Revue d'histoire et de philosophie religieuses Un missionnaire protestant : Hen
Revue d'histoire et de philosophie religieuses Un missionnaire protestant : Henry Corbin Jean Brun Citer ce document / Cite this document : Brun Jean. Un missionnaire protestant : Henry Corbin. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 59e année n°2,1979. pp. 187-200; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1979.4477 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1979_num_59_2_4477 Fichier pdf généré le 23/11/2019 UN MISSIONNAIRE PROTESTANT HENRY CORBIN SOMMAIRE : De ses traductions de philosophes allemands, et notamment de Hei¬ degger, à ses recherches sur l'Islam shî'ite, Henry Corbin a été guidé par la spiritualité que lui avait apportée le christianisme. Par-delà les scientismes et les historicismes, la Lumière née en « Orient » est seule capable d'éviter à l'a Occident » de devenir la contrée où tout risque de sombrer dans les ténèbres. Avec Henry Corbin vient de disparaître un grand théologien, n'hési¬ tons même pas à dire : le plus grand théologien de notre temps. Deux choses caractérisent l'œuvre immense d'Henry Corbin. Tout d'a¬ bord une érudition considérable mise au service d'une spiritualité rayon¬ nante et ne l'étouffant jamais. Ensuite un effort sans précédent pour inci¬ ter 1'« Occident » à se mettre en quête de l'a Orient » afin de lui donner à redécouvrir sa Source. Ici, il importe de ne pas commettre un contre¬ sens. Henry Corbin n'a jamais voulu être ce que les spécialistes appellent un « orientaliste » au sens étroit du terme ; il avait toujours coutume d'écrire « Occident » et « Orient » entre guillemets pour bien faire com¬ prendre qu'il ne fallait pas se contenter de prendre ces deux termes dans leur acception géographique résiduelle. L'« Orient » était pour lui le pays où la Lumière se lève et 1'« Occident » celui où elle court le risque de disparaître à jamais ; en ce sens beaucoup d'orientaux, voués à une tech¬ nique et à une mécanisation de l'homme, sont véritablement devenus des occidentaux. Corbin a cherché à parcourir les itinéraires qui, dans le judaïsme, le christianisme et l'islamisme, ces trois grandes religions du Livre, convergeaient vers leur origine abrahamique et rendaient possibles la lecture et l'écoute du Message sans lequel l'homme n'est qu'un errant hébété ou un violent aveugle. En ce sens Henry Corbin fut un authentique pèlerin de l'Orient et non un vagabond de l'Occident 1 ; sa quête ne déboucha jamais, il importe de ne pas l'oublier, sur quelque œcuménisme de bon ton ni sur ces syn- crétismes touffus qui confondent perpétuellement passer outre et dépasser. Cette quête était uniquement animée par un souci d'approfondissement et non par un désir de collectionner quelques ressemblances superficielles. ι Les pèlerins de l'Orient et les vaaàbonds de l'Occident, tel était le thème du coUoque tenu à Paris en juin 1977 par l'Université Saint Jean de Jérusalem ; les cahiers de ce colloque ont été publiés par Berg International en 1978. 188 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES Henry Corbin collabora, tout d'abord, à la remarquable équipe philo¬ sophique qui, réunie autour d'Alexandre Koyré, d'Henri-Charles Puech et d'A. Spaier, devait publier, de 1931 à 1937, les six volumes des Recher¬ ches Philosophiques. Ses premiers travaux semblaient le destiner à se spécialiser dans la philosophie allemande ; dans les volumes cités il attira l'attention sur Dilthey, Brentano, Husserl, Bultmann et beaucoup d'autres qui, à l'époque, n'étaient guère connus des philosophes de langue fran¬ çaise. Il rédigea de nombreux comptes rendus d'ouvrages allemands et traduisit des textes du premier Karl Barth, de Karl Jaspers et de Hamann. Cette première orientation de son travail devait trouver son couronnement dans la publication, en 1938, de la première traduction française de textes essentiels de Heidegger édités sous le titre général Qu'est-ce que la mé¬ taphysique ? Pour la première fois on put lire Heidegger en français ; en ce domaine la tâche était particulièrement difficile car il fallait créer toute une terminologie d'équivalents et, comme en beaucoup d'autres circonstances, Henry Corbin dut défricher un terrain complètement vierge. Parallèlement à la réalisation de ces travaux, Corbin s'était attaché à une autre entreprise profondément complémentaire de celle dont nous venons de parler. Il avait suivi les cours d'Etienne Gilson et, enthousias¬ mé par la façon dont celui-ci commentait un texte, il s'était promis d'ap¬ pliquer un jour la même méthode à des textes philosophiques différents de ceux dont E. Gilson était le spécialiste. C'est ce qu'il devait faire beau¬ coup plus tard au Département d'Iranologie de l'Institut franco-iranien qu'il fonda