études syriaques 10 Les églises en monde syriaque GEUTHNER Volume édité par Fra
études syriaques 10 Les églises en monde syriaque GEUTHNER Volume édité par Françoise Briquel Chatonnet © 2013, s.n. librairie orientaliste paul geuthner s.a. 16 rue de la grande chaumière - 75006 paris ISBN : 978-2-7053-3886-2 Tous droits réservés Photo de couverture Qalb Lozé © Mission franco-syrienne « Inscriptions syriaques de Syrie » Composition de la couverture Vincent Castevert Les églises en monde syriaque, F. Briquel Chatonnet (éd.), Paris, 2013 (Études syriaques 10), p. 11-40. Les églises dans les textes* Françoise Briquel Chatonnet CNRS, UMR Orient et Méditerranée La littérature syriaque n’est pas d’une grande aide pour une étude sur l’architecture des églises syriaques. Elle ne connaît pas de Vitruve 1 ou de Pausanias. Ce n’est que de façon éparse ou incidente que l’on a mention de bâtiments, qui sont de plus très rarement et brièvement décrits : il est question le plus souvent de la construction, ou de la destruction d’églises, par exemple par un tremblement de terre dont les chroniques rapportent maints exemples, sans toutefois s’attarder aucunement à une description du bâtiment lui-même 2. Plus d’allusions sont faites à leur fonction litur gique ou à leur valeur symbolique comme type du monde céleste. Pourtant les églises sont bien au centre de la vie des auteurs qui ont écrit en syriaque : elles sont d’abord le lieu de la liturgie et donc de la rencontre avec le divin et de l’accomplissement des rites du salut, qui donne pour eux sens à toute vie humaine ; mais elles représentent aussi le lieu de rassemblement et donc d’identification de la communauté, le lieu justement où les chrétiens se font communauté. Il faut en effet rappeler que les chrétiens de langue syriaque ne se sont presque jamais identifiés avec un royaume ou une structure politique. Dans l’Empire sassanide, ils sont face à un État qui se proclame mazdéen. Du côté byzantin, la communauté syriaque s’affirme très tôt, suite aux controverses christologiques, majoritairement miaphysite, et donc en résistance contre la politique impériale. La conquête arabo-musulmane soumet tous les chrétiens syriaques à un pouvoir musulman, et à un environnement qui finit par devenir majoritairement musulman. De ce fait, ils ne disposent * Je remercie très vivement Muriel Debié qui a relu ce texte et m’a fait de précieuses suggestions. 1. Vitruve, De architectura. 2. On peut citer par exemple la Chronique de Zuqnin IV, 9 (Chabot p. 9) ; IV, 25 (Chabot p. 23), 31 (p. 29). 12 les églises en monde syriaque pas d’organisation ou de structure, et donc d’édifice, à nature politique ou culturelle, dans lequel ils pourraient se trouver représentés comme groupe. C’est tout naturellement dans l’église qu’ils peuvent affirmer leur existence en tant que communauté. Cette étude n’a pas la prétention de faire une synthèse exhaustive sur ce qu’on trouve dans la littérature syriaque concernant les églises, qui dépasserait largement le cadre imparti. Il n’a pas non plus pour objet d’opposer les textes aux approches archéologiques : les études régionales que l’on trouvera ci-dessous se nourrissent également des œuvres des auteurs syriaques. François Cassingena-Trévedy de son côté présente un regard théologique sur cette question 3. Mon propos est d’étudier la vision à la fois historique et descriptive, à partir de quelques textes narratifs, vies de saints et chroniques et aussi de quelques textes liturgiques. Il faut cependant se souvenir que chaque texte informe toujours sur un lieu donné, une époque, une communauté. Il est donc dangereux d’extrapoler à partir de ces témoignages épars et on verra que certaines indications, contradictoires, mettent bien en relief cette diversité. Un paysage chrétien La mention des églises a pour première fonction, dans les histoires et les récits, de dessiner un paysage chrétien. Le plus ancien texte historique mentionnant une église syriaque se trouve probablement dans la chronique d’Édesse : c’est le passage relatant l’inondation d’Édesse en 200 de notre ère, dont on admet généralement qu’il provient des archives de la ville 4. Parmi les bâtiments détruits lors de la catastrophe, est mentionné « le sanctuaire de l’église des chrétiens ». Le mot employé est ici hayklā, « temple, sanctuaire », puis ʿidtā, qui est l’équivalent du grec ecclésia. Si la mention de cette église a beaucoup intéressé, comme témoignage particulièrement ancien d’un lieu de culte dont l’existence est officielle, elle n’est pas sans poser problème : elle s’explique bien dans un contexte où l’on imaginait que la christianisation d’Édesse ou au moins de son roi, était acquise dès cette époque, sinon même à l’époque apostolique 5. Mais les documents conservés, notamment épigraphiques 6 ou iconographiques 7, montrent que l’élite du royaume 3. Infra, p. 521-539. 