1 Le calendrier traditionnel rwandais "L’année commence en septembre et compte
1 Le calendrier traditionnel rwandais "L’année commence en septembre et compte 12 mois lunaires, avec un 13e mois intercalaire que le roi proclamait sur l’avis des [abiru]." (Alexis Kagame, La Notion de génération, 1959, pp. 63-64.) Introduction Le calendrier traditionnel rwandais est l’un des éléments majeurs de notre patrimoine. Il est regrettable qu’il soit si peu étudié. De fait, notre documentation sur ce thème reste très insuffisante. La discussion ci-après porte sur l’ordre des mois rwandais et leurs positions par rapport au calendrier grégorien. Nous tentons de démontrer que la liste en usage actuellement au Rwanda ne correspond pas au système traditionnel. Nous tentons en outre de démontrer que le festival des prémices, Umuganura, se célébrait à la pleine lune de Nyakanga, en juin. Nous nous servons, pour ce faire, de deux visites à la cour rwandaise dont nous avons les dates, et qui ont précédé ou suivi de peu, soit l’Umuganura lui-même, soit l’une des cérémonies qui le précédaient. L’explorateur allemand Richard Kandt visita le Rwanda « peu de temps après » l’Umuganura de cette année, du 14 au 19 juin 1898; son compatriote le capitaine von Ramsey l’y avait précédé le 22 Mars 1897. Grace au seul Umuganura datable avec précision, nous pouvons dresser la liste des mois que nous estimons être la bonne et placer correctement cette série de lunaisons sur le calendrier grégorien. Le calendrier rwandais – Ikibariro cy’imyaka Petite histoire du calendrier Les anciens rwandais avaient établi un calendrier de 12 mois lunaires, avec, de temps à autre, l’intercalation d’un mois embolismique pour rétablir la correspondance entre l’année lunaire et le cycle solaire des saisonsi. Ce calendrier lunisolaire (ou soli-lunaire) se basait sur les saisons et rythmait le cycle agricole. En effet, selon la légende du calendrier, le premier créateur du calendrier rwandais, du nom de Gihe, était un être d’origine céleste, qui « tomba » du ciel avec les Ibimanuka (les « Descendus »), ces fils de Dieu qui vinrent aider l’humanité naissante à se développer. Gihe jouait le rôle de conseiller auprès de ces majestés divines, et fut chargé en particulier d’aider la dame Nyampundu dans ses taches de Grande Maitresse des céréales et des autres semences. Ce Gihe fut donc ministre de l’Agriculture. Sous la seconde dynastie des demi-dieux, celle de Gihanga et de ses descendants, les Rois du Cordeau (Abami b’Umushumi), grands bâtisseurs devant l’Eternel, l’agriculture ne fut pas moins à l’honneur, puisque Myaka, le propre fils de Gihe, fut ministre de l’agriculture sous Gihanga et sous tous ses successeurs. Son fils Kibariro le remplaça dans ces mêmes fonctions sous la troisième dynastie des Rois du Mental (Abami b’Ibitekerezo). Et ce fut ce Kibariro qui, encore à son poste sous le règne de Ruganzu Ndori, communiqua au plus grand de nos souverains un calendrier nouveau, pour remplacer l’ancien, qui ne semblait plus fonctionner. Kibariro chargea ensuite sa Grande Intendante (Umuja mukuru) de faire remettre à Ruganzu un assortiment de semences nouvelles, mieux adaptées au nouveau climat. Ce fut sur la base de ce 2 nouveau calendrier agricole que le roi Ruganzu établit le calendrier rituel, avec ses trois mois sacrés de Gicurasi, Kamena et Nyakanga, pendant lesquels s’exécutent les trois grands rituels consécutifs : Icyunamo, Icyunamuro et Umuganura. Or, ce Kibariro est fils de Myaka, fils de Gihe - Kibariro cya Myaka ya Gihe, trois noms dont le sens est le suivant : Gihe signifie « Temps » ou « Durée »; Myaka signifie « Années », mais aussi « Cultures » – au sens de cultures annuelles – ce qui sous- entend aussi les cultures saisonnières, et donc les saisons. Kibariro signifie « Calculateur » (en anglais, « Timer », « Reckoner »). Nous voyons alors que si « Kibariro cya Myaka ya Gihe » signifie « Calculateur des Années du Temps », il ne s’agit pas d’une filiation au sens littéral, mais d’un énoncé qui voile un autre sens : Kibariro est celui qui tient une comptabilité du temps, qui calcule les années et enregistre les saisons. Il s’agit tout simplement d’une définition du calendrier : une méthode pour compter les années et ainsi rendre compte du temps. De fait, le calendrier se dit Ikibariro cy’Imyaka. Si donc Kibariro est la personnification du calendrier, qu’il est le roi du temps, nous pourrions le comparer au dieu Kronos dans la Grèce ancienne. Par conséquent, dire que le roi Ruganzu obtint un nouveau calendrier des mains du dieu du Calendrier, revient à dire que ce fut le grand roi qui reforma le calendrier, sous inspiration divine. Il apparait alors que ces noms constituent un voile, mais