P. Bernardakis Le culte de la Croix chez les Grecs In: Échos d'Orient, tome 5,

P. Bernardakis Le culte de la Croix chez les Grecs In: Échos d'Orient, tome 5, N°4, 1902. pp. 193-202. Citer ce document / Cite this document : Bernardakis P. Le culte de la Croix chez les Grecs. In: Échos d'Orient, tome 5, N°4, 1902. pp. 193-202. doi : 10.3406/rebyz.1902.3406 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1902_num_5_4_3406 LE CULTE DE LA CROIX CHEZ LES GRECS Le culte de la croix est aussi ancien que l'Eglise. Les calomnies même des païens en sont un éclatant témoignage. Plus d'une fois, en effet, les apologistes ont eu à justifier les fidèles de l'accusation portée contre eux d'honorer les croix d'un culte idolâtrique. Mais de quelle manière honorait-on la croix pendant les premiers siècles du chri stianisme? C'est là une question difficile à éclaircir. Si l'on affirmait que ce culte cons istait presque exclusivement dans l'em ploi fréquent du signe de la croix, on ne serait peut-être pas loin de la vérité. N'avait- on pas, en outre, des représentations matérielles de la croix, auxquelles s'adres saient les hommages des chrétiens? Le nier absolument serait enlever tout fo ndement sérieux aux accusations bien con nues des païens. Il y a lieu de penser que les premiers chrétiens portaient volontiers sur eux de petites croix. Comme il leur était facile, de les soustraire aux regards des profanes, cet excellent moyen de sa tisfaire leur ardente piété n'offrait pas de sérieux inconvénients. Notons, comme une exception, lecas, d'ailleurs mal attesté, de saint Oreste, soldat et martyr sous Dioctétien. Saint Oreste, audiredeSyméon Métaphraste, fut reconnu comme chré tien à une croix en or, que le mouvement violent de son bras fit sortir de ses vête ments, tandis qu'il maniait ses armes (i). Mais il ne s'agit ici que des honneurs rendus à la croix par la piété privée. Exist ait-il, pendant la période des persécutions, des représentations matérielles de la croix exposées publiquement et honorées d'un culte solennel par l'assemblée des chré tiens? La prudente réserve de nos pères n'a permis à aucun monument ancien de nous en donner l'absolue certitude. Il est possible que le monogramme du Christ, qui n'est qu'une croix dissimulée, remonte (i) Migne, P. G., t. CXVI, col. 485. Echos d'Orient. 5e année. — N° 4. aux temps apostoliques. Plusieurs auteurs ont voulu le prouver et ont affirmé qu'il avait pris naissance en Orient, lorsque les fidèles commencèrent à s'appeler du nom de chrétiens. Cependant, les preuves ap portées ne permettent pas de formuler une assertion exempte de doute. On se rait même plutôt porté à croire que la croix, même monogrammatique, n'appa rut dans les synaxes chrétiennes que' sous le règne de Constantin. D'après M. de Rossi, l'archéologue le plus à même de nous éclairer sur ce point, aucun mo nogramme du Christ incontestable, gravé ou peint sur un monument daté antérieur à l'an 312, n'est parvenu jusqu'à nous (i). Ceux que l'on remarque dans les cat acombes romaines ont été ajoutés après coup. Dans la suite, bien que libre et triomphante, l'Eglise se contenta assez longtemps encore du simple monogramme du Christ: la lettre grecque X traversée verticalement par un P, et horizontalement quelquefois par un I. Ce monogramme se vulgarisa, passa par diverses transformat ions successives, se debarrassade ses lignes superflues et laissa paraître enfin, vers le commencement du ve siècle, la croix toute nue. A la croix dégagée du monogramme on ajouta bientôt par compensation des ornements et des symboles. On y mit surtout un agneau vers le bas avec une croix secondaire sur les épaules. Du bas, l'agneau passa au centre, puis enfin il céda la place à l'image même du Christ. Cette substitution s'effectua d'une man ière définitive lorsque le Concile qui- nisexte eut recommandé de préférer les images historiques aux emblèmes. Le plus ancien crucifix connu appartenant au culte public provient de l'église de Narbonne. Il est du vie siècle (2). (1) Roma sotterranea Christiana, II, 2, p. 317. De chris- tianis titulis Carthaginiensibus, p. 33. (2) Voir Martigny. Dictionnaire des antiquités chré tiennes,, aux mots croix et monogramme. Avril 1902. 