Dans son enseignement sur le mystère du Christ, le concile de Chalcédoine (en l

Dans son enseignement sur le mystère du Christ, le concile de Chalcédoine (en l’an 451) s’est explicitement fondé sur cinq documents dogmatiques: le Symbole de foi du premier concile de Nicée, le Symbole de foi du premier concile de Constantinople (les deux Symboles furent solen- nellement proclamés puis reproduits in extenso dans les Actes de Chalcédoine), la deuxième Lettre de saint Cyrille d’Alexandrie à Nestorius (« canonisée » au concile d’Éphèse en 431), la « Formule d’union » de 433 (échange de lettres de Jean d’Antioche et de saint Cyrille d’Alexandrie) ainsi que le Tome que le pape saint Léon le Grand adressa au patriarche de Constantinople Flavien en date du 13 juin 449 (lu publiquement à Chalcédoine et cité in extenso dans les Actes de ce concile). Ce Tome (Lettre) de saint Léon, pape de 440 à 461, fournit un enseignement très riche sur le mystère du Christ, vrai Dieu et vrai homme, une seule personne en deux natures, le Fils éternel du Père qui est né dans le temps de la Vierge Marie pour notre salut. Il offre une lumière profonde pour saisir, dans la foi, le mystère de Noël et la maternité divine de la Vierge Marie. Après une présen- tation de certains éléments historiques et doctrinaux qui sont requis pour la lecture de ce Tome, nous proposons d’en exposer ici les principaux thèmes. Du concile d’Éphèse à l’hérésie d’Eutychès En 431, le concile d’Éphèse a solennellement enseigné que l’union du Fils de Dieu avec l’humanité formée dans le sein de la Vierge Marie s’est faite « selon l’hypostase » (kath’hupostasin), de telle sorte que le Fils incarné est « une seule hypostase », « un seul et le même » (heis kai ho autos)1. Dans NOVA ET VETERA, LXXXVIIe ANNÉE - REVUE TRIMESTRIELLE OCT. NOV . DÉC. 2012 397 Le mystère de l’Incarnation dans le Tome à Flavien de saint Léon le Grand 1. Le sens originel de l’expression « selon l’hypostase » est exprimé dans cet extrait d’une lettre de saint Cyrille d’Alexandrie à Théodoret de Cyr: « Luttant contre les [doctrines de Nestorius], nous avons été obligé de dire que l’union s’était faite selon l’hypostase (kath’hupo- stasin). L’addition “kath’hupostasin” signifie seulement que la nature ou hypostase du Verbe, c’est-à-dire le Verbe lui-même, s’étant uni en vérité à une nature humaine, sans aucun chan- gement ni confusion, comme nous l’avons dit bien des fois, est conçu et est un seul Christ, le même Dieu et homme ». Traduction et références chez M. RICHARD, « L’introduction du mot ‘hypostase’ dans la théologie de l’incarnation », Mélanges de Science Religieuse 2 (1945) 5-32 et 243-270, ici p. 252. qui semblent « sympathiques », aisément acceptables. Un des motifs du rejet de la foi peut être la peur de ses exigences, mais ne pas annoncer ces exigences donne l’impression que l’Eglise n’a rien de spécial à offrir: « Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant? » (Mt 5,47) En outre le choix de la foi est rendu plus difficile par les mauvais exemples laissés par les chré- tiens. À cet égard les demandes de pardon présentées notamment par Jean- Paul II sont fondamentales, car elles montrent que l’Evangile n’est pas la cause des péchés, mais ce qui permet de reconnaître et rejeter ces péchés. En parlant de l’Allemagne, le pape Benoît XVI résume la situation reli- gieuse des pays industrialisés, indiquant à la fois le mal et le remède: Imaginons-nous qu’un tel programme exposure20 ait lieu ici en Allemagne. Des experts provenant d’un pays lointain viendraient vivre pour une semaine auprès d’une famille allemande moyenne. Ici, ils admireraient beau- coup de choses, par exemple le bien-être, l’ordre et l’efficacité. Mais, avec un regard non prévenu, ils constateraient aussi beaucoup de pauvreté: pauvreté pour ce qui concerne les relations humaines et pauvreté dans le domaine religieux. […] Nous voyons que dans notre monde riche occi- dental il y a un manque. Beaucoup de personnes manquent de l’expérience de la bonté de Dieu. Elles ne trouvent aucun point de contact avec les Eglises institutionnelles et leurs structures traditionnelles. Mais pourquoi? Je pense que c’est une question sur laquelle nous devons réfléchir très sérieusement. […] Permettez-moi d’aborder ici un point de la situation spécifique allemande. En Allemagne, l’Eglise est organisée de manière excellente. Mais, derrière les structures, se trouve-t-il aussi la force spiri- tuelle qui leur est relative, la force de la foi au Dieu vivant? Sincèrement nous devons cependant dire qu’il y a excédent de structures par rapport à l’Esprit. J’ajoute: la vraie crise de l’Eglise dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à un véritable renouvellement de la foi, toute la réforme structurelle demeurera inefficace21. + CHARLES MOREROD, OP Évêque de Lausanne, Genève et Fribourg NOVA ET VETERA 396 20. Des personnes extérieures à une société y entrent pendant un certain temps pour essayer de comprendre leur situation de l’intérieur. En général des personnes de pays riches vivent un certain temps la vie de pauvres du Tiers-Monde. 