Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales et historiques Wolf

Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales et historiques Wolfgang Schluchter Titre original Der Dualismus der menschlichen Natur und seine sozialen wie historischen Bedingungen Traduction deIsabelle Kalinowski Édition originale : In : Id. : Grundlegungen der Soziologie, Tübingen : Mohr-Siebeck, 2007, p. 165-196. Index | Note de la rédaction | Texte | Bibliographie | Notes | Illustrations | Citation | Auteur | Traducteur Sommaire Document précédent Document suivant Entrées d’index Note de la rédaction Nous remercions M. Wolfgang Schluchter ainsi que la maison d’édition Mohr-Siebeck de nous avoir accordé l’autorisation de traduire ce texte pour le présent numéro. Wir danken Herrn Wolfgang Schluchter und dem Verlag Mohr-Siebeckfür die freundliche Genehmigung, diesen Artikel in französischer Übersetzung zu publizieren. Texte intégral PDFSignaler ce document  1 L’Année sociologique, dont le volume I fut publié par Durkheim en 1896/97, publia dans son volume (...) 1Durkheim affirme qu’au commencement, presque tout était religion1. Le commencement correspondait pour lui à la configuration à laquelle aboutissait l’observateur sociologue en cherchant le terme le plus simple. Le plus simple, avait-il expliqué dans Les Règles de la méthode sociologique, était la plus petite unité, celle qui ne pouvait être ramenée à aucune autre sans se désagréger. A l’époque des Règles, Durkheim songeait à la horde ou au clan. Or, ce qu’il appliquait à la structure (sociale) valait aussi pour la culture, sous la figure de la religion. Le commencement de la religion correspondait donc, selon lui, à la forme la plus simple, celle qui ne pouvait être ramenée à aucune forme antérieure plus élémentaire.  2 Durkheim (1990 [1912]).  3 Durkheim (1990 [1912]), p. 22.  4 Durkheim (1990 [1912]), p. 12.  5 Durkheim (1990 [1912]), p. 50.  6 Durkheim (1990 [1912]), p. 51. 2Telle était l’approche choisie par Durkheim dans sa dernière grande monographie, consacrée en 1912 aux formes élémentaires de la vie religieuse, dont l’élaboration avait été préparée par la publication d’articles et de comptes rendus2. Entre temps, il avait élargi et approfondi sa définition du fait religieux proposée en 1899 mais il ne l’avait aucunement remise en cause. Il continuait d’appréhender les faits religieux, à l’instar de tous les faits sociaux, comme le résultat d’associations, « d’une immense coopération, qui s’étend non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps3 ». Il ne cessait de les définir comme des faits sociaux dotés d’un aspect cognitif et d’un aspect normatif. En effet, tout comme les premiers systèmes d’actions, les premiers systèmes de pensée étaient pour lui d’origine religieuse : « Il n’est pas de religion qui ne soit une cosmologie en même temps qu’une spéculation sur le divin4 ». Sur le divin, notons-le bien, et pas nécessairement sur Dieu ou les dieux. En effet, les religions connaissaient l’un et l’autre : la personnalisation de l’être suprême dont nous nous sentons tributaires n’était donc pas, selon Durkheim, le critère de définition décisif du fait religieux. Cela aussi, le sociologue l’avait déjà noté dans sa première tentative de définition, en se référant au bouddhisme. Par suite, le point de vue qu’il privilégiait dans la définition du fait religieux était la distinction entre le sacré et le profane. Les faits religieux, même simples, procédaient selon lui de convictions religieuses et de rites destinés à creuser un fossé infranchissable entre le sacré et le profane et, en même temps, à permettre de le franchir. Il en allait de même des faits religieux complexes, notamment dans les religions élevées : « Toutes les croyances religieuses connues, qu'elles soient simples ou complexes, présentent un même caractère commun : elles supposent une classification des choses, réelles ou idéales, que se représentent les hommes, en deux classes, en deux genres opposés, désignés généralement par deux termes distincts que traduisent assez bien les mots de profaneet de sacré5 ». Cependant, tout ou presque était susceptible de devenir sacré : « un rocher, un arbre, une source, un caillou, une pièce de bois, une maison, en un mot une chose quelconque peut être sacrée » – et aussi, justement, une personne ou un dieu6.  7 Au demeurant, il faudrait établir une distinction entre institution et organisation. Durkheim conf (...)  8 Durkheim (1990 [1912]), p. 65 (en italique dans l’original). 