Revue théologique de Louvain Robert Beulay, La Lumière sans forme. Introduction

Revue théologique de Louvain Robert Beulay, La Lumière sans forme. Introduction à l'étude de la mystique chrétienne syro-orientale (coll. L'Esprit et le Feu) André De Halleux Citer ce document / Cite this document : De Halleux André. Robert Beulay, La Lumière sans forme. Introduction à l'étude de la mystique chrétienne syro-orientale (coll. L'Esprit et le Feu). In: Revue théologique de Louvain, 21ᵉ année, fasc. 2, 1990. pp. 216-218; https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1990_num_21_2_2436_t1_0216_0000_2 Fichier pdf généré le 29/03/2018 216 COMPTES RENDUS Robert Beulay, La Lumière sans forme. Introduction à l'étude de la mystique chrétienne syro-orientale (coll. L'Esprit et le Feu). Chevetogne, s.d. 356 p. 18,5 x 12. Ce qu'on appelait naguère la «mystique nestorienne» fascine depuis longtemps les chercheurs, ne fût-ce qu'en raison des voies, encore obscures, de son influence sur le soufisme musulman dans la Bagdad abbasside et, au terme du parcours, dans l'Espagne de Jean de la Croix et de Thérèse d'Avila. Mais sa connaissance se limitait, jusqu'il y a moins d'un siècle, au seul Isaac de Ninive. Celui-ci n'était alors connu que par la partie de son œuvre traduite dans la Philocalie grecque. Vint alors l'édition par Bedjan de la moitié du corpus syriaque du célèbre mystique (la seconde partie a été récemment redécouverte par S. Brock), traduite ensuite par Wensink, tandis que Mingana faisait connaître une pléiade d'autres auteurs syro-orientaux des vne et vme siècles. Ce dossier, encore largement inexploité, a été exploré par le professeur Guillaumont et ses disciples, parmi lesquels le carme R. Beulay, aujourd'hui à Bagdad, s'est attaché particulièrement à Jean de Dalyâtâ, le plus original, peut- être, de ces mystiques. Après avoir publié une partie de l'œuvre de Jean et dans l'attente de l'importante étude qu'il prépare sur son enseignement spirituel, voici un petit livre, qu'il intitule trop modestement «introduction». Le terme «mystique», qui figure également dans le titre, doit être pris, en l'occurrence, dans son sens le plus strict, c'est-à-dire que l'A. ne traite pas des étapes ascétiques préliminaires de l'expérience cognitive et unitive. Cette restriction risquerait de déséquilibrer, chez le lecteur non averti, l'image d'ensemble de la spiritualité syro-orientale où, comme dans tout l'Orient chrétien, l'ascèse du renoncement au monde et la pratique des vertus monastiques occupe une place prédominante par rapport à la «theoria», sur laquelle les auteurs spirituels se montrent d'ailleurs ordinairement très discrets. Plus précisément encore, c'est la théologie de la mystique qui intéresse ici le P.B., c'est-à-dire, écrit-il, celle «des auteurs dont les écrits ne portent pas seulement la trace d'une expérience de Dieu, mais qui la relatent et en font un objet de réflexion» (p. 7). Nous craignons que l'adverbe «pas seulement» soit quelque peu imprudent dans ce contexte. Peut-être eût-il mieux valu écrire «pas nécessairement», car il est souvent bien difficile de discerner les traces d'une expérience vécue sous des formulations théoriques généralement traditionnelles. Notons enfin que, sans être absente de la mystique syro-orientale, «la Lumière sans forme», évoquée dans le titre, n'en marque peut-être pas le trait le plus caractéristique. Une fois faites ces remarques, qui ne touchent en rien à l'essentiel, on saluera dans le petit livre du P.B. l'approche la plus poussée et la plus éclairante, à ce jour, de la «tradition» patristique d'une mystique syro-orientale aussi allergique que la spiritualité orientale en général à toute innovation avouée. Seule la connaissance exceptionnelle des sources, en bonne partie inédites, qui est celle de l'A. pouvait permettre, comme il l'a fait, de déceler les apparentements et de relever les divergences entre les auteurs. La tâche était d'autant plus délicate que les citations formelles d'une source sont excessivement rares dans cette littérature. Les dépendances, jamais littérales, s'opérant plutôt par assimilation personnelle, chaque texte a dû être médité en profondeur et proposé à la COMPTES RENDUS 217 comparaison du lecteur. Cette contrainte bénéfique a valu à celui-ci une superbe anthologie spirituelle, dont il n'a qu'à se féliciter. L'héritage de théologie mystique transmis aux auteurs syro-orientaux leur vient de trois Pères principaux, dont les courants se mêlent dans des proportions diverses. Évagre le Pontique, dont Porigénisme se trouve censuré dans la version syriaque révisée de ses Centuries gnostiques, leur a légué sa classification des contemplations, sa doctrine de la prière et son anthropologie trichotomite. Le corpus macarien, beaucoup plus restreint en syriaque qu'en grec - le P.B. a pris la peine d'examiner la version syriaque inédite d'assez près pour se convaincre qu'elle ne représente qu'un remaniement du grec que nous connaissons - leur a appris «la mystique du cœur», faite de prière continue, d'humilité et d'amour, ainsi