1 Pierre HALEN Université Paul Verlaine, Metz LITTÉRATURE ET SACRÉ : QUELQUES E
1 Pierre HALEN Université Paul Verlaine, Metz LITTÉRATURE ET SACRÉ : QUELQUES ENJEUX [2008] VeƌsioŶ de tƌavail d’uŶ aƌtiĐle puďliĠ aveĐ la ƌĠfĠƌeŶĐe suivaŶte : Halen (Pierre), « Littérature et sacré : quelques enjeux », dans Art de lire, art de vivre. Hommage au Professeur Georges Jacques. Ouvrage coordonné par Myriam Watthee-Delmotte. Paris : L’HaƌŵattaŶ, Đoll. Structures et pouvoirs des imaginaires, 2008, 454 p. ; p. 155-164. Les liens entre littérature et spiritualité sont multiples et variés. Ils sont aussi tƌğs aŶĐieŶs. OŶ peut ŵġŵe avaŶĐeƌ Ƌu’ils touĐheŶt à l’esseŶĐe de l’uŶe et de l’autƌe. Ceƌtes, la spiƌitualitĠ Ŷe se ƌaŵğŶe pas à la littérature, et la littérature ne se ramène pas davantage à la spiƌitualitĠ, loiŶ s’eŶ faut ďieŶ sûƌ daŶs les deudž Đas. En revanche, d’uŶe paƌt, il Ŷ’LJ a pas d’edžeƌĐiĐe de la spiƌitualitĠ Ƌui Ŷe s’appuie sur une pratique du texte et, même, du texte travaillé par la littérarité ; d’autƌe paƌt, l’edžeƌĐiĐe de la littĠƌatuƌe seŵďle ďieŶ ŵettƌe eŶ jeu, d’uŶe ŵaŶiğƌe ou d’uŶe autƌe Ƌu’il Ŷous faudƌa pƌĠĐiseƌ, le saĐƌĠ. Je suivrai tour à tour ces deux perspectives, la première toutefois plus rapidement, dans la mesure où elle ne concerne pas directement nos réflexions. Mon objectif est modeste : évoquer différentes manières possiďles d’appƌĠheŶdeƌ les ƌelatioŶs eŶtƌe littérature et spiritualité. Un essai personnel, en somme, plutôt Ƌu’uŶ état de la question. Pas de spiritualité sans littérature La première proposition – pas de spiritualité sans texte – ne surprendra personne. Il suffit de songer aux religions abrahamiques, Ƌu’oŶ appelle sigŶifiĐativement les « religions du Livre » ; ou de se référer aux prières ou aux hymnes, dont les pratiques religieuses ont toujours été inséparables. Or, les textes concerŶĠs, Ƌu’ils soieŶt oƌaudž ou ĠĐƌits, ƌelğveŶt, pouƌ leuƌ iŵŵeŶse ŵajoƌitĠ, ŶoŶ d’uŶ tLJpe de discours savant, qui serait codifié par les régimes discursifs critiques, mais au contraire de genres littéraires pƌĠĐis, d’oƌdƌe Ŷaƌƌatif ;ĠpiƋue, ŵLJthiƋue, paƌaďoliƋue,…Ϳ ou ŶoŶ-narratif ;sapieŶtial, poĠtiƋue, …Ϳ. Je Ŷe ŵ’attaƌdeƌai guğƌe à Đe pƌeŵieƌ aspeĐt, siŶoŶ pouƌ ƌeleveƌ certaines conséquences de ce lien entre le sacré et le texte. Les théologiens en sont conscients : la rhétorique et les règles du récit ont présidé à toute verďalisatioŶ de Dieu, des diviŶitĠs, de l’au-delà, de ŵġŵe Ƌu’à l’ĠŶoŶĐiatioŶ des sagesses. À Ƌuoi l’oŶ peut ajouteƌ que les procédures de transmission et de conservation des textes, oƌaudž et ĠĐƌits, soŶt ŶĠĐessaiƌeŵeŶt à l’œuvƌe daŶs le filtƌage et daŶs la réinvention continue, par les sociétés humaines, de leur mémoire spirituelle. Il y a dès lors là, pour les uns, de quoi nourrir un soupçon ƋuaŶt à leuƌ ĐapaĐitĠ d’atteindre vraiment leur objet, le sacré ; pour les autƌes, la ŵatiğƌe d’uŶe ƌĠfledžioŶ ĐƌitiƋue concernant les ĐoŶtƌaiŶtes Ƌui, d’uŶ ĐôtĠ, pğseŶt suƌ la peƌĐeptioŶ du diviŶ et suƌ sa ĐĠlĠďƌatioŶ, ŵais, d’uŶ autƌe ĐôtĠ, les soutiennent et leur permettent de se développer. La même difficulté affecte le travail des ethnologues, des philosophes ou des historiens, qui sont eux aussi, par vocation, des lecteurs de « grands textes », et notamment des mythes, des épopées, des historiographies fondatrices. Or, ces « grands textes » sont très souvent marqués par une forte dimension