Hypothèses sur les origines de la procession de Landeleau Bernard Robreau avec

Hypothèses sur les origines de la procession de Landeleau Bernard Robreau avec la collaboration de Joël Hascoët Les troménies bretonnes paraissent télnoigner d'un très ancien passé religieux. Mais les circonstances de leur élaboration se perdent malheureusement dans les brumes de l'histoire. Nous voudrions montrer ici que la procession de Landeleau qui présente certains caractères originaux notamment par rapport aux classiques tours de paroisse pourrait bien remonter à une antique procession qui aurait été en rapport avec la fonda- tion de Vorgium, capitale des Osismes et dont elle ne serait plus qu'un misérable fragment, pourtant tou- jours cimenté par un mythe dont la plus ancienne version connue en Gaule remonte à plus de 15 siècles. Le Tro ar relegou (<< Tour des reliques») de Landeleau Il s'agit d'une procession qui se pratique encore actuel1eInent chaque année le diInanche de la Pentecôte sur un trajet d'orientation sud-nord d'environ 14 km. Ce parcours (fig. 1) est considéré comme immuable et, en effet, il ne semble pas avoir subi de variations très notables dans les deux derniers siècles, pour les- quels on dispose d'une documentation satisfaisante. Plus anciennement, des documents nous Inontrent qu'au XVIIe siècle des redevances se payaient le lundi de la Pentecôte près d'une des stations actuelles, le chêne de saint Théleau. Les trois autres stations correspondent à deux anciennes chapelles disparues entre les deux guerres mondiales et respectivement dédiées à Notre-DaIne (au Lannac'h) et Saint Roch (à Moulin Neut) ainsi qu'au Penity-Saint-Laurent, chapelle située près d'un gué le long de l'Aulne et qui représente le point le plus septentrional atteint par la procession. Figure 1. La troménie de Landeleau Le Tour des reliques est précédé de deux quêtes impliquant une dichotomie du masculin et du félninin : quête de février en argent au xxe siècle, Inais en décembre et en nature (surtout blé) au XIXe siècle pour les hommes, donc en saison som- bre avant le tour des reliques; quête du beurre pour les femmes en binôlne (une jeune fille et une adulte) entre le dimanche de la Trinité et celui de la Fête Dieu donc en saison claire et pos- térieurelnent à la procession. Il est encadré par 2 pardons (Notre-Dame du Lannac'h, le dimanche de l'Ascension et chapelle de la Trinité le diman- che éponyme à Lanzignac) qui mettent bien en évidence sa place centrale dans le festiaire local. Des «troménies» individuelles durent toute la semaine pentecostale (en principe 7 ou 8 et on semble employer à ce propos le mot de neuvaine mais c'est une attestation récente) J. On accOlnp1it en principe la procession pour aider « l'élévation au ciel» des morts de l'année. , Les proches parents d'un défunt enchérissaient 1 Hascoët, 2002, p. 31. 32 chaque année jusqu'en 1962 pour obtenir l'honneur de porter les reliques de saint Théleau. Les « tromé- nies» individuelles peuvent aussi se faire pour des défunts ou pour se procurer une belle mort. L'intention transparaît aussi dans la légende de fondation qui fait utiliser un cerf, animal psychopompe, comme mon- ture par saint Théleau 2. Les porteurs des reliques n'ont sans doute plus conscience de s'assimiler sym- boliquement au cerf qui portait saint Théleau. Mais il est caractéristique que la châsse reliquaire incor- pore deux grands cerfs portant sur leur échine le coffret contenant les osseluents. Ce rituel est certainement très ancien: reliques et procession des reliques sont mentionnées en 1555 et 1639 3• Le parcours paraît s'être accroché à des supports de sacralité archaïques, notamment le culte de l'arbre puisque le chêne de saint Théleau constitue une des stations, et peut-être aussi à un dolmen appe- lé, Ti sant Telo, « la maison de saint Théleau », qui occupe le sommet d'une butte autour de laquelle le parcours décrit une boucle 4. D'autres éléments conceptuels semblent provenir de la pensée celtique mêlue s'ils se coulent le plus souvent dans des formes chrétiennes. Ainsi en va-t-il pour la notion de tri- plicité qui est rémanente: le Tour des reliques qui coïncidait avec le pardon à l'église de Landeleau était précédé de celui de Lannac'h une semaine plus tôt et suivi de celui de la Trinité de Lanzignac, autre cha- pelle de la paroisse, le troisième dimanche; le tour faisait arrêt à trois chapelles et passait devant les Trois Croix à Loch Conan, lesquelles semblent avoir été des stèles de l'Age du Fer 5. Le choix des reliques de saint Théleau n'est peut-être pas innocent non plus car, selon sa Vie latine du XIIe siècle, elles avaient une propension à se multiplier par trois dès l'époque de sa mort. En effet, la nuit de son trépas, trois églises galloises se les disputaient