Jean Delumeau E EN NT TR RE ET TI IE EN NS S 2 Né en 1923, normalien, agrégé d’

Jean Delumeau E EN NT TR RE ET TI IE EN NS S 2 Né en 1923, normalien, agrégé d’histoire et docteur ès lettres, Jean Delumeau a enseigné l’histoire à l’université de Rennes, à l’Ecole pratique des hautes études, à la Sorbonne et au Collège de France, où il obtint en 1975 la chaire d’histoire des mentalités religieuses dans l’Occident moderne. Spécialiste du christianisme, catholique engagé, il décrypte depuis des décennies le phénomène religieux à travers des ouvrages marquants, parmi lesquels Le christianisme va-t-il mourir? (Hachette), Le fait religieux (ouvrage collectif, Fayard), Guetter l’aurore (Grasset), réédités ces jours-ci en format de poche. Membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, il est l’auteur d’Une histoire du paradis en trois volumes (Fayard), de La peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècle (Fayard), du Péché et la peur, la culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècle (Fayard), études qui toutes ont fait date. 1598, l’édit de Nantes: un premier pas de l’exception française1 Entretien réalisé par ARNAUD SPIRE JEAN DELUMEAU, historien, professeur au Collège de France, est l’auteur, avec Sabine Melchior-Bonnet, d’un grand livre: “Des religions et des hommes”, réalisé à partir d’une série de télévision pour la cinquième chaîne et édité en mars 1997 par Desclée de Brouwer. Il a écrit, entre autres, “Naissance et affirmation de la Réforme” aux PUF (1994). Il préside aujourd’hui le Comité national de la commémoration de l’édit de Nantes 1598-1998. 1 L’Humanité, 18 février 1998. 3 Les protestants français, sous le régime de l’édit de Nantes établi par Henri IV en 1598, se donnèrent, à l’image de ce qui existait déjà en Suisse et en Ecosse, une organisation où l’autorité vient du bas et non du haut. Vous considérez cela comme une composante de ce que l’on appelle l’exception française. Qu’entendez-vous par là? L’organisation réformée a d’abord été inventée en Suisse dans des villes comme Genève, Bâle ou Berne. Elle existait en Ecosse, où le réformateur religieux John Knox avait fondé le presbytérianisme. Elle a ensuite été adoptée par les protestants français. Ce qui la caractérise, c’est que l’autorité ne vient pas d’en haut, comme dans l’Eglise catholique ou anglicane. Elle vient d’en bas, c’est-à-dire des fidèles, qui élisent leurs pasteurs et leurs organisations, qui ensuite gouvernent dans la vie quotidienne de l’Eglise. L’exception française consiste en ce que, contrairement à ce qui se pratiquait à la fin du XVIe siècle dans tous les pays alentour, l’autorité politique ― c’est-à-dire le prince ou la municipalité ― n’oblige plus les sujets ou les citoyens à adopter la religion du pouvoir. C’est la première fois en Occident qu’un Etat, l’Etat français, accepte qu’une minorité religieuse ne pratique pas la religion du prince. C’est un cas unique. Même dans les provinces unies qui venaient de se révolter contre l’Espagne pour constituer ce qui va devenir ensuite les Pays-Bas, seul le protestantisme était autorisé, tandis que le culte public catholique était interdit. Vous voyez donc que, pays catholique ou protestant, la règle de l’époque, “cujus regio, ejus religio”, était que le pouvoir commande la religion du sujet. En Allemagne, en 1555 dans l’Empire, les sujets d’un prince catholique devaient être catholiques et ceux d’un prince protestant devaient être protestants. Or, avec l’édit de Nantes, la France va faire exception. C’est en cela que l’on peut parler en termes modernes d’exception française. 4 La Réforme est venue en France par Strasbourg, puis par Genève. Calvin voulait faire de cette dernière “l’arche de Noé sur les eaux du déluge”, une sorte de ville-église, modèle par la piété, la discipline et l’honnêteté de ses moeurs. Les “réformés” de France lui apportèrent bientôt leur concours. La révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV – largement désapprouvée à l’étranger – marque-t-elle un retour au catholicisme d’Etat? La révocation de l’édit de Nantes en 1685 était incontestablement un retour à la règle que j’énonce plus haut, la religion du prince doit aussi être celle de ses sujets. On disait en France: “Une foi, une loi, un roi.” C’est bel et bien le retour à la situation qui prévalait avant 1598. Toutefois, durant le régime de l’édit de Nantes, les Français, catholiques et protestants, avaient pris l’habitude de vivre ensemble, de cohabiter. Ils s’étaient habitués les uns aux autres. Il y avait des mariages mixtes, des relations d’affaires. Une famille pouvait être divisée en une branche catholique et une branche protestante. Les Français ont donc accueilli sans aucun enthousiasme une révocation parachutée d’en haut