religieuse, et en même temps travaillés, informés, par leur littérarité intrinsèque. Interroger les relations entre spiritualité et texte littéraire revient donc très vite à se situer dans le débat sur la pluralité des savoirs, sur leur inégale reconnaissance, sur leurs fonctions respectives et leurs capacités propres. Cela conduit aussi à devoir tenir compte de leur entremêlement épistémologique, soit que les objets à connaître ne peuvent être étudiés empiriquement, soit que, nonobstant les résultats du débat critique, un besoin soĐial de ĐƌoLJaŶĐe l’eŵpoƌte, besoin que la littérature a la vertu de pouvoir, au moins partiellement, combler. On voit également que, si le langage religieux repose sur l’edžeƌĐiĐe d’uŶe tedžtualitĠ littĠƌaiƌe, il eŶtƌe aussi eŶ ĐoŶĐuƌƌeŶĐe aveĐ l’ĠŶoŶĐiation littéraire profane. Celle-ci peut en effet se dĠploLJeƌ à l’edžtĠƌieuƌ des iŶstitutioŶs Ƌui à la fois dLJŶaŵiseŶt et contrôlent le discours religieux, tout en visant éventuellement les ŵġŵes oďjets de ĐoŶŶaissaŶĐe. C’est ĠvideŶt à l’ĠpoƋue ŵodeƌŶe, mais ce Ŷ’est pas ŵoiŶs vƌai des soĐiĠtĠs aŶĐieŶŶes, Ƌu’il faut bien eŶteŶdu se gaƌdeƌ d’appréhender à partir des seuls documents conservés par la mémoire officielle : les réalisations très diverses des traditions orales attestent assez de la capacité de ces sociétés à sécréter des formes de contre-disĐouƌs, d’oƌalitĠ populaiƌe, de parodie, etc., pour que nous soyons avertis du caractère général de cette rivalité. Se pose ici le problème délicat de la croyance effective : si l’oŶ a pu poser la question de savoir si oui ou ŶoŶ, et jusƋu’à Ƌuel poiŶt, les Grecs croyaient en leurs mythes, la même interrogation se pose forcément pour, par exemple, la peinture ou la musique à thème religieux en Occident, et bien sûr pour toutes les appropriations littéraires de légendes ou de ƌĠĐits saĐƌĠs, Ƌu’il s’agisse de l’ÉdeŶ, d’Œdipe, du Walhaha, ou eŶĐoƌe des ƌĠfĠƌeŶĐes Ƌue fait la poĠsie senghorienne aux traditions africaines. Enfin, on peut déjà se demander si, au-delà des cloisons traditionnelles, par exemple entre art et religion, ou entre profane et saĐƌĠ, uŶe autƌe distiŶĐtioŶ Ŷ’est pas plus foŶdaŵeŶtale et plus ĠĐlaiƌaŶte. Elle opposeƌait, d’uŶe paƌt, des foƌŵes eŵpiƌiƋues et critiques, par nature dissidentes et instables, vouées aussi à observer les résistances que le RĠel oppose à l’IŵagiŶaiƌe ; et, d’autƌe paƌt, des formes de savoir par adhésion, affiliation ou enchantement, formes essentiellement reliantes, et par là religieuses, appelant en quelque sorte tantôt les institutions qui seront à même de les protéger et de les dynamiser, tantôt les réappropriations personnelles des écrivains, qui sont destinées à être reconnues par des communautés de lecteurs. Quoi Ƌu’il eŶ soit, ƌeteŶoŶs, d’uŶe paƌt, Ƌue l’edžeƌĐiĐe esthétique de la textualité est fondamental à toute énonciation ƌeligieuse, adhĠƌeŶte ou dissideŶte. D’autƌe paƌt, Ƌue les ƌelatioŶs entre discours littéraire et religieux sont à la fois riches et complexes, potentiellement conflictuelles ou tĠŵoigŶaŶt d’uŶe ĐoŶveƌgence relative (le conflit étant encore une forme de convergence). Inscriptions religieuses Venons-en à la seconde proposition : l’edžeƌĐiĐe de la littĠƌatuƌe ŵet eŶ jeu, d’uŶe ŵaŶiğƌe ou d’uŶe autƌe, le saĐƌĠ. RepoƌtaŶt à plus taƌd la ƋuestioŶ de savoiƌ s’il LJ a toujours de la spiritualité dans l’edžercice de la littérature, je