1 ÉPOUSER SES « GENIES-PARENTS ». DESTIN PERSONNEL ET DIVINATION CHEZ LES SEME
1 ÉPOUSER SES « GENIES-PARENTS ». DESTIN PERSONNEL ET DIVINATION CHEZ LES SEME DU BURKINA FASO ANNE FOURNIER INTRODUCTION : LE GENIE QUI VIENT A LA MAISON Dans plusieurs sociétés de l’aire culturelle voltaïque en Afrique de l’Ouest, on pense que certains humains sont personnellement liés à un être invisible, un génie de brousse, qui les a élus et vient habiter chez eux. L’alliance est scellée par la construction d’un autel au domicile de la personne à l’issue d’un long parcours rituel. Un tel schéma se rencontre notamment au Ghana chez les Tallensi (Fortes, 1987) et les Dagari (initiation au Bagré, Goody et Gandah, 1981 : 14), au Burkina Faso chez les Mossi (Delebsom, 1934, Bonnet 1988), les Lobi (de Rouville, 1984), les Kasena (Liberski- Bagnoud, 2012), les Bwaba (Dugast, 2015a, 2016), les Toussian1 et les Sèmè qui font l’objet de ce texte. L’alliance peut déboucher sur la pratique de la divination pour certaines de ces personnes, le génie leur servant alors d'auxiliaire. Dans ces sociétés comme dans d’autres en Afrique, quand un humain se lie ainsi personnellement à un être invisible pour accéder à la divination, les rites exhibent généralement la profonde transformation qu’il est en train de connaître. Son apparence ou son comportement sont alors fortement modifiés. Il peut être possédé par le génie (Bassar du Togo, Dugast 2007 et Anyi de Côte d’Ivoire, Duchesne 2013). Un accoutrement et un comportement particuliers peuvent manifester son passage par un état hybride où il devient mi-animal mi-homme ou mi-génie mi-homme (Yaka du Congo, Devisch, 2013, Bwaba du Burkina Faso, Dugast, 2015a, 2016 et Kabyè du Togo, Daugey, 2016). Il peut même subir une transformation encore plus radicale, une mort initiatique suivie d’une renaissance (Bagré des Dagari, Goody 1981 : introduction, devins Mwaba-Gurma du Togo, de Surgy 1986 :58-59 : bugo des Mossi, Bonnet 1988 : 64 ; devins Kasena, Liberski-Bagnoud, 2011). Une transformation temporaire, mais récurrente, peut également intervenir ensuite quand le devin dûment initié délivre l’oracle en état de possession, celle-ci étant alors un procédé divinatoire. Lors des rites d’intronisation d’un devin sèmè, c’est sur la transformation du génie et non sur celle de l’humain que l’accent est mis. Quand il pratique ensuite la divination, son apparence et son comportement sont peu modifiés, il ne se trouve en particulier jamais en état de possession. Sa vie est certes bouleversée par la grande proximité qu’il connaît désormais avec le génie, mais pour exprimer cet important changement de position relationnelle, les Sèmè ont simplement recours à la métaphore du mariage. Celle-ci est fort répandue en Afrique de l’Ouest, où les devins voient généralement leur génie auxiliaire comme une épouse, tandis que les devineresses le considèrent plutôt comme leur enfant (Hamberger, 2012). Aussi banale soit-elle, la métaphore recèle une part d’insolite dans son acception sèmè. En effet, l’ethnographie sèmè vient enrichir le tableau des positions relationnelles entre le devin et son génie d’une nouvelle configuration, celle du devin à la fois époux et enfant du génie. L’entité que le devin accueille chez lui et « épouse » n’est en effet pas n’importe quel génie issu d’une brousse indéfinie. Il s’agit du couple de génies qui dans l’invisible a présidé à sa naissance. Une union matrimoniale avec ses parents, fussent-ils seulement symboliques, relèverait de l’inceste si le mariage sèmè ne comportait pas une modalité particulière sans sexualité. De plus, en s’installant chez le devin et en devenant son épouse, le génie 1 Guilhem et Hébert, 1964, 1965 ; Cooksey 2004 ; Bognolo, 2009 2 femelle est aussi censé franchir la dernière étape de sa propre initiation au dw . Ceci explique d’ailleurs sans doute pourquoi dans les rites, c’est la transformation du génie qui est mise en avant plutôt que celle de l’humain qui est déjà un initié au dw . Le dw , culte central de la société sèmè, est organisé autour de l’initiation masculine qui comporte de nombreuses étapes sur le contenu desquelles le secret est bien gardé. L’initiation se déploie selon deux cycles, l’un de quelques années qui correspond à l’accession de nouvelles promotions au premier grade, l’autre de 40 ans qui correspond à l’accession simultanée de plusieurs de ces classes d’âges au dernier grade. Le point culminant de cette dernière étape est le rite d n blè au cours duquel ils reçoivent leur « nom de dw ». Les hommes de 18 à 35 ans environ effectuent alors une retraite de plusieurs semaines dans un « camp de brousse ». À leur sortie, ils dansent couverts de masques animaux qui représentent des génies de