ANDRÉ POISSON PRIEUR DE CHARTREUSE LA DOCTRINE MONASTIQUE DES COUTUMES DE GUIGU
ANDRÉ POISSON PRIEUR DE CHARTREUSE LA DOCTRINE MONASTIQUE DES COUTUMES DE GUIGUES 1992 Casalibus Édition numérique : salettensis@gmail.com 11 [Jérémie] ajoutait encore ces mots : le solitaire restera assis et gardera le silence, et il s’élèvera au dessus de soi, exprimant par là tout ce qu'il y a de meilleur dans notre vie : le repos, la solitude, le silence, et le désir ardent des biens célestes. Le bienheureux Guigues Ier Coutumes de Chartreuse, 80, 7 Guigues 1er Est né en 1083 au château de Saint-Romain de Val-Mordane près de Tournon (Ardèche).Entré en Chartreuse en 1106, il en devient Prieur en 1109, rédige les Coutumes de 1222 à 1227 et y décède le 27 juillet 1136. Dom André Poisson (Étienne au Baptême) est né le 28 février 1923 à Douces (Anjou). Profès de Chartreuse le 2 février 1948, il en est Prieur depuis le 8 mai 1967. tiré à part des pages 485-501 de théologie de la vie monastique – études sur la patristique – Paris : Aubier, 1961. – 571p. – (théologie : 49) en l'honneur du vingt cinquième anniversaire de l'élection de leur auteur à la tête de l'Ordre des Chartreux. © Casalibus, 1992 ––––– Hors Commerce ––––– 11 Les premiers chartreux n'ont jamais eu le souci de faire un exposé systématique de l'idéal qu'ils poursuivaient ni même d'expliquer pourquoi leur vie tranchait sur les usages monastiques communément reçus en leur siècle. Saint Bruno nous a laissé peu d'écrits postérieurs à sa vocation au désert : deux lettres1 frémissantes d'enthousiasme et de joie, mais où il serait vain de vouloir chercher une pensée didactique. Guigues, au contraire, par besoin de réflexion personnelle ou par nécessité a été un auteur plus fécond2 ; mais il est remarquable de voir combien toutes ses œuvres, même les Méditations, de caractère si intime, gardent une grande retenue, coupent court à tout épanchement ou développement. S'il lui arrive dans les Coutumes de perdre un peu de sa réserve, il s'en excuse aussitôt : Frères bien-aimés, si nous nous sommes laissé aller à parler plus qu'il ne convenait, souffrez-le et pardonnez-nous. (XX, 8) Ce n'était pas faute de talent qu'il se taisait ; les contemporains sont unanimes à vanter la richesse de sa pensée et la force de sa parole.3 Il semble plutôt que ce soit par crainte de profaner les secrets que seuls connaissent ceux qui les ont directement goûtés. A la fin des Coutumes, il confie aux prieurs des nouvelles chartreuses naissantes: Nous n'ayons à peu près rien dit pour faire l'éloge de la vie solitaire, car-nous savions la profusion de louanges que lui ont décernées de nombreux saints et sages, d'une telle autorité que nous ne sommes par dignes de fouler leurs traces. Quant à vous, nous avons jugé superflu de vous exposer ce que vous savez aussi bien, si ce n'est mieux que nous. (LXXX, 3) Saint Bruno avait déjà écrit à son ami Raoul le Verd : Ce que la solitude et le silence apportent d'utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, seuls savent ceux qui en ont fait l'expérience.4 Une autre raison de la discrétion observée par Guigues à l’égard de son propre idéal est un sens aigu du concret, qui lui fait éviter la spéculation ou les discours inutiles. Tous les premiers chartreux 5 ont eu ce besoin de rester en contact immédiat du réel, souvent présenté sous son aspect le plus pratique, toujours considéré comme la garantie d'une union authentique au Seigneur, comme un critère de vérité. A ses fils de Chartreuse, saint Bruno écrivait de Calabre : Vous pratiquez avec toute la prudence et le zèle possibles la véritable obéissance, c'est-à-dire l'accomplissement des vouloirs de Dieu, la clef, le sceau de toute observance spirituelle : jamais elle n'existe sans une grande humilité et une patience insigne, et toujours elle s'accompagne d'un chaste amour du Seigneur et d'une authentique charité.6 C'est donc seulement à partir de détails pratiques de la vie des moines que l'on peut remonter à l'esprit qui les anime, découvrir la logique qui les ordonne, l’âme qui les inspire. Dans ces perspectives, les Coutumes de Guigues sont le meilleur et le plus sûr des guides : c'est en elles que se trouve réalisée, sous sa forme la plus pure, cette synthèse des petits détails quotidiens et des plus hautes exigences de la vie intérieure, qui est au cœur de l'idéal cartusien. * * * 1 Lettres à Raoul le Verd : PL 152, 420 ; Lettres aux religieux de la Chartreuse : ibid, 418. 