1 La fonction symbolique dans la « Mystagogie » de Maxime le Confesseur Rédigée

1 La fonction symbolique dans la « Mystagogie » de Maxime le Confesseur Rédigée entre 628 et 630, durant les premières années de l’exil de Maxime en Afrique, (consécutif aux revers militaires subis par Constantinople en 626), la Mystagogie1 constitue, dans sa relative brièveté, une œuvre étonnamment dense et où la concentration théologique, habituelle chez l’auteur, atteint un incontestable sommet. C’est de cette période que datent, au demeurant, d’autres œuvres majeures de Maxime qui, d’un point de vue conceptuel, dialoguent avec la Mystagogie : les Ambigua, le Commentaire du Notre Père, les Questions à Thalassios, les Centuries sur la théologie et l’économie, sans compter de nombreuses Lettres. À vrai dire, le symbole et son déchiffrement sont au programme, dès l’intitulé du traité : Mystagogie, dans laquelle on explique de quoi sont symboles les choses accomplies dans la sainte Église lors de la synaxe. La question t…nwn sÚmbola se retrouvera dans le titre de maints chapitres de l’ouvrage, comme autant de rappels et de spécifications du projet d’ensemble. Architecture générale Pour ne pas se perdre dans la compacité du propos théologique ni dans la complexité de l’expression qui, comme en d’autres écrits corrélatifs, caractérise ici Maxime, il importe de prendre de bien apercevoir d’emblée l’architecture générale de la Mystagogie. Dans le prologue, Maxime fait état du pré-texte (au sens propre), ou de l’armature sur laquelle sa propre interprétation entend modestement s’appuyer, à savoir la « mystagogie » que constituait déjà le troisième chapitre de la Hiérarchie ecclésiastique du Pseudo Denys2. Mais si Maxime se cache derrière une autorité prestigieuse, nous verrons plus loin comment il la transgresse et l’intègre comme matériau de son propre système de pensée. La Mystagogie se divise en vingt-quatre chapitres. Les sept premiers sont à tous égards fondamentaux ; ce sont les plus personnels, les plus significatifs de la pensée maximienne ; ils posent le socle doctrinal grandiose sur lequel s’édifiera l’exégèse des rites. On pourrait intituler cette séquence : « Les grandes analogies ». Les chapitres VIII à XXIII, quant à eux, 1 Pour le texte, nous donnerons les références de la Patrologie Grecque, t. 91 ; la traduction que nous citerons est celle de M. Lot-Borodine, parue en livraisons successive dans la revue Irénikon des années 1936-1938 (vol. 13- 15). 2 Cf. PSEUDO DENYS, Hiérarchie ecclésiastique, chapitre III, traduction Maurice de Gandillac, Paris-Aubier, 1943, p. 262-281. Maxime écrit à son destinataire, dans son prologue : « Tu m’as entendu raconter un jour, le plus brièvement possible, ce que j’avais ouï d’un autre grand vieillard, vraiment sage dans les choses divines, sur la sainte Église et la sainte synaxe qu’on y accomplit, considérées dans leur beauté, leur sens mystique et leur valeur d’enseignement (…) Je ne promets pas de dire par ordre tout ce que le bienheureux vieillard a contemplé mystiquement, d’autant plus que ses paroles n’ont pas toujours pu exprimer ce que contemplait son esprit. » (PG 91, 657C, 661BC). 2 constituent un commentaire des rites proprement dits, commentaires au demeurant sélectif, puisque Maxime s’intéresse principalement à ceux auxquels les fidèles prennent part. Le chapitre XXIV se conçoit essentiellement comme une récapitulation3 des deux grands volets précédents. Entrons maintenant plus avant dans le détail de la Mystagogie. LES GRANDES ANALOGIES La forme de septénaire que prend la première section de l’ouvrage possède déjà par elle-même une portée symbolique. Prenant appui sur l’église dans sa réalité spatiale, sur son plan au sol, aimerait-on dire, composé de la nef (naÒj) et du sanctuaire (ƒerate‹on) dans lequel se trouve l’autel (qusiast»rion), Maxime déploie un vaste système d’analogies dont voici la structure, ramenée à ses grandes lignes. I- L’église est l’image (tÚpoj kaˆ e„kèn) de Dieu ; de même que Dieu est cause efficiente et finale de tout le créé, de même l’Église réunit la diversité des hommes dans une même foi. II- L’église est image (tÚpoj kaˆ e„kèn) du monde visible et invisible ; de même que la nef signifie le monde sensible, le sanctuaire signifie le monde intelligible. Du point de vue du concept de mystagogie chez Maxime, on notera le passage suivant : La nef est le sanctuaire en puissance (kat¢ t¾n dÚnamin), étant consacrée par le rapport de la mystagogie vers sa fin (tÍ prÕj tÕ pšraj ¢nafor´ tÁj mustagwg…aj ƒeratourgoÚmenon), et d’autre part le sanctuaire est nef en action (kat¦ t¾n ™nšrgeian), lui-même ayant le principe de sa propre mystagogie ; elle (l’église) demeure une dans ses deux parties4. Plus loin, Maxime énonce un principe épistémologique du plus haut intérêt pour notre investigation