21. BENOÎT XVI, Rencontre avec le laïcat catholique allemand (ZDK), Séminaire de Freiburg im Breisgau, samedi 24 septembre 2011. est devenu chair (gegone sarx) […] par assomption de la chair, en demeu- rant ce qu’il était »3. La réception de cet enseignement suscita bien des difficultés parmi des évêques et des théologiens que l’on associe avec quelque approximation à la tradition théologique d’Antioche (les « Orientaux », comme on les appelle habituellement)4. La première esquisse d’un accord doctrinal fut trouvée en 433 dans ce qu’on appelle la « Formule d’union »5. Le débat demeurait cependant vif et parfois confus. La nécessité d’une explicitation doctrinale plus élaborée apparut spécialement lorsqu’intervint l’hérésie d’Eutychès, qui constitua l’occasion prochaine de la Lettre de saint Léon à Flavien et de la réunion du concile de Chalcédoine. Eutychès était le supérieur d’une importante communauté monastique à Constantinople. Malgré sa grande piété, la tradition a gardé de lui le souvenir LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DANS LE TOME À FLAVIEN… 399 3. Concile d’Ephèse (deuxième lettre de saint Cyrille à Nestorius) dans Les conciles œcumé- niques, tome II-1, p. 109-111. 4. Ce courant était spécialement soucieux de bien distinguer Dieu et l’homme dans le Christ (ce qui, de soi, est requis par la foi); cependant, dans certaines de ses formes, il comportait le danger de ne pas saisir l’unité de la personne du Christ dans toute sa profondeur. Tandis que la christologie de saint Cyrille, du concile d’Ephèse et des conciles ultérieurs considère principale- ment le Christ comme « le Verbe fait chair » (christologie Logos-sarx), le courant que l’on associe avec quelques simplifications à la tradition antiochienne tendait plutôt à considérer le Christ comme « le Verbe uni à un homme » (christologie Logos-anthrôpos), avec parfois (chez Nestorius par exemple) le risque de poser cet homme « à côté » du Verbe dans la personne du Christ. 5. Lettre de Jean d’Antioche à saint Cyrille (433): « Nous confessons que notre Seigneur Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, l’unique engendré, est Dieu parfait et homme parfait (Theon teleion kai anthrôpon teleion), composé d’une âme raisonnable et d’un corps, engendré du Père avant les siècles selon la divinité, le même à la fin des jours, à cause de nous et pour notre salut, engendré de la Vierge Marie selon l’humanité, le même consubstantiel (homoousion) au Père selon la divinité et consubstantiel (homoousion) à nous selon l’humanité. Il y a eu en effet union des deux natures (duo phuseôn henôsis): c’est pourquoi nous confessons un Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. En raison de cette notion de l’union sans mélange, nous confessons que la sainte Vierge est Mère de Dieu (Theotokos), parce que le Dieu Verbe s’est incarné, qu’il est devenu homme et que dès le moment de sa conception il s’est uni à lui-même le Temple qu’il a tiré de la Vierge. Quant aux expressions évangéliques et apostoliques sur le Seigneur, nous savons que les théologiens appliquent les unes de manière commune parce qu’elles visent une seule personne (prosôpon) et divisent les autres parce qu’elles visent les deux natures (epi duo phuseôn), et en ce cas attribuent à la divinité du Christ celles qui conviennent à Dieu et à son humanité celles qui marquent son abaissement. Ce symbole une fois accepté, il nous a plu, pour supprimer toute contention, pour que la paix œcuménique soit accordée aux Églises de Dieu, pour que disparaissent les scandales qui ont surgi, de tenir pour déposé Nestorius précédemment évêque de Constantinople. Nous anathématisons ses bavardages pervers […] » (Les conciles œcuméniques, tome II-1, p. 163-165). l’incarnation, l’union du Fils de Dieu et de l’humanité n’est pas extérieure ou accidentelle; ce n’est pas simplement une union morale ni une union « selon la dignité et la souveraineté », mais une union à la profondeur de l’être personnel du Fils de Dieu. Cet enseignement rend compte de l’unité de la personne du Sauveur. Comme saint Cyrille d’Alexandrie l’a inlassable- ment répété dans sa controverse avec Nestorius, c’est uploads/Religion/ emery.pdf

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  • Publié le Apv 11, 2022
  • Catégorie Religion
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