ThEv vol. 6.1, 2007 51 Leonardo de Chirico La doctrine sociale de l’Église cath

ThEv vol. 6.1, 2007 51 Leonardo de Chirico La doctrine sociale de l’Église catholique romaine 1. Une brève évaluation évangélique L’Église catholique romaine joue un rôle important dans l’histoire sociale et politique mondiale. Toute tentative de survol, spécialement de l’histoire européenne (et d’ailleurs de l’histoire mondiale), serait totalement impossible sans prise en compte de l’apport fondamental, bien que controversé, de l’Église catholique romaine. Depuis 18701, son rôle précurseur a connu de profonds changements sur le plan de la forme de son l’implication socio-politique. La limitation importante de l’étendue de l’État pontifical a déterminé la modifica- tion de son profil public en Europe. Sur la scène contemporaine, Rome garde une forte influence sur les événements et les tendances par le biais de son puissant appareil diplomatique et des médias. Par exemple, le rôle crucial joué par Jean Paul II dans la chute du régime communiste est unanimement reconnu comme l’un des principaux facteurs de l’effondrement du bloc soviétique. Pourtant, avant même Karol Wojtyla, l’Église avait développé sa propre Ostpo- litik en s’opposant aux gouvernements oppresseurs de l’Europe de l’est. En outre, toutes les crises internationales, toutes les questions mondiales majeures, tous les débats actuels sont abordés par le Vatican tant sur le plan théologique et diplomatique, que sur le plan social et politique. Derrière ce profil public se cache une base idéologique et religieuse solide. L’Église catholique romaine est peut-être la seule entité ecclésiale qui ait un vaste corpus d’enseignement cohérent couvrant autant de terrain social. De l’éthique à la législation du travail, de la paix mondiale au développement 1. 1870 est l’année où Rome fut conquise par l’armée italienne. La transition entre les formes habituelles de l’implica- tion de l’Église catholique et les nouveaux défis lancés par le monde moderne est bien analysée par B. MCSWEENEY, Roman Catholicism. The Search for Revelance, Oxford, Basil Blackwell, 1980. p. 51-66 ETHIQUE SOCIALE théologie évangélique vol. 6, n° 1, 2007 52 équitable, de la solidarité à la subsidiarité, de la propriété privée au partage des biens, de la politique locale au droit international… plusieurs thèmes clés sont influencés par l’implication catholique. La doctrine sociale de l’Église (DSE) adopte une large perspective sociale qui témoigne du regard porté par les catho- liques romains sur le monde moderne. Dans cet article, nous voudrions explorer la théologie actuelle de l’implica- tion de l’Église romaine dans l’espace public international et nous interroger sur le défi ainsi lancé au témoignage public évangélique2. Pour atteindre notre but nous présenterons, premièrement un document magistériel qui résume les principaux axes de la DSE ; puis nous ferons une présentation des documents principaux et des différentes étapes historiques de la DSE. Ensuite, nous évalue- rons brièvement les thèmes fondamentaux de la DSE ; enfin nous examinerons la trajectoire de la DSE en matière de développement international sous l’angle spécifique du problème de la pauvreté. 2. Un point de départ : Ecclesia in Europa ou quelle Église dans quelle Europe ? L’Église catholique romaine est très active sur la scène européenne et au cours de ces dernières années, son intérêt pour cette scène s’est encore aiguisé, dans le cadre de la DSE. À ce sujet, en 2003, dans le prolongement du Synode des évêques européens de 1999 qui avait travaillé sur la situation du continent européen à l’aube du Jubilé de l’an 2000, Jean Paul II publia l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa (EiE)3. Ce document reflète plusieurs des préoc- cupations constantes du Magistère et fournit un cas d’étude intéressant permet- tant de comprendre l’implication sociale de l’Église catholique dans le contexte européen. Bien qu’il ne soit pas un précis d’ecclésiologie, EiE est avant tout un document ecclésiologique. Il procède d’une conception ecclésiologique claire- ment définie et vise à encourager l’implication de l’Église en cette période cruciale pour l’Europe. La déclaration sans détour selon laquelle l’Église est présentée comme « le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce 2. Les idées politiques et sociales du catholicisme romain n’ont généralement pas été considérées par les évangéliques comme faisant partie intégrante du système catholique romain. Une exception cependant, J. W. ROBBINS, Ecclesiastical Megalomania. The Economic and Political Thought of Roman Catholicism, Unicoi, The Trinity Foundation, 1999. Dans cet ouvrage très polémique, l’auteur reflète davantage une forme de libéralisme américain que l’héritage de la pensée sociale des évangéliques. 