que la notion de «sensibilité spirituelle», celle du feu et de la lumière divins, expérimentés dans la perception de l'action de l'Esprit. Enfin, le mystérieux Jean le Solitaire d'Apamée leur a transmis sa théorie des trois degrés de la vie chrétienne, corporel, psychique et spirituel, ordre dont les syro- orientaux allaient décaler le contenu et qu'ils allaient transformer de catégories modales, ou principes de vie, en données objectives, ou composés anthropologiques. Le P.B. aurait pu joindre au trio principal l'examen d'un quatrième auteur, le «Nil syriaque», devenu aisément accessible avec l'étude que P. Bettiolo a récemment consacrée à cette «entité littéraire». De même l'influence d'Éphrem, que l'A. a bien remarquée (p. 29, p. 255, n. 173), pourrait-elle être explorée davantage, par exemple pour le symbolisme du miroir, bien étudié par le P. Beck, où elle se combine peut-être avec celle d'Évagre. Éphrem resta, dans l'Église de l'Orient, la grande autorité en matière d'exégèse biblique, à côté de l'Interprète par excellence, Théodore de Mopsueste, dont le P.B. présente bien les thèmes repris par les mystiques (p. 188-196). De même n'a-t-il pas omis de relever l'intervention, occasionnelle, secondaire et peut-être indirecte, de Grégoire de Nysse et de Denys l'Aréopagite - dont les nestoriens attribuaient le «monophysisme» à la maladresse des traducteurs syriaques! - principalement pour les thèmes de la nuée et de l'inconnaissance. Le P.B. examine la «réception» diversifiée de ces divers courants patristiques chez chacun des principaux mystiques syro-orientaux du vne siècle: Martyrius- Sahdona, Dadîsô' de Qatar, Siméon de-Taybûteh, Isaac de Ninive, 'Enanïsô' de Beit-Qûqë et Jean Bar-Penkâyë, puis chez ceux du vme siècle: Abraham Bar- Dasandad, Jean de Dalyâtâ, Joseph Hazzâyâ, Nestorius de Nuhadrâ et Berikisô', à chacun desquels un dernier chapitre consacre une brève notice, qui sera bien utile à qui n'a pas sous la main les fascicules déjà parus du Dictionnaire de spiritualité. Joseph Busnâyâ n'aurait-il pas mérité plus qu'une note fugitive (p. 326, n. 52)? La condamnation de Joseph Hazzâyâ et de Jean de Dalyàtâ lors du synode du patriarche-catholicos Timothée Ier en 786/7 (cf. p. 229-230), dont le P.B. avait renouvelé l'interprétation dans sa dissertation doctorale, est longuement évoquée (p. 83-94), avec la conclusion que, si l'accusation de messalianisme était absolument injustifiée, l'influence des écrits macariens sur les deux condamnés les a certainement exposés au soupçon de cette hérésie. Nous nous 218 COMPTES RENDUS demandons, à ce propos, si l'A. ne minimise pas l'importance de la distinction entre nature et gloire divines (p. 196). Sous la terminologie de l'essence et des «énergies», entre autres, cette distinction joue un rôle important dans la théologie des Pères cappadociens, non moins que dans celle d'Éphrem, pour ressurgir lors des controverses gréco-latines du xive siècle sur la Lumière incréée. Le P.B. reconnaît d'ailleurs que les syro-orientaux (p. 321, n. 78), y compris Jean de Dalyâtà (p. 210, 189 et 221-222) reflètent fidèlement cette doctrine. La curieuse affirmation du synode de 786/7, selon laquelle la divinité du Fils est invisible (p. 230), a son parallèle dans la christologie des iconoclastes. À ce propos il n'est pas sans intérêt de remarquer la coïncidence chronologique du synode nestorien de Timothée et du concile iconodoule de Nicée, VIIe œcuménique, sous le patriarche Taraise: la chose mériterait d'être approfondie. Le P.B. a grandement facilité l'étude des thèmes remarquables que son lecteur rencontre au fil des pages, en dressant un index très suggestif, dans lequel bien des choses seraient à relever, par ex. concernant la distinction de la nuée et de la ténèbre, ou celle de la pureté et de la limpidité. Signalons, à l'intention des syriacisants, la solution élégante apportée à la difficulté qu'ils rencontrent dans la traduction du vocabulaire des facultés ou activités intellectuelles: «mad'â», «hawnâ», «re'yânâ», «tarifa», etc. Ces termes, parfois distingués, parfois confondus, peuvent rendre des modèles grecs différents ou identiques selon les cas, entre autres «voùç» et «ôiàvoia»; le plus souvent, ce sont les références bibliques implicites qui permettront de déterminer le sens (cf. p. 25-28, 43-46, p. 263, n. 65). Quelques notes de lecture. - P. 35: la dépendance du De instituto christiano de Grégoire de Nysse vis-à-vis de la Grande Lettre du ps.-Macaire est définitivement établie depuis leur récente édition synoptique par R. Staats. — P. 64, 1 62 et 182-183: Sahdona a des pages très fortes sur la dimension «erotique» de l'amour de Dieu, inspirées d'un mystérieux anonyme, cf. CSCO, t. 215, p. 39- 40. - La christologie de Jean le Solitaire n'est que prémonophysite, cf. Le Muséon, t. 94, 1981, p. 5-36. - P. 113-114: le terme «msûhtâ» ne signifie uploads/Religion/ lumiere-sans-forma.pdf

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  • Publié le Jui 13, 2022
  • Catégorie Religion
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