L'EXTASE DIONYSIAQUE ET L'HISTOIRE DES RELIGIONS Renate Schlesier ERES | « Savo

L'EXTASE DIONYSIAQUE ET L'HISTOIRE DES RELIGIONS Renate Schlesier ERES | « Savoirs et clinique » 2007/1 n° 8 | pages 181 à 188 ISSN 1634-3298 ISBN 9782749208299 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2007-1-page-181.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Or, si les écrivains postérieurs et plus par- ticulièrement les écrivains modernes ont tâché, dans des créations libres, de mesurer l’écart entre les spécificités de l’extase dionysiaque et sa généralisation 2, les historiens modernes de la religion grecque ancienne furent confrontés au problème suivant : tenir compte non seule- ment des particularités de l’extase dionysiaque, mais aussi du fait que l’extase est une expé- rience humaine universelle qui ne se restreint pas à des cultures, des religions, des époques ou des sphères géographiques données. Les tenta- tives de solution de ce problème se distinguent notamment de la façon suivante : l’accent est mis soit sur l’un soit sur l’autre de ces aspects, soit sur ce qui est commun à beaucoup ou bien même à toutes les formes et techniques de l’ex- tase, soit sur ce qui paraît être spécifique de l’extase dionysiaque. Avant de présenter et d’analyser quelques- unes des tentatives de solution de ce problème, problème qui relève à chaque fois d’une culture spécifique et en même temps d’une généralité anthropologique, je voudrais énumérer d’abord quelques caractéristiques centrales et fonda- mentales de l’extase dionysiaque, telles qu’elles apparaissent dans la tradition écrite des Grecs. Or, cette tradition est avant tout une tradition lit- téraire. À ce sujet, il faut souligner le fait que l’étendue de la liberté créatrice, réclamée par les poètes anciens malgré la fonction pragmatique 181 L’extase dionysiaque et l’histoire des religions Renate Schlesier Renate Schlesier, professeur d’histoire des religions à l’université libre de Berlin. ANTHROPOLOGIE DE L’EXTASE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.222.21.67 - 21/03/2020 14:19 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.222.21.67 - 21/03/2020 14:19 - © ERES de leurs productions, était énorme, un fait rare- ment pris en considération par la plupart des his- toriens modernes de la religion. Quant à Dionysos, il est présenté, dans le premier passage de la tradition littéraire où il figure (dans le chant VI de l’Iliade d’Homère), comme le « délirant » (mainomenos 3). Ce qui est donc significatif, c’est non seulement qu’il apparaît ainsi, dès le début de la tradition, comme dieu de l’extase, mais surtout que c’est lui-même qui est dans le délire. Or, dans l’Iliade homérique, ceci n’est pas, en soi, une épithète au sens strict du terme ou une marque distinctive de Dionysos, mais le relie au moins à un autre dieu, au dieu de la guerre, Arès, qui, dans la même épopée, est caractérisé également comme « délirant » (mainomenos 4), tout comme la façon d’être des guerriers combat- tants (surtout celle du héros principal de l’Iliade, Achille) est décrite comme un délire, par l’usage du même vocabulaire. Mais dans le cas de Dionysos, son état délirant est intégré dans un petit scénario où on le voit entouré de femmes, désignées comme ses nourrices et décrites comme exécutrices d’un rite auquel le dieu délirant participe en personne. Par rapport à toutes les autres présen- tations de divinités, chez Homère et dans la tra- dition ultérieure, ce fait est exceptionnel. C’est comme si l’état exceptionnel de Dionysos, son extase, sanctionnait un statut exceptionnel, sa proximité extrême par rapport aux humains et plus particulièrement aux femmes, et sa partici- pation en personne à leurs activités rituelles. Quand Platon, plus de quatre siècles après Homère, prête à son maître Socrate, dans le dia- logue du Phèdre, un enseignement sur les béné- fices du « délire divin » (ou bien de la « folie divine », theia mania) en attribuant son origine de façon classificatoire à quatre divinités ou groupes divins différents, à Apollon, à Dionysos, aux Muses ainsi qu’à Aphrodite et Éros, il carac- térise la « mania » attribuée à l’influence de Dio- nysos de façon spécifique comme telestikè, relevant