3Deux genres opposés : telle est, ici, la mention la plus significative. En effet, pour Durkheim, il n’en va pas seulement, dans la distinction entre sacré et profane, des deux faces d’un seul et même phénomène, ni même d’une hiérarchie entre deux domaines de réalités qui se constitueraient par là-même, mais d’une altérité absolue. Le sacré est un domaine de réalité spécifique, qui tend à s’opposer au profane sur un mode antithétique. L’individu, au demeurant, participe de ces deux domaines de réalité. Mais ce n’est qu’à partir du moment où le sacré est organisé qu’il devient religion. Dans sa première définition du fait religieux, Durkheim n’avait pas prêté attention à ce trait caractéristique. D’où, peut-être, l’idée qu’il avait formulée dans la préface de la deuxième édition des Règles de la méthode sociologique : la sociologie est la science des institutions, de leur genèse et de leurs effets7. Quoi qu’il en soit, la définition élargie et approfondie du fait religieux tient compte de cet aspect. La voici : « Une religion est un système solidaire de croyances et de Pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent8. »  9 Ibid.  10 On peut ainsi lire dans Durkheim (1990 [1912]), p. 61 : « Il n’existe pas d’Église magique.Entre l (...) 4Durkheim souligne que les aspects symboliques et institutionnels sont d’égale importance. Ce n’est qu’avec « l’Eglise » que les représentations religieuses et les règles d’action deviennent une « chose éminemment collective9 ». Il se trouve ainsi amené, par ailleurs, à opérer une distinction entre magie et religion et à exclure la magie du domaine des affaires collectives10. […]  11 Weber n’aurait pas dit lui non plus qu’une religion exigeait nécessairement une Eglise. Comme on l (...) 5On peut en dire autant d’une deuxième réflexion que Durkheim rattache à la distinction du sacré et du profane. En raison de la séparation, voire de la rivalité ou même de l’hostilité entre ces deux mondes, le monde religieux recèle toujours, du point de vue de Durkheim, une potentialité de refus du monde profane, en d’autres termes, une potentialité de refus du monde. Sur ce point aussi, Weber voit les choses très différemment. Chez lui en effet, le refus du monde d’inspiration religieuse présuppose l’évolution de la religion en religion de la délivrance. Durkheim ne s’intéressa que marginalement aux religions de la délivrance. Même le christianisme n’est évoqué que de manière sporadique11. 6Au demeurant, la thèse affirmant l’altérité des deux domaines et l’antagonisme qui les oppose ne sert, chez Durkheim, qu’à faire ressortir les mécanismes sociaux qui opèrent malgré tout une médiation entre eux. En effet, l’individu doit pouvoir passer de l’un à l’autre sans que le sacré soit profané ou que le profane soit sacralisé. Durkheim est ainsi conduit à élaborer une théorie des rituels, qui décrit les modalités contrôlées en fonction desquelles le profane peut se rapprocher du sacré, puis, une fois que ce rapprochement a eu lieu, se retirer hors de la sphère sacrée, là encore sous contrôle. En effet, le sacré est objet de désir mais aussi source de périls, et l’on éprouve à son égard un sentiment ambigu, un mélange de crainte et d’amour. Les représentations religieuses définissent ce qu’est le sacré ; les règles d’action religieuses définissent quant à elles, sous la forme des rituels, la manière dont on doit entrer en contact avec le sacré, et communiquer avec lui. Dans son étude sur les formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim traite principalement des représentations totémiques et des rituels négatifs et positifs qui y sont associés. Cependant, l’étude de cette configuration religieuse initiale lui sert aussi de point de départ pour des considérations sur l’histoire de l’évolution qui restent largement prises, nous le verrons, dans la dichotomie entre les sociétés segmentaires et les sociétés de la division du travail.  12 Durkheim (1990 [1912]), p. 123 sq.  13 L’institution de L’Année sociologique a aussi pour objectif, aux yeux de Durkheim, de faire perdre (...) 7[…] Pour Durkheim, la religion la plus élémentaire, qui ne peut plus être ramenée à aucune autre forme antérieure, est le totémisme12. Il « appartient » à la structure sociale du type segmentaire. Les règles de pensée qui lui correspondent avaient déjà été étudiées dans l’article de Durkheim et Mauss sur les classifications primitives. On retrouve ici les apports de cet article, mais ils sont désormais fondés sur un matériau considérablement élargi. Comme dans La Division du travail et dans l’étude sur le suicide, Durkheim évite le recours à la méthode dialectique. Il se conforme bien plutôt au principe de l’induction progressive13.  14 Cf. Lévi-Strauss (1962). 8L’interprétation durkheimienne du totémisme, du reste, est contestée parmi les ethnologues. Lévi-Strauss, notamment, a uploads/Religion/ le-dualisme-de-la-nature-humaine-et-ses-conditions-sociales-et-historiques.pdf

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  • Publié le Mar 18, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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