LA COMPASSION INTELLECTIVE MARK PERRY Suis-moi et laisse les morts enterrer leu
LA COMPASSION INTELLECTIVE MARK PERRY Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts. (Mt 8 : 22) Le sage parfait est un misanthrope. On ajoutera, sans vouloir abuser du paradoxe, que s'il doit mépriser les hommes ce n'est jamais que par amour de l'homme en soi. Pour recourir à une métaphore on dira que, puisqu'il porte les hommes comme des étoiles en son sein, il regrette le jour où ceux-ci sont devenus comme des pierres 1. Son amour est comme l'alchimie qui méprise les scories au bénéfice du joyau emprisonné ; par ravissement pour le papillon, il se désintéresse de la larve. Mais cet amour, dont l'âpreté est toute extérieure et qui n'est que l'envers de son intime douceur 2 Ces propos sont issus d'une remarque que Frithjof Schuon me fit alors que j'avais tout juste vingt ans. Pensant me faire l'écho averti de ses pensées, je laissai échapper, avec l'irréfléchie présomption que peut avoir un jeune homme, qu'au fond, j'estimais être un misanthrope. Se tournant vers moi avec la subite intensité d'une rafale de vent, témoignant de cette permanente absoluité de son être, Schuon tonna que je n'avais aucune idée , reste incompris des hommes qui s'entêtent, avec le manque d'imagination propre à leur auto-complaisance, à se considérer comme des pierres et non comme des étoiles, à s'accommoder de leur statut de larve en oubliant ou en refusant leur destin de papillons. A l 'encontre de son devoir ontologique, l'homme préfère s'abaisser ou vivre en dessous de sa possibilité immortelle car cela lui évite, bien illusoirement, de se dépasser moralement. En revanche, cette équation est à inverser lorsque la prétention s'en mêle, car alors, par vanité, il voudra bien croire qu'il est meilleur qu'il ne l'est réellement. 1. Dans la Bible, la femme de Lot, pour s'être momentanément détournée de la grâce par curiosité mondaine, est transformée en une colonne de sel, symbole du durcissement consécutif à la curiosité mondaine, le péché d'extériorité. Le Coran aussi parle du cœur de l'homme comme étant même plus dur que la pierre. 2. De même, le soleil à la fois brûle et guérit. Dans le Coran nous lisons : « … Alors sera érigé entre eux un mur (sûr = barzakh) qui aura une porte ; le côté intérieur contiendra la Miséricorde, et du côté extérieur sera le Châtiment » (Sourate Le Fer, 13). Source: http://www.frithjofschuon.info/francais/library/books_articles.aspx - 2 - de ce que signifiait être un misanthrope, mais il m'assura que lui, par contre, était un vrai misanthrope. Foudroyé, et encore inconscient de la prétention de mes propos auxquels, novice en charité, je n'avais aucun droit, je réfléchis longuement sur le sens de la salutaire gifle verbale que j'avais reçue ce jour-là et que je ressentis comme un de ces coups de bâton, censés réveiller l'âme, qu'administrent parfois les maîtres Zen de l'école Rinzaï. Qui n'a pas vécu la sainte colère d'un vrai guide spirituel ne devinera que difficilement ce que peut être l'effet thérapeutique d'une telle expérience qui peut être également mal reçue si le disciple n'en retient que la blessure d'amour propre. Pour ma part, ce fut l'occasion d'un nouveau départ. Quelques trente ans plus tard, cet article en est l'un des fruits. On a parfois reproché à Frithjof Schuon d'être blessant ou trop dur ou sévère – considérations qui, en somme, reviendraient à supposer qu'il pouvait être injuste ou manquer de charité, ce qui est foncièrement impossible pour un vrai saint dont la mission en ce « bas monde » implique toujours un sacrifice absolu, puisqu'il ne s'y trouve exclusivement que pour le bienfait des autres : « Le sage n'a presque pas de vie personnelle parce que ce qu'il est en lui-même, il doit le donner » a-t-il écrit dans une de ses poésies. C'est ce qu'oublient, par commodité, ceux qui veulent le réduire à des dimensions trop humaines 3 3. Cela ne veut pas dire qu'il faille pratiquer un sublimisme gratuit à son égard, et lui interdire une marge humaine. Ce qu'il faut retenir c'est qu'il représente non un phénomène artificiellement surhumain qui serait miraculeusement affranchi des servitudes humaines, mais un modèle humain très supérieur, doué de dons charismatiques, qui, en même temps, est le véhicule de grâces supra-terrestres. Mais celles-ci n'abolissent pas la contingence terrestre dans laquelle il se manifeste tout en demeurant moralement indemne. S'il ne peut échapper aux maux humains, comme les vexations ou la maladie, il est par contre incorruptible au niveau de l'âme, et cela inconditionnellement. Schuon répondait impeccablement à ces critères, pour dire le moins. A ce titre, nous sommes en