un voile transparent, qui ne cache que pour mieux montrer, pour mieux attirer notre regard et l’orienter dans la bonne direction. C’est à l’intérieur des noms que se cache le fait que la tradition cherche à nous faire connaitre. Et c’est pourquoi la tradition nous assure que le nom, c’est l’être même, c’est la chose même : Izina ni ryo muntu, Izina ni ryo kintu. Autrement dit, c’est derrière les noms qu’il faut chercher la signification de nos mythes. Dans les rituels de l’Ubwiru, on rencontre souvent le terme « ikibariro, » qui signifie le temps juste ou le moment correct pour exécuter tel ou tel rituel, et de kubariranya, faire des calculs en avance. De tels calculs devaient s’effectuer, par exemple, pour déterminer le meilleur moment pour exécuter le rite nommé « faire partir l’Igitenga» (la Corbeille). Il était nécessaire, en effet, que la Grande-Corbeille des Prémices Igitenga, fasse l’aller-retour entre la cour et les champs sacrés de Huro, dans le Bumbogo, et soit de retour à temps pour les rites préparatoires de l’Umuganura. Ces calculs devaient se renouveler tous les ans, car la distance entre les champs sacres du Bumbogo variait selon le lieu désigné pour la célébration des prémices. Il faut savoir, en effet, que non seulement la cour rwandaise était nomade, mais encore que la fête des prémices changeait de lieu pratiquement tous les ans, et ne se tenait pas nécessairement à la capitale royale elle-même. Ce lieu était choisi selon des considérations dont la teneur nous échappe en partie, mais dont nous savons qu’elles se rapportent, d’une part, à la nature des énergies telluriques et spirituelles disponibles à tel endroit et non à tel autre selon les « saisons », et de l’autre, à la personnalité du roi, ces deux facteurs devant être mis en rapport avec les besoins du pays en cette période particulière. C’est du moins l’intention que l’on peut prêter aux rites relatifs au cérémonial de l’Umuganura. Il s’agissait alors de déterminer, en fonction de la distance et des jours qui restent avant la pleine lune de Nyakanga, le bon jour du départ de la Grande- 3 Corbeille Igitenga et planifier en conséquence les rites prévus au titre du cérémonial de l’Umuganura, ainsi que les nombreux autres détails de nature pratique que nécessitait ce somptueux festival annuel1. Nombre de paramètres entraient en ligne de compte pour déterminer le moment du départ de l’Igitenga: L’Igitenga était portée dans un palanquin spécial, en procession solennelle L’escorte de la corbeille se composait de plusieurs corps rituels (Abaja ba Gakondo : chanteuses/danseuses ; Abasengo : musiciens/instruments ; Abasizi: poètes (compositeurs/récitateurs;– leurs impundu ou ‘youyous’ particulièrement sonores sont restes célèbres; Impara : confrérie de Ryangombe); Tout cela attiraient les curieux par centaines, et c’était fait exprès, car « le peuple devait acclamer l’Igitenga tout le long de son passage »; l’Igitenga devait alors faire halte de temps à autre pour recevoir les hommages de la population Et surtout, l’Igitenga devait obligatoirement s’arrêter au moins une nuit à l’aller, au domicile d’un membre d’un « bon clan », c’est-à-dire les personnes appartenant aux clans Abazigaba, Abasinga et Abagesera, qui sont réputés porter bonheur, leur foyer dégageant des bonnes énergies.2 Les parents et voisins de la famille choisie (avertie à l’avance), aux dépenses de la réception… Si la distance était importante, l’on faisait autant de haltes que nécessaire, toujours chez les « bons clans », qui donnaient une grande réception, parents et voisins étant tenus de contribuer aux frais. Au retour au lieu prévu pour rituel, il fallait encore passer la dernière nuit au domicile du Grand Prêtre des Prémices Umutsobe - ou à son gîte, si le lieu était éloigné de la capitale. Tous ces détails devaient être prévus minutieusement, afin de s’assurer que tout soit prêt le rite central, c’est-a-dire la manducation du pain des prémices, soit exécute le lendemain même de l’apparition de du fin croissant lunaire dans le ciel occidental. Ceci démontre le propos de Desouter (1982)3 qui avait constaté chez les Rwandais, même les plus simples, une bonne connaissance des phases de la lune. Il faut supposer que les prêtres avaient des connaissances encore plus étendues, notamment en ce qui concerne l’observation du ciel. Malheureusement, vu les perturbations introduites par la colonisation et le prosélytisme anti-traditionnel des missionnaires européens, le clergé rwandais a été très rapidement déstructuré et finalement démantelé, si uploads/Religion/ le-calendrier-traditionnel-rwandais 1 .pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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