de la fonction symbolique dans son système : Le monde intelligible tout entier apparaît imprimé mystiquement dans le sensible en des formes symboliques (mustikîj to‹j sumboliko‹j e‡desi tupoÚmenoj), pour ceux qui savent voir, et le monde sensible tout entier est contenu dans l’intelligible selon l’esprit et simplifié dans des concepts (gnwstikîj kat¦ noàn to‹j lÒgoij ¡ploÚmenoj). Il est en lui par ses concepts (lÒgoij), et celui-ci est en celui-là par ses représentations (tÚpoij)5. Maxime appuie son propos sur l’image de « la roue dans la roue » d’Ez 1, 166 et poursuit : La vue symbolique (sumbolik¾ qewr…a) des choses intelligibles par le moyen des choses visibles est science spirituelle et intellection (pneupatik¾ ™pist»ma kaˆ nÒhsij) des choses visibles par les invisibles. Il faut en effet que les choses se manifestent les unes par les autres (¢ll»lwn dhlwtik£), se réfléchissent les unes dans les autres en toute vérité et en toute clarté et qu’elles aient entre elles une relation qui ne soit pas brisée7. 3 kefalaièswmen : PG 91, 705A. 4 PG 91, 669A. 5 PG 91, 669C. 6 Alain Riou la commente ainsi : « Cette récapitulation (de toute l’Économie dans le Verbe), saint Maxime la voit préfigurée dans la vision inaugurale d’Ézéchiel (Ez 1, 16), dans cette compréhension des deux roues (Myst 2 / 669C), cette périchorèse. Et cette image, comme celle du foyer et des rayons, abolit par elle-même les schémas verticaux de participation et de causalité pour leur substituer le symbole d’une action synergique, sans émanation du supérieur dans l’inférieur ni assomption de l’inférieur dans le supérieur, mais par compénétration collaborante, sans pour autant qu’il y ait fusion » (Le monde et l’Église selon Maxime le Confesseur, Paris- Beauchesne, 1973, p. 61-62). 7 PG 91, 669D. 3 III- L’église est image (e„kèn) du monde sensible ; la nef représente la terre et le sanctuaire représente le ciel. IV- L’église représente (sumbolikîj e„kon…zei) l’homme selon un schéma anthropologique tripartite qui dialogue avec les trois « degrés du savoir » maximien : A la nef correspondent le corps (sîma) et la philosophie des mœurs (ºqik¾ filosof…a). Au sanctuaire correspondent l’âme (yuc») et la contemplation naturelle (fusik¾ qewr…a). A l’autel correspondent l’esprit (noàj) et la théologie mystique (mustik¾ qeolog…a). D’où l’on peut tirer une conclusion que Maxime ne tire pas lui-même, mais qui correspond à sa pensée, à savoir que l’homme étant à l’image de Dieu, l’église se trouve être par conséquent une image au second degré, une image de l’image. V- L’église est image de l’âme (tÚpoj kaˆ e„kèn) de l’âme prise en elle-même. Ce chapitre est, de manière significative, le plus étendu de cette première partie de la Mystagogie ; véritable condensé de la « psychologie » maximienne qui servira de base, comme nous le verrons, aux considérations du chapitre XXII. Réduite à ses grandes lignes, l’analogie est la suivante : Au sanctuaire correspond la partie contemplative (qewrhtikÒn) de l’âme, ou esprit (noàj). A la nef correspond la partie pratique (praktikÒn) de l’âme, ou raison (lÒgoj). Citons la conclusion de ce chapitre, très explicite sur l’instrumentalité et la fonction mystagogique de l’espace : C’est à toutes ces choses que s’adapte clairement la sainte Église de Dieu, comparée à l’âme sous la contemplation. Par le sanctuaire, elle signifie tout ce qui se manifeste dans l’esprit et sort de l’esprit ; par la nef, elle fait connaître les choses qui apparaissent dans la raison et se distinguent de la raison ; et elle ramène le tout au mystère du divin autel. Tout homme qui peut en avoir la révélation par le moyen des choses qui s’accomplissent dans l’Église, fait vraiment (Ôntwj) que sa propre âme est Église de Dieu et divine. C’est à cause d’elle peut être que l’église faite de main d’hommes, qui est son image symbolique (kat¦ sÚmbolon oása par£deigma), à cause de la variété (poikil…a) des choses divines qui sont en elle, nous a été donnée comme guide vers le bien le plus grand8. VI- L’Écriture est appelée homme. A l’Ancien Testament correspond le corps (sîma). Au Nouveau Testament correspondent l’âme (yuc»), l’esprit (noàj) et le pneàma. Au corps correspond la lettre (gr£mma), tant de l’Ancien que du Nouveau Testament0 A l’âme correspondent le sens (noàj) et le but (skopÒj) tant de l’Ancien que du Nouveau Testament. 8 PG 91, 681D-684A ; sur le thème de l’anima ecclesiastica, cf. H. DE LUBAC, Méditation sur l’Église, Paris- Aubier, 19532, p. 209-230 ; Catholicisme, 19525, Paris, p. 169-178. 4 VII- Le monde est appelé homme et l’homme monde. Avec uploads/Religion/ cassingen-treverdy-function-symbolique-dans-la-mystagogie-pdf.pdf

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  • Publié le Mai 02, 2022
  • Catégorie Religion
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