partiƌai du fait Ƌu’il LJ eŶ a quelquefois, sous la foƌŵe oďjeĐtive d’« inscriptions religieuses » : les traces edžpliĐites d’iŶteƌfĠƌeŶĐes eŶtƌe littĠƌatuƌe et ƌeligioŶ. J’ĠvoƋueƌai d’aďoƌd les « marquages » discursifs ; ensuite, les positions histoƌiƋues, Ƌu’ĠĐlaiƌe la soĐiologie des ƌĠseaudž et des institutions. Ce sont là, me semble-t-il, deux orientations possibles pour la recherche ; j’eŶ ouvƌiƌai uŶe tƌoisième par la suite. Marquages Il arrive aux littératures profanes, quelles Ƌu’elles soieŶt, de véhiculer des contenus à caractère religieux ou spirituel, sous la foƌŵe d’allusioŶs Đultuƌelles, ou eŶĐoƌe de ƌĠfĠƌeŶts soĐiaudž ou historiques. On peut leur donner différents statuts, comme celui de tƌaĐes, de ƌĠsidus, d’iŶdiĐes ƌenvoyant à un contexte extérieur, ou encore celui de schèmes narratifs (le récit sacrificiel par exemple). La démarche critique consiste alors à retrouver, derrière ou à travers le tedžte, les ĠlĠŵeŶts d’uŶe Đultuƌe pƌĠedžistaŶte, eŶ vue de valoƌiseƌ cette deƌŶiğƌe, ou pouƌ valoƌiseƌ iŶdiƌeĐteŵeŶt l’œuvƌe paƌ la digŶitĠ de cette dernière. Ses résultats sont forcément aussi variés que les contextes, dès lors Ƌue l’appƌoĐhe est aŶthƌopologiƋuement un peu ƌigouƌeuse et Ŷe vise pas seuleŵeŶt à illustƌeƌ l’apƌioƌi d’uŶe uŶitĠ culturelle continentale, nationale, régionale ou raciale : d’uŶe « identité » supposée, et par là construite. Les innombrables spĠĐifiĐitĠs Ŷ’eŵpġĐheŶt pouƌtaŶt pas Ƌue puissent être concernés des contextes culturels relativement larges, comme Đelui de l’iŵpaĐt, plus ou moins étendu daŶs le teŵps et l’espaĐe, de Đeƌtaines religions, sagesses ou philosophies. La spĠĐifiĐitĠ des ĐoŶtedžtes Ŷ’eŵpġĐhe pas ŶoŶ plus Ƌu’oŶ observe ici un phénomène général : les références à telle ou telle culture procğdeŶt d’uŶ ŵġŵe dispositif de ŵaƌƋuage ideŶtitaiƌe. L’iŶteŶtioŶ, edžpliĐite ou ŶoŶ, des auteuƌs Ŷ’a iĐi d’iŵportance Ƌu’aŶeĐdotiƋue ; il me parait plus iŶtĠƌessaŶt d’oďseƌveƌ le fonctionneŵeŶt de Đes ŵaƌƋues à l’iŶtĠƌieuƌ de l’iŶstitution et spécialement du système de réception. Un champ relativement neuf s’ouvƌe iĐi : il consiste, non pas à pratiquer sur le texte une forme d’eŶƋuġte ethŶologiƋue ou folkloƌiste, Đe Ƌui est de la ĐoŵpĠteŶĐe de l’ethŶologue, ŵais à edžaŵiŶeƌ ĐoŵŵeŶt le tedžte lui-même construit, avec des moyens stylistiques, rhétoriques, narratifs, l’oƌigiŶe Ƌu’il pƌoduit pouƌ satisfaiƌe le sLJstğŵe de ƌĠĐeptioŶ. Ce ŵaƌƋuage Đultuƌel est iŶdĠpeŶdaŶt de l’adhĠsioŶ effeĐtive de l’auteuƌ lui-même à une philosophie ou une religion ; ainsi, un écrivain peut fort bien être, comme personne privée, catholique, musulŵaŶ ou athĠe, tout eŶ valoƌisaŶt daŶs soŶ œuvƌe telle pƌatiƋue Ƌui Ŷ’est pas la sieŶŶe, paƌĐe Ƌu’il suďit la pƌessioŶ idĠologiƋue du système de réception. Ceƌtes, le ƌeligieudž Ŷ’est à Đet Ġgaƌd Ƌu’uŶ ŵaƌƋueuƌ paƌŵi d’autƌes, ŵais il possğde uŶe ƌeŵaƌƋuaďle effiĐaĐitĠ ; celle-ci s’edžpliƋue saŶs doute d’aďoƌd paƌ sa gƌaŶde lisiďilitĠ, ďasĠe suƌ uŶe forte stéréotypie ; elle repose ensuite sur des accointances sémiologiques profondes avec le discours littéraire : le marqueur religieux opère en effet comme un générateur, tantôt de narrativité (inclusion uploads/Religion/ litterature-et-sacre-quelques-enjeux-200.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 11, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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