4. Chronique d’Édesse, texte p. 2, version p. 3. 5. Comme voudrait le montrer la Doctrine d’Addaï. 6. Drijvers & Healey 1999. 7. Voir par exemple la mosaïque de Marallaha (Balty & Briquel Chatonnet 2000). 13 les églises dans les textes pratiquait encore au milieu du iiie siècle des cultes traditionnels. On voit mal dès lors comment le récit officiel de la catastrophe consigné dans les archives de la cité aurait pu enregistrer la destruction de l’église des chrétiens, quand elles ne font pas d’allusion aux temples, mais évoquent seulement le palais royal. On se souviendra aussi qu’à la chute de Doura Europos devant l’armée sassanide en 256, un lieu de culte chrétien a été enfoui dans les travaux préparatoires au siège et donc préservé, mais qu’il s’agissait bien encore de la maison d’un particulier, aménagée pour cette fonction, où le culte, et particulièrement les baptêmes, étaient pratiqués dans la sphère privée 8. La mention de l’église lors de l’inondation est probablement une interpolation ultérieure 9 dont l’insertion visait à prouver l’ancienneté de la christianisation d’Édesse 10. On sait par ailleurs que la plus ancienne église construite à Édesse est probablement celle qui fut plus tard dédiée à mar Thomas l’apôtre 11. Mais la mention n’est pas anodine, elle repose sur la conviction qu’il est nécessaire pour des chrétiens de disposer d’une église, selon la conception des écrivains des siècles ultérieurs. Une communauté chrétienne ne peut se concevoir sans célébration eucharistique, et celle-ci sans église. On en voit une illustration remarquable dans les constructions d’églises attribuées à l’époque apostolique dans les Actes apocryphes des différents apôtres, qui supposent déjà que les pays sont « couverts d’un blanc manteau d’églises ». La Doctrine d’Addaï évoque bien sûr une église construite par Addaï à Édesse, avec la bénédiction du roi 12. Les Actes de mar Mari montrent Addaï 8. Kraeling 1967. 9. Reste ce mot hayklā. Dans la littérature postérieure, il désigne généralement la nef de l’église. On le trouve cependant parfois pour désigner l’ensemble du bâtiment : voir par exemple les notices 51 et 52 du Livre de la Chasteté d’Išoʿdnaḥ de Baṣrah, consacrées à Rabban Gabruna et à Habib de Qardu (Chabot, texte p. 33 ; version p. 252-253) et aux hayklā remarquables qu’ils avaient bâtis. Chabot traduit « temple ». Mais il s’agit bien d’une église. Voir également, par exemple, saint Jacques, évêque du couvent de Psīltā, qui est enterré dans le hayklā qu’il a construit (Jean d’Éphèse, Vie des saints orientaux, éd. Brooks, III, p. 272). Dans la chronique d’Édesse, il s’agit probablement d’employer un mot ancien (qui vient du sumérien E-GAL « la grande maison », employé aussi bien pour le palais que le temple, par l’intermédiaire de l’akkadien ekallu et probablement de l’hébreu biblique haïkal qui désigne le temple de Jérusalem) et non réservé aux églises afin de montrer qu’on se situe justement avant que les églises proprement dites existent. 10. Ross 2001, p. 108. Drijvers 1980, p. 14, considère également comme apocryphe la tradition de la conversion d’Abgar VIII, qui régnait à cette époque. 11. Chronique 1234 : Chabot, I, p. 180 (texte) ; p. 141 (version). 12. Doctrine d’Addaï, § 64 : « [Le roi Abgar dit à l’apôtre Addaï :] “Alors, partout où tu veux, construis une église, lieu de réunion de ceux qui ont cru et de ceux qui 14 les églises en monde syriaque construisant la première église à Édesse, puis à sa suite, son disciple Mari érigeant des églises à travers toute la Mésopotamie, dès qu’il a pu opérer des conversions et fonder une première communauté ; il en bâtit ainsi à Nisibe, à Arzon, à Šahqert dans le Beth Garmaï, puis construit 365 églises et monastères, nombre combien symbolique, en amont de Séleucie- Ctésiphon 13. À l’époque de rédaction de tels textes, il paraissait impensable qu’il puisse exister une communauté sans église et qu’une évangélisation ne soit pas accompagnée par l’érection de lieux pour la célébration du culte dominical 14. Si la construction de sept églises à Thomas au Kérala est une tradition bien affirmée 15, c’est parce qu’elle relève de la même conception qui affirme a posteriori qu’il a été nécessaire dès l’origine, pour chaque communauté, de disposer de tels lieux de culte. Si donc on est obligé de supposer l’existence d’églises dès les temps apostoliques, il faut aussi imaginer des substituts quand elles sont fermées en période de persécution. C’est ainsi qu’il est parfois question d’églises domestiques, uploads/Religion/ les-eglises-en-monde-syriaque-les-eglise-pdf.pdf
Documents similaires
-
10
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 09, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 1.3210MB