SERVY Alice CREDO, EHESS, Marseille alice.servy@free.fr La mort, en tant que co
SERVY Alice CREDO, EHESS, Marseille alice.servy@free.fr La mort, en tant que concept général et abstrait, est difficile à photographier. Mais, dans une vision individuelle et restreinte, elle est d’autant mieux saisissable. C’est pourquoi, je me suis, ici, penchée sur un des aspects de la mort, dans un endroit donné, à un moment donné : sa dimension sociale dans le village de Paje, au Botswana, en septembre 2008. Ma réflexion est basée sur vingt-cinq clichés réalisés, dans ce village, lors de funérailles. Pour traiter de la question : Comment photographier la dimension sociale de la mort dans le village de Paje au Botswana ? Nous allons tout d’abord voir qu’est ce que la mort et comment la photographier. Dans une seconde partie nous verrons dans quel contexte les clichés ont été réalisés. Ensuite j’exposerai mes options méthodiques dans l’usage et la restitution photo- graphique. Puis j’étudierai en quoi ces prises de vue donnent un aperçu de l’organisation sociale mise en place après un décès. Enfin je montrerai la nécessité de compléter les informations issues de l’analyse de détails en évoquant la photo-interview de John Collier. L ’analyse de photographies réalisées, au Botswana, en septembre 2008, montre la mort dans sa dimension sociale. Les funérailles constituent un événement public et collectif lors duquel se met en place une certaine organisation sociale : une division par genre et par âge des participants. LA DIMENSION SOCIALE DE LA MORT L’organisation sociale de funérailles au Botswana Séminaire « Pratiques photographiques» Promotion 2008/2009 : 74 - 87 76 Alice Servy Qu’est ce que la mort et comment la photographier ? La mort est souvent définie parce ce qu’elle n’est plus. C’est la cessation complète et définitive de la vie. En médecine et biologie, la mort d’un être vivant est l’arrêt irréversible des fonctions vitales telles que la respiration, le fonctionnement du système nerveux ou encore l’assimilation des nutri- ments. Elle est suivie de la décomposition de l’organisme. Il est possible de photographier la mort biologique d’un individu en prenant des clichés rapprochés de l’organisme qui placés bout à bout rendraient compte, par exemple, du moment où la respiration abdominale de l’individu cesse. La mort est un processus agissant sur des substances organiques. C’est un fait biologique que les individus doivent traiter. Les individus sont confrontés plus ou moins directement à la mort organique. Ils agissent et réagissent face à elle. L ’homme a conscience du caractère éphémère de la vie. Il cherche à appréhender la mort, c’est-à-dire comprendre, expliquer les causes du décès d’un individu mais aussi plus généralement à définir ce qu’elle représente : une disparition, une nouvelle naissance dans un monde parallèle, une réincarnation, etc. La mort ne concerne pas seulement l’être biologique. Elle agit égale- ment sur l’être social, relationnel. Selon Sithandazile Hope Msimanga- Ramatebele, toutes les nations du monde ont des réponses culturelles spécifiques pour faire face aux « effets dévastateurs » de la mort. Le décès d’un conjoint signifie souvent la perte de plusieurs types d’interrelations, tels que le soutien social, émotionnel et physique. (Msimanga-Ramatebele, 2008 : 45). La mort est qualifiée par Annette Wiener d’« antisociale ». Ainsi, les femmes trobriandaises montrent, lors de certains rituels, que les liens créés par le défunt au cours de sa vie sont rompus, qu’il n’y a plus d’alliance entre son dala et celui de son épouse et que ce dernier a perdu un reproducteur. Les femmes permettent au groupe de surmonter le traumatisme de la mort en dégageant le défunt de ses liens sociaux. L ’échange de bottes végétales, qu’elles réalisent, renforce l’opposition entre les groupes. Mais lors de ces rituels les femmes trobriandaises maintiennent également les liens du sang. L ’échange est ainsi une façon de réaffirmer et de poursuivre l’œuvre gigantesque que représentent les réseaux complexes de relations d’interdépendance créés par le défunt. Lorsqu’un individu meurt il est essentiel que ses relations sociales soient préservées. Au cours des cérémonies mortuaires trobriandaises, les femmes payent, de ce fait, toutes les personnes qui se sont occupées du défunt. (Wiener, 1983). Si la mort est un fait biologique, elle est également un fait social : « un fait objectif dont les caractères ou les attributs sont les produits de l’association entre deux ou plusieurs individus ou du rapport entre des groupes sociaux et ne peuvent être réduits à des caractères ou des attributs psychologiques, biologiques ou physiques. » (Des Nétumières, 1999 : 216). Lorsque survient le décès d’un individu, certains liens sont réaffirmés, de nouvelles associations sont créées, d’autres encore s’affaiblissent. Fig. 1. Village de Paje 12/09/08, 17h36. Fig. 2. Le hameau de la défunte 12/09/08, 17 h 36. 