ÉGLISES DU XXe SIÈCLE EN BRETAGNE DE LA LOI DE SÉPARATION À VATICAN II (1905-19

ÉGLISES DU XXe SIÈCLE EN BRETAGNE DE LA LOI DE SÉPARATION À VATICAN II (1905-1962) par Philippe BONNET Depuis le temps du romantisme, textes littéraires et guides touristiques véhiculent l’image d’une Bretagne terre d’églises, condensée en deux icônes : la chapelle gothique cornouaillaise et son clocher à jour, et l’enclos paroissial léonard, emblème des fastes villageois du xviie siècle. Cette lecture réductrice, à laquelle ont longtemps adhéré nombre d’érudits, masque une réalité d’évi- dence, l’empreinte profonde laissée, ici comme ailleurs, par le xixe siècle. En Ille-et-Vilaine, 169 paroisses sur 367 (46 %) voient alors leur église entièrement reconstruite 1. Un tel pourcentage est de loin supérieur à la moyenne nationale, que l’on évalue généralement autour de 25 % 2. En Loire-Atlantique, on dénombre 168 chantiers pour la seconde moitié du siècle, dont 79 pour le seul épiscopat de Mgr Jaquemet (1849-1869). Les Côtes-d’Armor comptent 198 églises bâties au xixe siècle, le Morbihan 185. Dans le diocèse de Quimper, un recteur note en 1910 : « De 1860 à 1906, on voit sortir du sol finistérien, comme par enchantement, de ravissantes et nombreuses églises : près de 80, si je ne me trompe. Quand fut promulguée la loi dite de Séparation, quand sonna l’heure des inventaires et des crochetages, bien rares étaient dans le diocèse les paroisses qui n’eussent pas une église digne de leur foi » 3. 1. Quatre-vingt-quatre églises sont rebâties partiellement, transformées ou restaurées et seize sont dotées d’une tour ou d’un clocher neufs, soit au total deux cent soixante-neuf églises concernées par des travaux. 2. Demeures du sacré, dossier de l’exposition, Archives nationales, musée de l’histoire de France, 1995, no 2, p. 6. 3. La Semaine religieuse du diocèse de Quimper, no 29, 22 juillet 1910, p. 508. Philippe Bonnet, conservateur en chef à la Direction régionale des affaires culturelles, 6 rue du Chapitre, F-35000 Rennes. Bibliothèque de l’École des chartes, t. 163, 2005, p. 79-116. Si ces sanctuaires ont depuis une vingtaine d’années retenu l’attention des historiens 4, le xxe siècle, en revanche, demeure largement terra inco- gnita 5. En 1968, dans la préface du volume du Dictionnaire des églises de France consacré à la région, André Mussat évacuait la question en trois lignes : « Jusqu’ici le xxe siècle n’a pas produit — malgré le développement rapide des villes et la reconstruction après la dernière guerre — d’œuvre vraiment mar- quante en dépit de quelques recherches de forme comme celle de Saint-Louis de Brest. » Sauf le respect dû au regretté professeur, force est de reconnaître que son affirmation doit plus à l’a priori qu’à un examen objectif des faits. Le seul bilan quantitatif ne laisse pas d’impressionner : pour la période comprise entre la loi de Séparation (9 décembre 1905) et l’ouverture du concile Vatican II (11 octobre 1962), soit un peu plus de cinquante ans, un premier dénombre- ment fait état de quelque 230 édifices du culte catholique élevés dans les cinq départements bretons 6. À considérer la chronologie, on est frappé par le dynamisme que manifeste l’Église au lendemain de 1905. Certes, dans un premier temps, la loi de Séparation aura pu différer ou interrompre quelques chantiers 7. Néanmoins, 35 édifices, dont 27 églises paroissiales, sont mis en chantier entre 1906 et le déclenchement de la guerre de 1914. L’entre-deux-guerres est prolifique, avec 102 églises et chapelles entreprises entre 1920 et 1940 : un chiffre qui va à l’encontre de l’idée généralement admise selon laquelle la première moitié du siècle a construit peu d’églises, en dehors de Paris et de sa banlieue, et des provinces dévastées 8. Sur ces 137 édifices bâtis de 1905 à 1940, le Finistère 4. Marcel Launay, La construction d’églises dans le diocèse de Nantes au milieu du XIXe siècle, dans Centre de recherches sur l’histoire de la France atlantique-Université de Nantes, Enquêtes et documents, t. III, Nantes, 1975, p. 157-169 ; Odile Besnier, Les églises néo-gothiques des Côtes-du-Nord, dans Monuments historiques, no 109, 1980, p. 27-32 ; C. Fauquet, Le financement et la construction de huit églises de Loire-Inférieure entre 1849 et 1869, mémoire de maîtrise, Nantes, 1983 ; Marie-Emmanuelle Bourdais, Les reconstructions d’églises dans l’arrondissement de Fougères, 1830-1906, mémoire de maîtrise, université de Rennes 2, 1993 ; Philippe Bohuon, L’architecture religieuse de la seconde moitié du XIXe siècle, à travers la vie du chanoine Brune (1807-1890), mémoire de maîtrise, université de Rennes 2, 1999. 5. Pour une première approche du sujet, voir Daniel Le Couédic, Les architectes et l’idée bretonne, 1904-1945, Rennes, Saint-Brieuc, 1995, p. 606-631, et ma contribution (L’art sacré en Bretagne au temps des Seiz Breur) au catalogue de l’exposition Ar Seiz Breur 1923-1947 : la création bretonne entre tradition et modernité, Rennes, 2000, p. 118-133. 