194 ECHOS D ORIENT Comme je l'ai dit plus haut, c'est e ssentiellement par l'usage fréquent du signe de la croix que le culte de la croix se manifesta pendant les trois premiers siècles. Les chrétiens en usaient à toutes leurs démarches, au commencement et à la fin de leurs moindres actions, avant d'allumer une lampe, en prenant un siège; ils le multipliaient au moment du danger ; ils le reproduisaient jusque dans leur te nue, en priant les bras étendus, tournés vers l'Orient. Pour faire le signe de la croix, les pre miers chrétiens se contentaient d'en tracer la forme avec les doigts sur leur front, et quelquefois aussi sur leur bouche et leur poitrine. Là est l'unique procédé signalé dans les écrits authentiques des anciens Pères. On ne commença à faire le signe sacré en portant la main droite du front à la poitrine et d'une épaule à l'autre que fort tard, apparemment vers le vme siècle. Aux moines revient probablement l'initia tive de cet usage : introduit par eux dans la liturgie, il se répandit de là parmi les fidèles (i). A ce moment, le signe de la croix se faisait comme il suit : on réuniss ait les trois premiers doigts de la main droite en tenant les deux autres fermés, et l'on portait ces trois doigts réunis suc cessivement au front, à la poitrine, à l'épaule droite et à l'épaule gauche. Cette manière de procéder resta pendant très longtemps celle de l'Eglise universelle. L'Eglise grecque n'y a jamais rien mod ifié. Dans l'Eglise latine, au contraire, un changement s'opéra au xme siècle : les Occidentaux inaugurèrent alors leur usage actuelr qui est, on le sait, d'employer la main entière et de toucher l'épaule gauche avant l'épaule droite. Citons comme preuve ce texte d'Innocent III: Signum crucis tribus digitis exprimendum est, ita ut a superiori descendat ad inferius et a dexter a transeat ad sinistram. Qvddam ta rnen Signum crucis a sinistra producunt in dexter am (2). (ι) Pelliccia, Polit, ecclés., t. IV, p. 191. (2) De Mysteriis Missœ, cap. XLV, cité par L. Alla- tius, De Ecclesiœ occidentalis et orientalis perpétua conse.n- Dans l'Eglise grecque, les rubriques l iturgiques ont consacré la coutume tant recommandée par les Pères d'user fr équemment du signe de la croix. Un grand nombre de courtes prières très souvent récitées en sont toujours accompagnées. Les Grecs font trois fois le signe de la croix en saluant le Saint Sacrement d'autant de prostrations ; mais, au lieu de prononcer la formule ordinaire : In nomine Patris, etc., ils répètent la prière du publicain : Ο Dieu, soye^-moi propice, à moi pécheur, et aye% pitié de moi; ou celle-ci : Seigneur, j'ai pé ché, pardonnez-moi. Ils font le signe de la croix en s'inclinant devant une image avant de la baiser; ils le font trois fois en récitant le trisagion ; ils le font à la petite doxologie, et chaque fois qu'ils nomment la Sainte Trinité; ils le font enfin toutes les fois qu'ils prononcent le nom de la Sainte Vierge ou celui du Saint dont ils célèbrent la fête. C'est à partir de l'avènement de Const antin que le culte de la croix, sous toutes ses formes, prend son magnifique essor. Libres désormais de toute contrainte, les chrétiens ne connaissent plus de mesure dans la manifestation de leur attachement à ce signe sacré. Ce qui naguère était un objet d'ignominie, suivant le langage des Pères, brille maintenant sur le diadème des rois. On voit la croix ou le mono gramme partout : sur les autels, sur les chemins et les places publiques, sur les portes et les murailles des maisons, sur les vases d'or et d'argent, sur les bijoux, sur tous les objets à l'usage des chrétiens. On porte des parcelles de la vraie croix suspendues à son cou dans des médaillons d'or (1); partout la croix resplendit plus brillante que le soleil. Cette dévotion prend même l'aspect d'un abus; l'empe reur Valentinien III (2) promulgue une sione, col. 1360. Voir aussi Gretser, De crue, lib. IV, cap. 1. — Quand le prêtre grec bénit d'un signe de croix, il tient le pouce de la main droite croisé sur l'annulaire, et les autres doigts ouverts. Ses doigts ainsi disposés forment les initiales destroismots : Ίησοΰς Χρίστος νικά. (ι) Saint Jean Chrysostome. Migne, P. G., t. XLVI1I, col. 826. (2) Cod. Justin., 1. I, tit. 7. LE CULTE DE LA CROIX CHEZ LES GRECS I95 loi pour défendre de graver la croix sur le pavé des Eglises, et cette défense doit être réitérée plus tard par le Concile in Trullo (1). Mais la plus belle manifesta tion de cet élan de piété vers la croix fut l'institution de fêtes solennelles en son hon neur. Nous allons en parler en commenç ant par la plus ancienne. I. — ■ FÊTE DE L'EXALTATION i° Partie historique. — Constantin était redevable à la croix de la plus importante de ses victoires. Aussi déploya-t-il un zèle extraordinaire à honorer uploads/Religion/ le-culte-de-la-croix.pdf

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  • Publié le Mai 04, 2021
  • Catégorie Religion
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