77 Dimension sociale de la mort À travers des photographies prises entre le 11 et 13 septembre 2008, lors de funérailles d’une femme, dans le village de Paje au Botswana, nous pouvons percevoir l’organisation sociale qui se met en place par-delà la mort biologique. Il est donc possible en prenant des clichés de certains événements, tels que des rites funéraires, de rendre compte photographi- quement de la dimension sociale de la mort dans une société donnée. Un rite se définit comme « un ensemble de conduites, d’actes répétitifs et codifiés, souvent solen- nels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique, fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres et de puissances sacrés avec lesquels l’homme tente de communiquer en vue d’obtenir un effet espéré » (Rivière, 1999 : 460). Les rites funéraires sont quant à eux liés à l’agonie ou au décès. Cadre spatio-temporel et contexte des prises de vue Le contexte de l’image photographique doit être défini pour une meilleure interprétation du cliché parce que « la photographie implique la présence d’un sujet-photographe dans une expérience engagée qui exclut de penser l’image en dehors de son rapport avec celui-ci » (Piette, 1992 : 133). Je me dois donc ici de préciser dans quel cadre spatio-temporel et contexte général j’ai réalisé ces prises de vue. Pour des raisons essentiellement politiques et sanitaires, j’ai décidé d’effectuer mon troisième chantier de volontariat international au Botswana (Afrique australe). Je suis donc devenue bénévole au Khama Rhino Sanctuary, du 1er au 13 septembre 2008. Cette réserve près de Serowe, dans la partie sud-est du pays, est spécialisée dans la sauvegarde du rhinocéros blanc. Nous étions sept volontaires affectés à des travaux de maintenance du site : quatre garçons botswanais, deux anglaises et moi-même. Afin d’occuper mes après-midi libres et devant passer deux semaines seule au Botswana après la clôture du chantier, j’ai passé de nombreuses heures avec les employées de la réserve affectées à l’accueil, et notamment avec Cathy . Ces dernières m’ont fourni des informations sur les normes, les valeurs, les pratiques rituelles, culturelles, quotidiennes ou événementielles. Les employées et les volontaires botswanais m’ont égale- ment donné certaines notions de setswana, langue nationale du Botswana. Suite au départ prématuré des deux volontaires anglaises, nos relations se sont intensifiées. Si bien que lorsque le décès, de la mère d’un employé de la réserve, est survenu, les employées de l’accueil m’ont emmené avec elles, aux funérailles, à Paje. Les funérailles ont eu lieu sur trois jours, entre le jeudi 11 et le samedi 13 septembre 2008, soit les trois derniers jours de mon chantier. Selon Cathy, tous ceux qui veulent venir aux rites Fig. 4. Femmes dans la maison de la défunte, après les prières 12/09/08, 17 h 42. Fig. 3. Cercueil dans la maison de la défunte 12/09/08, 17 h 42. 78 Alice Servy funéraires sont les bienvenus. Une grande partie des participants était des habitants du village. Lors des funérailles j’ai été à la fois observatrice et actrice. Le premier soir j’ai simplement assisté à une séance de prières chantées. Nous sommes partis avant qu’ils nous offrent une boisson chaude. Le second soir, après les prières, nous avons partagé leur repas constitué de pap (purée de farine de maïs bien cuite) et de viande de bœuf, mais nous avons mangé en dehors du groupe (clichés 5 à 9). Enfin, le matin de l’enterrement, j’ai assisté aux prières, j’ai participé au déplacement véhiculé du cortège funéraire, je me suis recueillie lors de la mise en terre, j’ai aidé à distribuer le repas dans une chaîne humaine avant de moi-même goûter aux plats en discutant avec les participants (clichés 10 à 25). Ma participation aux funérailles m’a permis de prendre des vues auxquelles je n’aurais pas eu accès si j’étais restée simple observatrice. Ainsi, lors du premier repas, je n’ai pu prendre qu’une vue d’ensemble de la distribution des plats. À l’inverse en donnant moi-même les assiettes, tout en prenant des clichés, je me suis retrouvée au cœur de l’action, sous l’auvent (photographies 16 à 22). Paje est un village au nord-est de Serowe, comptant un peu plus de 2000 habitants qui appartiennent pour la plupart à l’ethnie Tswana. Le village est composé de plusieurs hameaux regroupant généralement les individus appartenant à une même famille étendue (photographies 1 et 2). Comparée à la partie nord du Botswana, le sud-est du pays, où se situe Paje, est une uploads/Religion/ la-dimension-sociale-de-la-mort.pdf
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- Publié le Jan 12, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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