3. Le texte est facilement accessible sur le site officiel du Vatican : www.vatican.va. La doctrine sociale de l’Église catholique romaine 53 surgie du Cœur transpercé du Rédempteur » (§ 18, citant une homélie de Jean- Paul II), est typique de cette conscience ecclésiale de l’Église catholique romaine. Dans EiE, l’Église catholique par la voix de son chef suprême, analyse le défi devant lequel la situation présente nous place, rappelle les principes fondamentaux de son identité ecclésiale et indique de quelle façon celle-ci peut contribuer à modeler l’Europe. Il est important de bien comprendre certains aspects de cette ecclésiologie pour mieux évaluer la théologie exposée dans ce document. Comme la présente étude se concentre sur la doctrine sociale, sur la théologie du rôle dans la Cité, elle ne pourra pas développer comme ils le mériteraient d’autres aspects importants de EiE (comme l’analyse culturelle de la laïcité européenne, la vision et l’engagement œcuménique, les références bibliques – particulièrement au livre de l’Apocalypse, et le rôle final attribué à Marie). Il suffit de se rappeler que la théologie sociale de l’Église catholique romaine (surtout dans un texte officiel tel que l’EiE) est toujours formulée et s’inscrit dans le cadre ecclésiologique global. En ce qui concerne l’Europe, « l’Église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective d’unification » (§ 117) et, dans cette perspective, « un rôle d’inspiration doit être reconnu à la doctrine sociale de l’Église » (§ 98). Donc, quelle Église (catholique) et dans quelle Europe ? L’intention de ce document, c’est, semble-t-il, de préciser ce que l’Église désire être et faire pour l’Europe et le style d’Europe qu’elle envisage pour le présent et le futur. Deux brèves remarques concernant ce que l’Église désire faire. Premièrement au niveau institutionnel, l’Église pense qu’elle peut offrir à l’Europe un modèle d’unité dans la pluralité alors que l’Europe tâtonne sur le chemin de l’intégration. « Une et universelle, tout en étant présente dans la multiplicité des Églises parti- culières, l'Église catholique peut offrir une contribution unique à l'édification d'une Europe ouverte au monde. De l'Église en effet se dégage un modèle d'unité essentielle dans la diversité des expressions culturelles, la conscience d'appartenir à une communauté universelle qui s'enracine dans les communautés locales mais ne s'épuise pas en elles, le sens de ce qui unit au-delà de ce qui distingue » (§ 116). Tandis que l’Europe s’efforce de combiner intégration et différenciation, l’Église catholique est un organisme vivant qui a su réconcilier en son sein cette dualité (unité et pluralité). Bien que l’Église n’ait « pas qualité pour exprimer une préfé- rence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle » (§ 19, citant l’encyclique Centesimus annus de Jean-Paul II), elle n’en appelle pas moins l’Europe à prendre exemple sur elle dans sa quête d’un modèle viable qui théologie évangélique vol. 6, n° 1, 2007 54 puisse encourager la diversité tout en préservant l’unité. Ceci soulève quelques questions. Le modèle romain (hiérarchisé, centralisé, fondé sur des lois divines, non démocratique) est-il la seule suggestion chrétienne possible pour l’organisa- tion des institutions européennes ? Il est difficile de comprendre comment l’unité dans la diversité européenne pourrait réellement tirer profit du schéma catholique romain. Peut-être les modèles ecclésiaux évangéliques d’unité dans la diversité, plus enclins à des procédures démocratiques et la direction collégiale, seraient-ils mieux adaptés. Au niveau institutionnel encore, tout en prônant la liberté religieuse et l’égalité pour tous, l’Église catholique souhaite maintenir ses privilèges juridiques acquis au niveau national dans le domaine des relations Église/État. Dans l’évolution de la législation européenne, il faut maintenir une distinction entre des « simples entités ou organisations privées » et « les Églises particulières en Europe » (§ 20). La nature institutionnelle de l’Église diffère de celle des autres entités sociales et cette spécificité « mérite d’être mise en valeur sur le plan juridique » (§ 20). Selon l’EiE, si c’est le cas de toutes les Églises, ce l’est encore bien plus de l’Église catholique. Alors que plusieurs Églises chrétiennes peuvent souhaiter que leur « poids institutionnel spécifique » (§ 114) soit reconnu par les institu- tions européennes, la double identité ecclésiale et politique (Église et État) de l’Église catholique l’y pousse d’autant plus. Cependant, tout en soulevant l’importante question du statut juridique des Églises, l’EiE nous en apprend davantage. En vue d’une « saine collaboration » entre les différentes institutions étatiques ou européennes et les Églises, le document souligne la nécessité pour les premières d’être pleinement respectueu- ses « du statut juridique dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà en vertu des législations des États membres de l'Union » (§ 114). Cette clause auto-protectrice est compréhensible de la part d’une Église majoritaire dans plusieurs uploads/Religion/ la-doctrine-catholique.pdf

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  • Publié le Sep 30, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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