1 Exégèse et traces d'anti-judaïsme : étude de la réception de Jérémie 31, 31-3
1 Exégèse et traces d'anti-judaïsme : étude de la réception de Jérémie 31, 31-34 chez les Pères de l’Église, de Justin à Augustin, par Michaël de Luca Auteur : Michaël de Luca est doctorant à l’Evangelische Theologische Faculteit (Louvain) et chargé de cours en hébreu biblique à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Son travail de thèse porte sur l’histoire de la réception de Jérémie 31, 31-34, la prophétie sur la nouvelle alliance. Résumé : Après avoir brièvement présenté le texte de Jérémie 31, 31-34 et la méthode utilisée, l’auteur étudie la réception de cette prophétie chez les Pères de l’Eglise en soulignant ce qui, dans leur interprétation, va au-delà de la simple exégèse du texte. En effet, les commentaires de ce texte révèlent un contexte polémique dans lequel les Juifs sont dénigrés et rejetés. L’article fournira des exemples tirés de différents écrits des Pères : Justin Martyr, Origène, Jérôme, Augustin. Ces exemples sont de nature à alerter le lecteur chrétien évangélique sur les possibles dérives de l’exégèse, toujours perméable à l’esprit du temps dans lequel elle s’exerce. Je remercie chaudement l’auteur de m’avoir autorisé à mettre en ligne, en avant- première, le texte de sa contribution au Colloque sur l'antisémitisme, qui s’est tenu à Paris, le 5 octobre 2018, sous l’égide du Conseil national des évangéliques de France (CNEF). Introduction : l’intérêt récent des évangéliques pour les Pères de l’Église Les chrétiens évangéliques ont longtemps eu la réputation d’être un mouvement fondamentaliste et « anhistorique », c’est-à-dire un mouvement se réclamant du texte biblique seul, sans autre référence à la tradition de l’histoire de l’église. La réalité est plus nuancée. Les évangéliques aujourd’hui considèrent avec un intérêt renouvelé les sources de l’antiquité chrétienne, en particulier les écrits de ceux que l’on désigne comme les Pères de l’église. A ce propos, George Kalantzis écrit : « La soif renouvelée de cette nouvelle génération d’évangéliques pour l’étude de l’histoire, de la tradition et de la foi de l’Église ne se compre nd plus comme une démarche toute privée. De nos jours les évangéliques aspirent à explorer les racines de leur foi (…). »1 Ceci étant dit, cette redécouverte des Pères de l’église s’accompagne aussi de la découverte de certains aspects de leur pensée et de leur doctrine, qui peuvent s’avérer surprenants, voire choquants pour le lecteur évangélique moderne. Dans le cadre de ce colloque organisé par le CNEF (Conseil National des évangéliques de France) sur le thème de l’antisémitisme, il nous a semblé utile de mettre en lumière certains textes des Pères de l’église qui témoignent de leur rapport ambivalent au judaïsme. Ces textes, nous les avons croisés nous-même au détour de nos recherches 1 George Kalantzis, « Y a-t-il une lecture évangélique des Pères apostoliques ? », revue Hokhma N° 111 (2017), p. 119. Hokhma est une revue indépendante, à la fois protestante et évangélique. Le N° 111 de cette revue était consacré aux Pères de l’église. 2 autour de l’interprétation de la prophétie de Jérémie sur la nouvelle alliance (Jr 31, 31- 34). Méthode de travail : histoire de la réception, interprétation et usage du texte biblique Disons brièvement quelques mots sur notre méthode de recherche. L’histoire de la réception d’un texte (biblique en l’occurrence) ne concerne pas seulement l’inventaire des opinions exégétiques sur ce texte, mais considère de façon plus large l’usage qui est fait de ce texte, autrement dit, les circonstances dans lesquelles il est invoqué et les raisons pour lesquelles il est utilisé de telle ou telle manière. Ce champ d’étude est assez vaste, puisqu’il pourra inclure non seulement les commentaires écrits sur un texte donné, mais aussi les représentations de ce texte par divers autres moyens, comme par exemple sa reprise dans un chant (liturgique ou populaire) ou sous une forme visuelle (peinture, sculpture, cinéma, etc.)2. L’histoire de la réception ne cherche donc pas à déterminer si l’interprétation qui est donnée du texte est une interprétation valide ou légitime, elle cherche avant tout à rendre compte de l’usage qui est fait de ce texte dans la tradition religieuse, dans l’art ou au sein d’un groupe social déterminé. La présente contribution s’attachera à étudier la façon dont les Pères de l’église, au travers de leurs écrits (sermons, lettres, commentaires) ont invoqué le texte du livre de Jérémie sur la nouvelle alliance. Nous traiterons successivement trois aspects : l’interprétation du texte, son appropriation et son usage polémique, en particulier concernant les rapports des Pères de l’église avec le judaïsme et les Juifs. Mais d’abord, un rapide rappel du texte lui-même. Jérémie 