des cultes à mystère 5. On peut donc dire que, chez Platon comme chez Homère, l’extase spécifique de Dionysos ne peut pas être séparée de rites collectifs et semble dépendre, si ce n’est surgir, de tels rites initiatiques mystérieux. Mais la question de savoir en quoi consistaient ces rites d’extase collective en l’honneur de Diony- sos, qui étaient celles ou ceux qui les prati- quaient, sous quelles conditions ces rites furent accessibles et quels buts furent poursuivis par eux – ce questionnaire ne se laisse remplir qu’avec peine, si tant est que l’on puisse trouver des réponses à partir de la tradition antique. Et on ne sera pas surpris que les recherches des histo- riens de la religion depuis la fin du XIXe siècle présentent des solutions multiples, et diver- gentes, de ces problèmes. Les difficultés de la recherche ne résultent pas seulement du fait que la production des textes transmis s’étend sur une période de mille trois cents ans, à partir des épopées homériques du VIIIe (ou bien du début du VIIe) siècle av. J.-C. jusqu’à l’épopée monumentale appelée Dionysiaka de Nonnos, du Ve siècle après J.-C. Les difficultés résultent surtout du fait que la plupart des textes appartiennent à la tradition poétique, notamment à l’épopée, à la poésie lyrique et chorale archaïque et au drame clas- sique du Ve siècle av. J.-C. Or, le perspectivisme de ces textes n’est pas seulement lié chaque fois au genre, mais il est encore spécifié par le contexte étroit ou large de chaque passage tex- tuel selon un mode très complexe. En outre, la tradition est très fragmentaire et ne représente qu’une partie relativement exiguë de ce qui a été produit réellement par les poètes grecs anciens. De même, la tradition en prose (surtout des textes philosophiques et historiographiques) est souvent fragmentaire et ne contient que peu d’œuvres transmises en entier, qui, à leur tour, donnent relativement peu de renseignements sur la spécificité de l’extase dionysiaque. Quant aux témoignages textuels à ce sujet provenant de la période entre Homère et Platon, il s’agit en définitive d’un corpus relativement mince dont les énoncés n’ont néanmoins pas été fondamentalement surpassés ou élargis au cours du millénaire suivant. Par conséquent, les L’écriture et l’extase 182 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.222.21.67 - 21/03/2020 14:19 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.222.21.67 - 21/03/2020 14:19 - © ERES historiens de la religion grecque ancienne qui s’efforcent d’aboutir à la compréhension de l’extase dionysiaque s’appuient surtout sur le corpus classique qui consiste pour l’essentiel en deux passages en prose du VIe ou bien du Ve siècles av. J.-C., ainsi qu’une multitude de passages provenant de tragédies de la même époque. Ce matériel fait ressortir notamment deux aspects centraux de l’extase dionysiaque, des aspects qui comportent des problèmes à peine surmontables et ont abouti à des controverses non terminées jusqu’à nos jours. L’un de ces aspects concerne la question du rôle particulier des femmes dans ce contexte, l’autre la ques- tion de la participation éventuelle des deux sexes à ces rites. C’est surtout un texte littéraire qui semble répondre à ces questions, car son sujet est l’extase féminine provoquée par Dio- nysos – la possibilité d’une participation mas- culine à des conditions précises n’étant pas exclue : Ce texte, c’est la tragédie des Bac- chantes d’Euripide 6, et il n’est pas surprenant que la recherche moderne des historiens de la religion grecque ancienne sur l’extase diony- siaque ait pris son essor à partir de ce drame et continue à y revenir. En ce qui concerne cette tragédie, mais aussi certainement en ce qui concerne la trans- mission des textes dans leur totalité, il est évi- dent que le fil conducteur menant à la compréhension de l’extase dionysiaque passe avant tout par la terminologie. Ce qui est plus particulièrement instructif dans ce uploads/Religion/ l-x27-extase-dionysiaque-et-l-x27-histoire-des-religions.pdf

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  • Publié le Jui 13, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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