brousse2 lors d’une grande fête publique qui se tient au village. Dw est aussi célébré tous les ans par des cérémonies qui rythment les activités agricoles des Sèmè. D’autres sociétés d’Afrique de l’Ouest pratiquent le culte de dw . Les Sèmè citent les Toussian, les Samogho, les Bobo et les Sambla3, mais pas les Bwaba dont l’appartenance dw est pourtant connue (Capron, 1957, 1962 ; Coquet 1994). Le volet féminin du dw , quand il n’est pas déclaré absent, est présenté par presque toutes ces sociétés comme mineur, les femmes étant ostensiblement écartées des secrets ou d’une partie d’entre eux. Chez les Sèmè, il existe un parcours féminin dont les rites sont protégés par un secret encore plus profond que celui qui concerne les hommes. À la différence de presque toutes les autres sociétés, qui dissocient les parcours initiatiques du dw et du mariage, les Sèmè les confondent, du moins en ce qui concerne les femmes. L’objet de cet article est de décrypter la métaphore matrimoniale dans les rites d’intronisation des devins et de montrer quelle conception de la relation aux génies peut en être déduite. Pour les Sèmè, il est parfaitement évident que le parcours qui aboutit à l’accueil d’un génie chez un humain emprunte sa trame au mariage, mais pour qu’un étranger puisse aussi s’en convaincre il doit procéder avec eux au décryptage d’une série d’allusions dans les rites. En effet, selon un procédé coutumier au rite, la métaphore est filée en opérant des télescopages d’étapes et en recourant à des glissements, condensations, distorsions et inversions, ce qui la rend difficilement lisible par le profane. Les devins et certains spécialistes particulièrement versés dans les choses de l’invisible, comme des forgerons et fossoyeurs, ont donné une lecture très cohérente de cette métaphore. Ils ont dressé une liste d’indices relatifs aux gestes, aux objets et aux actions pour rapprocher les deux ensembles rituels. Ce décryptage a mis au jour les conceptions que partagent les savants Sèmè, mais a également reflété le niveau de connaissance et les représentations personnelles de chacun de ceux qui s’y sont livrés. Les représentations exposées dans cet article sont donc plutôt celles de spécialistes et savants locaux. Les autres personnes n’ont pour la plupart qu’une idée partielle ou vague des représentations sur lesquelles repose l’art des devins, mais l’ensemble de la société raisonne selon le système implicite sur lequel celui-ci se fonde (de Surgy, 2013). Cependant, le socle commun des représentations relatives à la divination n’est pas entièrement monolithique (Fainzang, 1986 : 19-20). Ces deux remarques qui ont été faites au sujet des Mwaba-Gurma et des Bisa s’appliquent aussi à la société sèmè. Selon la belle formule d’un devin sèmè, il faut certainement admettre que « chacun a son explication et qu’il peut y avoir du vrai dans chacune ». Les cérémonies d’accueil d’un génie sont des événements relativement rares et seuls les hommes qui ont reçu un génie sont admis à l’ensemble des rites. Les données 2 Ils ressemblent beaucoup à ceux décrits par Bognolo (2009) chez les Toussian. 3 Voir également Hébert (1972) et Dacher (1997 : 11, Fn 15 « Le dogo est le nom de l'initiation gouin, turka et karaboro. Elle se nomme do (ou dwo) chez les Toussian, les Bobo et les Bwa, dyoro (ou gyoro) dans l'ensemble lobi ». 3 proviennent de récits de personnes rapportant leur expérience en tant que novices, initiateurs ou simples témoins des cérémonies. Elles ont été recueillies à Orodara et dans les villages sèmè des alentours auprès de devins, de guérisseurs, de chefs de famille et de responsables du culte du dw pendant 16 mois de travaux de terrain non-continus entre 2010 et 2017. Les entretiens ont été menés en s m j n, langue des Sèmè. La traduction en français, langue de l’administration et de l’école au Burkina Faso, a été assurée par un assistant locuteur natif instruit dans la tradition. Après une courte présentation de la société sèmè figure le récit relativement détaillé des rites d’accueil du génie. De nombreuses plantes qui servent de support matériel à la mise en place de la relation entre l’humain et son génie dans les rites y sont désignées par leur nom dans la langue des Sèmè et leur identification botanique est aussi donnée. Cependant, le rôle des plantes et leur symbolique sont seulement esquissés car ils ont fait l’objet d’un autre article (Fournier 2018). Le décryptage de la métaphore matrimoniale n’est pas fait au fil du récit, mais dans une deuxième uploads/Religion/ fournier-le-genie-parent-francais.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 15, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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