par le roi, soutenue par Louvois et sous la pression de ce qu’on appelait les “assemblées du clergé de France”, se réunissant tous les cinq ans pour voter le don gratuit, c’est-à-dire une somme que l’on donnait au roi. Cette révocation est venue d’en haut, mais de toute évidence la France ne la souhaitait pas spécialement. Il n’y avait eu aucun mouvement populaire pour la demander. Ce retour en arrière a été ressenti comme anachronique. Il a été mal perçu à l’étranger. Même à Rome, on n’a pas pavoisé. Louis XIV ― qui était fréquemment en difficulté avec le pape ― a voulu montrer qu’il était plus catholique que le chef de l’Eglise. Il y a eu également de la réprobation dans l’Angleterre protestante. Le philosophe anglais John Locke a publié, quatre ans après, sa réaction à cette révocation sous le titre: Lettres sur la tolérance. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’Angleterre de l’époque ne considérait pas les catholiques comme des citoyens de plein 5 droit. Ces derniers n’ont retrouvé leurs droits civiques qu’en 1829. Ce pays avait donc encore du chemin à parcourir pour admettre, lui aussi, une situation comparable à celle de l’édit de Nantes. Vous résumez en trois formules l’impulsion donnée par l’édit de Nantes à la société française: droits de l’homme, laïcité et écuménisme. S’agit-il d’un dépassement positif de l’idée de tolérance? Il ne faut pas lire l’édit de Nantes avec des lunettes trop actuelles. Ce texte contenait, en germe, des virtualités qui se sont précisées par la suite dans les trois secteurs que vous venez d’indiquer. Droits de l’homme: l’édit de Nantes garantissait la liberté de conscience aux protestants et des libertés de culte limitées. Et aussi l’accession à tous les emplois. Pour ce qui est de la liberté de conscience, il est dit, dans la Déclaration des droits de l’homme, en 1789, que personne ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses. C’est en quelque sorte un élargissement de ce que l’édit de Nantes avait octroyé pour les protestants. Laïcité, ensuite: compte tenu de cette exception française dont je parle plus haut, le roi de France ― c’est-à-dire le pouvoir politique ― est placé par l’édit de Nantes en arbitre entre des groupes religieux qui s’étaient entre-tués. Le monarque les oblige, en quelque sorte, à un code de bonne conduite. Il y a là une amorce de ce que sera plus tard la laïcité telle que nous la comprenons aujourd’hui en France. Non pas une machine de guerre antireligieuse, mais un Etat laïque qui se tient au-dessus des divers groupes politiques, idéologiques et religieux, et qui leur propose des règles pour que la vie civique se déroule normalement. L’Etat en dehors des conflits religieux pour les arbitrer, c’est l’origine de la laïcité. Quant à l’écuménisme, je crois qu’il faut d’abord se débarrasser de l’idée qu’Henri IV était totalement détaché des questions religieuses et 6 qu’il est passé d’une confession à l’autre pour des motifs d’opportunité politique. Le “Paris vaut bien une messe” relève de la légende. Henri IV s’est toujours bel et bien considéré, selon la formule de l’époque, comme le roi très chrétien de France et de Navarre. Il souhaitait la paix religieuse dans son pays dans l’espoir d’une réconciliation qui amènerait les gens à trouver un terrain d’entente et ainsi à refaire l’unité chrétienne. C’est en ce sens qu’il a fait avancer l’écuménisme. Quant à la tolérance, il y a ambiguïté sur ce mot qui, aux XVIe et au XVIIe siècle, n’avait qu’un sens négatif. On tolère ce qu’on ne peut pas empêcher. Le mot “tolérance” ne figure pas dans le texte parce que l’édit de Nantes allait beaucoup plus loin que la tolérance telle qu’on la comprenait à l’époque. «Je n’attends pas le bonheur de mon ordinateur»2 Il est l’un des grands penseurs du christianisme et du fait religieux. Jean Delumeau vient de livrer un credo remarquable que vous trouverez dans le hors-série du Point consacré aux textes monothéistes fondamentaux. Il nous donne ici une interview de même facture Propos recueillis par Jérôme Cordelier Il descend tout juste du TGV qui, chaque fin de semaine, le conduit de Rennes, où il habite, à Paris. La poignée de main ferme, l’ oeil vif, le sourire jovial, un mot aimable pour chacun... L’historien Jean Delumeau paraît toujours égal à lui-même. Le temps ne semble pas avoir de prise sur 2 Le point (18/11/04 - N°1679 - Page 104). 7 cet octogénaire affable, auteur de dizaines d’ouvrages, qui, depuis plusieurs décennies, décortique nos croyances, nos terreurs, nos péchés et nos quêtes de paradis, en passant uploads/Religion/ jean-delumeau-entretiens-pdf.pdf

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  • Publié le Mai 05, 2022
  • Catégorie Religion
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