déjà quand au luatin on s'aperçut qu'il y avait trois corps, étonnamment sem- blables 6. Chaque église s'empressa d'en revendiquer un. Prosaïquement, ce miracle peut se contenter d'expliquer l'existence de reliques de saint Théleau déjà plus abondantes qu'authentiques au XIIe siècle '7, luais il donne aussi une adluirable leçon de théologie celtique. Une procession qui pose de multiples questions L'incorporation d'éléments celtiques ou plus anciens dans les rites ne signifie cependant pas que la pro- cession remonte obligatoirement aussi loin. Elle est immémoriale et il semble quasi-certain qu'elle remonte au moins à la fin du Moyen Age. La présence d'une chapelle de saint Roch comme station pour- rait cependant laisser croire qu'elle ne remonte pas plus haut que le XIVe siècle, date de la mort du saint, et plus probablement encore au début du suivant où son culte se répandit et où fut rédigée sa biographie. Mais à vrai dire, l'argument est vain parce que les stations, voire le parcours, ou tout simplement le titu- laire d'un édifice religieux ont pu changer. Il ne faut jamais se laisser prendre au piège de la tradition immobile, mais se dire que tout change toujours, le plus souvent lentement mais parfois plus rapidement dans les périodes de rupture, et qu'une conservation dans la longue durée ne signifie pas obligatoirement fossilisation même quand il s'agit de rituels. Bref, il serait aussi dangereux de croire la fondation de notre procession bas médiévale que préhistorique. Si elle a pu traverser cinq siècles, rien n'interdit de penser qu'elle a pu résister à un ou vingt de plus. Le rituel a fait la preuve de son aptitude à la longue durée et, avant que d'aborder une analyse régressive plus approfondie, la théorie ne peut aller plus loin. 2 Hascoët, 2002, p. 234-241. 3 Ibid., p. 136-137. 4 Le dolmen est inclus dans la grande boucle de la procession mais ne reçoit aucune attention rituelle ni sacrale, il est « oublié» ; pourtant il est considéré par la tradition orale comme le premier lieu d'arrivée de saint Telo. L'abbé Pierre Mahé, prêtre de la paroisse, est la seule personne à suggérer que le parcours processionnaire passait autrefois par le dolmen. 5 Hascoët, 2002, p. 53. En 1945 la paroisse était découpée en trois pastels ou quartiers à l'usage principal des quêtes; depuis cette date le découpage passe indistinctement de trois à quatre pastels. La chapelle de Lanzignac, était selon certains une trève, et aurait donc joui d'une certaine indépendance à l'égard du recteur de Landeleau (cette suggestion bien que fort vraisembla- ble n'a pas été confirmée, ni infirmée, par les archives). Cette division de l'espace en trois parties intrigue Donatien Laurent car il l'a aussi remarquée pour Locronan. 6 Ibid., p. 131-134. 7 Il ne semble pas qu'il y ait eu de nombreuses reliques en dehors de la calotte crânierme de Llandaff, par contre « les» tom- bes de saint Teilo à Penalun et (tumuli) Llandeilo-Fawr sont attestées au haut Moyen Age: Strange, 2002. 33 Pour progresser, il faut se pencher sur la structure qui a pen11is sa conservation dans la longue durée, à savoir, la structure du rituel et celle du n1ythe qui l'explique. Il faut en distinguer les différents élélnents et en n1ettre à jour les contradictions, c'est-à-dire les éléments de l'un qui ne sont plus en équilibre avec ceux de l'autre. Cette procédure pennettra de lnettre en lUlnière une évolution et de rechercher les fonnes anciennes dont dérivent les récentes. On pOUlTa affiner cette recherche par des perspectives conlparatis- tes, à l'échelle de la Bretagne et égalen1ent à celle de la France et de l'Europe. Si l'on adlnet ces préll1i- ces, le tour des reliques de Landèleau devient extrêlnelnent passionnant, une fois que l'on a pointé son originalité par rapport aux processions du type Lm-chant 8, Céaucé 9 ou Magnac-Laval 10 et aussi par rap- port aux Trolnénies de type Locronan Il ou Gouesnou 12. Les principaux élélnents du rituel consisteht dans le parcours de la procession et en quelques gestes rituels qui y sont effectués: portelnent des reliques, écorçage du chêne de saint Théleau... D'autres selnblent avoir disparu luais sont postulés par la légende de fondation (feu et enfmnage par exelnple). Ils devront donc être confrontés, d'une part au lnythe explicatif, d'autre pmi aux n1ythes, parcours et gestes des au- tres processions. COlnmençons par nous concentrer sur le parcours car il pose plusieurs questions. La uploads/Religion/ hascoet-joel-et-robreau-bernard-quot-hypotheses-sur-les-origines-de-la-procession-de-landeleau-quot-bsmf-n0218.pdf

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  • Publié le Dec 15, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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