31, 31-34 : prophétie sur la nouvelle alliance Voici une citation de la péricope de Jérémie 31, 31-34 dans la version Louis Segond révisée : Voici que les jours viennent - oracle de l’Eternel - où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle, non comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai saisis par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte, alliance qu’ils ont rompue, quoique je sois leur maître - oracle de l’Eternel - mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël, après ces jours-là - oracle de l’Eternel - je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur coeur, je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Celui-ci n’enseignera plus son prochain, ni celui-là son frère en disant : connaissez l’Eternel ! Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand - oracle de l’Eternel - car je pardonnerai leur faute et je ne me souviendrai plus de leur péché. 2 Pour avoir une idée synthétique de ce qu’est l’histoire de la réception, on pourra lire librement en ligne l’article de Susan Gillingham, « An Introduction to Reception History with Particular Reference to Psalm 1 », Revue des Sciences Religieuses, 85/4 (2011), http://rsr.revues.org/1803. Pour un complément d’information sur la portée de cette méthode dans les sciences bibliques, lire l’article de William John Lyons, « Some Thoughts on Defining Reception History and the Future of Biblical Studies. » en fichier pdf accessible à l’adresse http://www.bibleinterp.com/PDFs/Lyons1.pdf. 3 Le texte est assez bien établi, à quelques variantes textuelles près : les expressions en italiques sont différentes dans le texte grec de la Septante3. Ces variantes apportent des nuances qui ont leur importance, mais qui ne sont pas de nature à bouleverser l’interprétation du texte. Cette mention est importante car les Pères de l’église citeront généralement la version grecque. Cette péricope dans le livre de Jérémie est la seule à mentionner explicitement le concept « d’alliance nouvelle » dans le corpus de l’Ancien Testament. Le texte est cité intégralement dans l’épître aux Hébreux (chapitre 8, 8-12) dans le Nouveau Testament. Ce texte figure parmi les textes influents dans la tradition chrétienne pour ce qui est de définir les rapports entre l’Ancien et le Nouveau Testament. C’est notamment en invoquant ce texte que les premiers auteurs chrétiens vont tenter de définir la place des Juifs dans l’économie de la nouvelle alliance. La réception de Jérémie 31, 31-34 chez les Pères de l’église Les deux principaux commentateurs du livre de Jérémie durant la période patristique sont Origène et Jérôme. Origène a rédigé de nombreuses homélies sur Jérémie, et Jérôme a écrit, à la fin de sa vie, un commentaire inachevé sur Jérémie. D’autres Pères ont fait référence à Jr 31, 31-34 dans leurs écrits au cours de cette première période de l’Église chrétienne. Et comme nous allons le voir, ils ont parfois utilisé ce passage de Jérémie en tant qu’outil apologétique contre les Juifs. Dans cette partie, qui forme le coeur de notre étude, nous nous concentrerons sur la façon dont les principaux auteurs, parmi les Pères de l’église, ont interprété la prophétie de Jérémie 31, 31-34 sur la nouvelle alliance. Origène a probablement rédigé ses homélies sur Jérémie alors qu’il était membre du clergé de Césarée, pendant les années 240-244. Il convient de souligner ici que ses écrits sur Jérémie ne sont pas ce que nous appellerions aujourd’hui des commentaires, au sens universitaire. Ce sont, à l’origine, des sermons pour les offices quotidiens. Néanmoins, nous pouvons identifier sa manière d'aborder les Écritures et d'interpréter l'Ancien Testament au travers de ses homélies. Origène n’a rédigé d’homélie spécialement dédiée au texte de Jérémie 31, 31-34, néanmoins nous pouvons avoir une idée de son interprétation des éléments de la prophétie de Jérémie en recueillant ses remarques dans d’autres homélies. Nous considérerons en particulier son homélie4 sur Jérémie 3. Au début de cette homélie, Origène établit une distinction entre le sens littéral (historique) et le sens spirituel (allégorique) du texte. Dans son premier paragraphe, il décrit les événements historiques de la séparation du royaume d'Israël et du royaume de Juda. Dans son deuxième paragraphe, il en explique la signification spirituelle : le royaume d'Israël qui a été rejeté par Dieu représente le peuple juif de son temps et le royaume de Juda représente les chrétiens, l’Israël fidèle. Le reste de son sermon consiste à encourager les chrétiens à rester fidèlement uploads/Religion/ exegese-et-traces-danti-judaisme-etude-d.pdf
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- Publié le Mar 20, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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