2 Nous possédons de Guigues, les Coutumes de Chartreuse écrites à la demande de saint Hugues de Grenoble et des prieurs des premières chartreuses, récemment fondées. Le texte de Migne : PL 253, 631 s. est excellent. La collation avec les meilleurs manuscrits ne révèle que des différences minimes. Nous nous contenterons de donner les references aux numéros des chapitres et des paragraphes. Les Méditations, dont le texte latin semble avoir été définitivement établi par Dom Wilmart dans Recueil des pensées du Bx Guigue, Paris, Vrin, 1936 ; la traduction française qu'il a proposé est peu satisfaisante. Monsieur le chanoine Gaston Hocquard en prépare une nouvelle pour la collection Source chrétienne. Vita sancti Hugonis Gratianopolitani : PL, 153, 759, s. Correspondance : PL 153, 593 s., à laquelle on doit ajouter deux lettres découvertes par Dom Wilmart et publiées l'une dans Revue Benedictine, 43 (1931), p. 55-58, l'autre dans Revue d’Ascétique et de Mystique, 14 (1933), p. 337-348. 3 Nous avons le témoignage de deux grand moines de son temps, saint Bernard. Ep, 11 : PL 182, 108 ; Pierre le vénérable, Lettres. I, III. Ep. 8 : PL 199, 312 ; I. VI. Ep. 3 : PL 199, 402 ; ibid. Ep. 40 : PL 199, 457. 4 PL 152, 421. 5 Outre Saint Bruno et Guigues, nous avons : de Guigues II, la Scola Paradisi : PL 153, 785 ; les ecrits de Bernard de Portes : PL 153, 885 ; de Jean de Portes : PL 153, 899 s. ; d'Etienne de Chalmet : PL 153, 931 s. Tous ces textes sont remarquable par leur solide equilibre et leur sens des choses de Dieu. 6 PL 152, 419. 11 On ne peut s’empêcher d’être frappé de l'insistance avec laquelle Guigues déclare, puis répète l’horreur qu'il éprouve à l'idée d'envoyer quêter ses religieux dans le monde pour subvenir aux besoins de la communauté ou alimenter les aumônes. C'est même à peu près la seule explication qu'il donne à plusieurs mesures spécialement rigoureuses des Coutumes. Il fait la première déclaration de principe à propos de la manière dont on accueille les hôtes en Chartreuse. On leur prépare le même repas qu'aux religieux de la maison, mais on ne prend pas en charge leurs montures. La raison en est la pauvreté des ressources de la vallée de Chartreuse, qui ne parvient même pas à répondre aux besoins du troupeau du monastère. Guigues continue : A cela s'ajoute que nous éprouvons la plus grande répugnance à voyager et à quêter ; nous estimons, en effet, très dangereuse cette coutume que nous avons la douleur de voir beaucoup trop répandue chez bien des gens dont, par ailleurs, les travaux et la sainte conduite dans le Christ sont au-dessus de tout éloge. Ils se risquent ainsi pour un motif de miséricorde, c'est-à-dire pour se procurer de quoi subvenir aux besoins de ceux qui se présentent. (XIX, 2) Le sujet est brûlant : Guigues ne peut s’empêcher de glisser une critique à l’égard des autres familles religieuses qui ne partagent pas sa manière de voir, lui qui, habituellement, a plutôt un mot d'éloge à leur égard. 7 Guigues ne peut imaginer les perspectives qu'ouvriront un siècle plus tard, les ordres mendiants ; pour le moment, il se trouve aux prises avec ce qu'il considère comme un vrai danger pour les moines. Il continue: Il nous semble que cette manière de faire profite grandement même à nos hôtes, eux qui doivent prendre leur part à nos biens spirituels ou corporels sans nous entrainer à faire le mal. Or, s'ils nous forcent à voyager et à quitter par le frais qu'ils nous occasionnent, ils nous font dévier vers le mal. (XIX, 3) Nous sommes loin des perspectives de la Règle de saint Benoît, qui recommande avec tellement de chaleur de prendre le plus grand soin des hôtes8 . La solitude monastique, telle que la conçoivent les premiers chartreux, est plus austère et plus exigeante : tout lui est soumis, même les lois de l'hospitalité. N'accusons pas Guigues de se refuser à l'hospitalité, mais il sait pourquoi il a tout quitté et gagné les montagnes de Chartreuse. Il peut donc ajouter avec une pointe d'ironie : Nous ne nous sommes pas réfugiés au fond de ce désert pour procurer des soins matériels aux membres du prochain, mais pour le salut éternel de nos âmes. Il n'y a donc pas à s'étonner de nous voir accueillir avec plus de sollicitude ceux qui viennent jusqu'ici uploads/Religion/ doctrine-monastique-des-coutumes-de-guigues-a-poisson-pdf.pdf
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- Publié le Jul 08, 2022
- Catégorie Religion
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