toutes les fausses Eglises mouraient ou devenaient invisibles, nous n’aurions plus aucun problème ecclésiologique à résoudre, et notre étude serait terminée ! Positivement, de même, l’Eglise réputée « vraie » ne glisse pas dans l’invisibilité. Fort heureusement, elle ne s’affranchit pas de diverses formes d’incarnation. Confondre les deux couples d’expression, comme cela se produit parfois dans le spiritualisme évangélique, revient en pratique à ramener l’Eglise véritable à l’Eglise invisible, qui serait la seule essentielle. Comme le dit A. Birmelé : « Une identification des deux questions conduirait à comprendre l’Eglise invisible, communauté des croyants, comme étant la vraie Eglise et par conséquent la visible comme étant la fausse. Pareille conclusion serait fatale, car elle n’entraînerait qu’une compréhension négative de l’Eglise visible[15]. » 2. Eglise locale et Eglise universelle ? Parlant d’Eglise visible et invisible, Calvin ne parle pas non plus d’Eglise locale et d’Eglise universelle, puisque, à ses yeux, visibilité et invisibilité sont deux traits qui traversent à la fois l’Eglise universelle et l’Eglise locale ! Le rapport du visible et de l’invisible, de son point de vue, n’équivaut pas au rapport d’un fragment avec un tout, puisque le fragment lui-même (en l’occurrence l’Eglise locale) est porteur de cette ambivalence. En outre, l’universalité de l’Eglise ne s’affranchit pas non plus de diverses formes de visibilité. 3. Une relation dialectique ? De nombreux spécialistes de Calvin, surtout dans la mouvance du barthisme d’après- guerre, ont parlé à ce propos de « rapports dialectiques ». J. Courvoisier, par exemple, leur fait écho en écrivant : « uploads/Religion/ ecclesiologie-calvin 1 .pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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