à Téhéran. Henry Corbin se mit alors à l'étude du sanscrit, de l'arabe et du persan, ainsi il découvrit la mystique shî'ite 2. Cela lui valut la rencontre avec Sohravardî dont l'œuvre eut sur lui une très grande influence ; il en donna la première traduction française, en 1932, dans les Recherches philosophiques 11 où il présenta Le familier des amants 3 ; en 1976 il devait en donner une nouvelle traduction sous le titre Le vade-mecum des Fidèles d'amour 4 ; puis, en 1935, il publie la traduction de Le bruissement de l'aile de Gabriel 5. Quel est donc le fil conducteur selon lequel se développe la pensée d'Henry Corbin ? nous parlons bien de sa pensée car il fut tout autre chose qu'un traducteur, qu'un commentateur ou qu'un historien de la philosophie, puisque les auteurs qu'il étudia ne furent pour lui qu'autant de pierres destinées à élever le Temple. Henry Corbin avait essentiellement retenu de Luther la souffrance de 2 Depuis quelques mois, les « événements » d'Iran ont rendu le mot shî'isme familier aux lecteurs de journaux français pour lesquels il était, jusque là, tota¬ lement inconnu. Disons, une fois pour toutes, afin d'éviter les récupérations « zélées », que l'admiration d'Henry Corbin pour le shi'isme n'avait rien à voir avec un « engagement » politique quelconque. 3 Louis Massignon lui avait communiqué les photographies de deux manus¬ crits se trouvant à Constantinople. 4 in : Sohravardî, L'Archange empourpré, Fayard, Paris 1976, p. 296. s in : Journal asiatique, juillet-septembre 1935 ; il en donnera une nouvelle traduction sous le titre Le bruissement des ailes de Gabriel, in : SohravaTdi, op. cit. pp. 220 sa. JEAN BRUN, UN MISSIONNAIRE PROTESTANT : HENRY CORBIN 189 l'humanité en Christ : « L'humanité est laissée là, seule [...] ce que cela fut, aucun homme ne le comprend sur la terre, aucun homme ne peut y atteindre par des mots [...] car être abandonné par Dieu, cela est plus cruel que la mort ». Corbin ajoute que « de cette angoisse de l'humanité rejetée, délaissée, nous percevons un écho [...] à l'heure actuelle même, dans le leitmotiv heideggerien de ' l'existence pour la mort Mais il y a ici le paradoxe chrétien : l'homme évangélique, condamné à cohabiter avec son péché en l'abhorrant de toute son âme, acquiert devant l'hom¬ me antique l'exceptionnelle grandeur de « l'homme tendu », selon l'ex¬ pression de Kassner. [...] Cette humanité délaissée, humiliée, telle que nous la voyons en Christ, c'est elle qui est la voie ». Et Corbin cite à nouveau Luther : « Qui veut sainement monter à l'amour et à la connais¬ sance de Dieu, qu'il écarte les règles humaines de métaphysique concer¬ nant la divinité à connaître, et qu'il s'exerce d'abord dans l'humanité du Christ » 6. C'est pourquoi Henry Corbin souligne fortement que Christ n'a rien à à voir avec l'Etre que découvre la spéculation, il ne se rencontre pas au terme d'un itinéraire dont nous prendrions l'initiative ; la foi ne rejoint pas la dialectique de la raison car c'est Christ qui s'adresse à nous « au cœur mis à nu, là où jaillit le feu qui transfigure » 7. Aussi Henry Corbin s'attache-t-il à Kierkegaard 8 que, grâce à P.-H. Tisseau et à Jean Wahl, on commençait de découvrir en France. Il voyait, en effet, dans la révolte kierkegaardienne contre Hegel, le refus d'édifier un système de l'Etre, il y découvrait la passion de l'existence maintenant le paradoxe chrétien contre toute médiation et tout optimisme. Ainsi donc, si la Révélation a bien eu lieu dans l'histoire, il faut tout de suite ajouter que, par elle-même, l'Histoire n'est nullement révélatrice, comme voudraient nous le faire croire les hégéliens et les théologiens s'abreuvant de Feuerbach. Si la Révélation s'adresse à l'homme, il ne faut pas oublier que l'Humanité n'est pas, par soi, révélatrice et qu'elle ne peut que dévoiler ce qui lui manque et qu'elle ne saurait être. C'est pourquoi H. Corbin fait le procès des théologies affirmatives rationnelles qui aboutissent à une rationalisation des mystères divins et contribuent finalement à ériger ces nouvelles idoles qui fourmillent tout au long des démarches de sécularisation. La théologie négative, au contraire, corrode toutes les affirmations rationnelles ; c'est elle que l'on trouve au cœur de la mystique rhénane, chez un Me Eckhart par exemple, puis, d'un point de vue bien différent, chez Jacob Böhme. Mais c'est elle également que l'on découvre au centre de la mystique shî'ite, aussi bien duodécimaine qu'ismaélienne, on la désigne en persan et en arabe par le mot tanzîh. On pourrait dire qu'une telle mystique et une telle uploads/Religion/ henry-corbin.pdf
Documents similaires










-
33
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 23, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 1.1693MB