droit d'ajouter qu'il est dit dans certaines écritures sacrées des Indes (le Bhaktirasamritasindhubinduh, texte vaishnava) que l'un des dix péchés contre Dieu est de supposer que le gourou n'est qu'un être humain comme d'autres. Et, ces écritures précisent, il s'agit d'un péché pour lequel il n'y a pas de pardon. . D'autres trouvaient même qu'il avait un caractère difficile. Mais que cherchaient-ils ? Quelle est l'image du sage qu'ils se faisaient ? Et, pour parler franc, quelle était donc l'image qu'ils se faisaient d'eux-mêmes pour mériter les égards qu'ils estimaient implicitement leur être dûs de la part d'un phénomène humain hors pair comme Schuon ? Rencontrer une nature de l'envergure royale d'un Charlemagne ou d'un Red Cloud n'est pas propice au bavardage ou à la - 3 - familiarité. D'ailleurs, un maître spirituel qui n'incommode pas le disciple ne vaut pas grand chose. Au préalable, il nous semble utile, si l'on veut saisir une dimension-clé de la nature schuonienne, de situer l'insolite dilemme que pose la présence d'un sage parmi les hommes, comme tombé du Ciel in partibus infidelium et, surtout, dans le cas particulier de Schuon, d'un être à la mentalité noblement médiévale, ou « ancienne » et farouchement altière des grands chefs nomades, isolé au cœur d'une époque en proie à la gangrène du relativisme, du démocratisme et du psychologisme – trois fléaux qui se conjuguent pour détruire le sens de l'absolu propre à l'homme normal, c'est-à-dire créé à l'image de Dieu – et chez qui se combinaient la qualité d'un prêtre et d'un roi, d'un saint et d'un héros. Schuon est très probablement le premier maître spirituel d'une telle dimension 4 4. Nous ne disons pas qu'il n'y ait pas eu d'autres maîtres à notre époque, mais simplement que ceux-ci bénéficiaient d'un cadre encore suffisamment traditionnel. Et nous n'ignorons non plus le fait qu'il y a eu des saints qui apparurent et peuvent apparaître au sein même de la civilisation moderne, tel un Padre Pio ou une Lilian Staveley. Mais, à notre connaissance, Schuon – qui est un phénomène gnostique à placer dans la lignée d'un Platon ou d'un Shankara – était le seul à allier une connaissance intégrale à la fois du sacré et de la déviation du modernisme, tout en étant un maître spirituel. A un certain titre, il est clair que René Guénon, mis à part son personnage un peu sphinx qui oblige à quelques réserves, en fut un précurseur providentiel ; mais il n'était pas – de son propre aveu – un psychopompe. qui ait dû s'accommoder d'un cadre non-traditionnel ou, plutôt, anti-traditionnel, ce qui rendit sa tâche de restituer les âmes à leur nature originelle presque surhumaine. Il nous confia une f ois qu'à d'autres époques un maître pouvait initier un disciple, lui conférer un mantram, donc une formule sacrée ou un Nom divin, et s'attendre – en raison de l'homogénéité du cadre traditionnel qui garantissait une homogénéité psychique suffisante – à ce que le disciple en récolte les bienfaits assez rapidement. C'est dire que, moyennant des qualifications normales, ce dernier était apte à suivre une évolution spirituelle conséquente et non seulement partielle, comme c'est trop souvent le cas chez les hommes lésés et fissurés de l'âge moderne chez qui mondanité et spiritualité peuvent se côtoyer quasi indéfiniment, chaque dimension opérant comme séparée par une cloison étanche, ce qui donne lieu à de très étranges combinaisons psychologiques que Schuon estimait être une aberration propre à notre époque. L'antidote, au niveau existentiel, réside dans le double message de beauté et d'héroïsme que Schuon enseignait et démontrait par son exemple personnel. Si l'on peut affirmer que la doctrine, ou la vérité, suffit en - 4 - principe à tout guérir, il faut ajouter que la beauté – à la fois de l'âme et du cadre – alliée à l'héroïsme moral forment le précipité existentiel d'une doctrine correctement assimilée : connaître la Vérité, c'est la vivre. « Connaître, c'est être » écrit Schuon. Mais revenons à notre propos initial. Par myopie ou par arrogance, ou tout simplement par naïveté, la plupart des hommes désirent être aimés pour ce qu'ils sont, bon gré mal gré, non pas pour ce qu'ils devraient ou pourraient être. De là résulte la tentation de se laisser aller à la familiarité avec ses semblables, une façon de se comporter qui cultive la superficialité, voire la trivialité. En fait, une des caractéristiques marquantes d'une société dégénérescente est la tendance qu'ont les hommes à uploads/Religion/ la-compassion-intellective.pdf
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- Publié le Apv 24, 2022
- Catégorie Religion
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