6. Encore ce chiffre est-il susceptible d’être revu à la hausse : si les données concernant les églises paroissiales, établies à partir du dépouillement de La Semaine religieuse des différents diocèses, peuvent être considérées comme fiables, quelques chapelles d’établissements religieux, hospitaliers ou d’enseignement ont pu échapper à mon recensement. 7. En 1908, le recteur de Saint-Erblon explique « que le retard apporté à l’exécution du plan approuvé en 1904 était dû à la prière du cardinal Labouré qui, à la retraite ecclésiastique de cette année, nous dit de surseoir, à partir de ce jour, à toute œuvre de reconstruction d’église ou de presbytère » (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 O 267/15). À Tinténiac, les travaux de la nouvelle église, entamés en 1900, sont arrêtés pendant deux ans, avant d’être menés à terme en 1908. 8. Frank Debié et Pierre Vérot, Urbanisme et art sacré : une aventure du XXe siècle, Paris, 1991, p. 27. 80 philippe bonnet B.É.C. 2005 vient en tête avec 35 réalisations, suivi des Côtes-d’Armor (33), du Morbihan (27), de l’Ille-et-Vilaine (22) et de la Loire-Atlantique (20). Enfin, de la Libéra- tion à l’ouverture du concile, on élève 94 édifices du culte : 35 en Finistère, 23 en Loire-Atlantique, 16 en Morbihan, 13 en Ille-et-Vilaine et 7 dans les Côtes- d’Armor. Délibérément, je n’aborderai pas ici les aspects institutionnels, politiques, économiques de ce renouveau architectural, qui mériteraient à eux seuls une longue analyse, pour m’attacher à l’étude des choix stylistiques opérés par les commanditaires — le clergé et, dans le cas des chantiers de la Reconstruction, les élus — et les maîtres d’œuvre. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’histo- ricisme s’impose majoritairement. Sur cinquante-huit églises paroissiales éle- vées entre 1905 et 1940, quarante-trois (74 %) relèvent encore du pastiche. La déférence persistante des prêtres envers les styles du passé et, notamment, le gothique, tient d’abord à l’enseignement dispensé dans les séminaires, marqué par deux grandes figures de chanoines archéologues et architectes : Joseph Brune (1807-1890) à Rennes et son confrère Jean-Marie Abgrall (1846-1926) pour le diocèse de Quimper. Le premier est chargé en 1845 d’enseigner l’archéo- logie au grand séminaire. Devenu directeur de l’établissement l’année suivante, il publie aussitôt un Résumé de son cours 9, qui fera autorité pendant des lustres. Dans le sillage du Cours d’antiquités monumentales d’Arcisse de Caumont et des Annales archéologiques de Didron, l’ouvrage, illustré de planches représentant les principaux monuments du département, propose une sélection des églises « qui, dans leur ensemble ou leurs détails, dans leur architecture ou leur décoration, méritent le plus d’attention ». Président de la Commission des édifices religieux du diocèse, fondateur de la Société archéo- logique d’Ille-et-Vilaine, l’abbé Brune participe largement aux débats du temps. Ainsi, en 1855, il anime une « discussion sur le style architectonique à employer de préférence dans les constructions religieuses qui se font de nos jours en Bretagne », dont la conclusion, reprenant celles de Viollet-le-Duc, est sans surprise : « Le style ogival du xiiie siècle est le plus approprié aux besoins et aux idées du culte catholique, et en même temps tout aussi économique que les styles grec et romain usités dans ces derniers temps » 10. En 1857, il présente une communication « concernant un plan d’église ogivale et devis à l’appui » 11 et récidive peu après en exposant « les plans d’une église dans le style le plus simple du xiiie siècle, pouvant convenir à une paroisse de 4 à 5 000 âmes, et dont la dépense n’excéderait pas les ressources habituelles d’une commune de cette importance » 12. Quant à Jean-Marie Abgrall, il est nommé en 1873 professeur de dessin et d’archéologie au séminaire de Pont-Croix, fonction qu’il rem- 9. Résumé du cours d’archéologie professé au séminaire de Rennes, suivi de notices historiques et descriptives sur les principaux monuments religieux du diocèse, Rennes, 1846. 10. Bulletin archéologique de l’Association bretonne, 1856, p. 178. 11. Ibid., 1857, p. 139-143. 12. Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, Extrait des procès-verbaux (1844- 1857), Rennes, 1859, p. 147. 81 B.É.C 2005 églises en bretagne plira treize ans. L’essentiel de sa production est antérieur à la loi de Sépara- tion 13. Après 1905, il n’édifiera que Notre-Dame de Kerbonne à Brest (1909- 1910). 1. Des architectes. — Le maintien du goût historiciste dans le premier tiers du xxe siècle tient aussi uploads/Religion/ eglises-en-bretagne-1905-1962.pdf

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  • Publié le Apv 08, 2022
  • Catégorie Religion
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