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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 La gauche brésilienne espère reconquérir le vote des évangéliques PAR JEAN-MATHIEU ALBERTINI ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 17 AVRIL 2022 La pasteure Viviane Azevedo durant un culte, dans le quartier de Pacie#ncia à Rio de Janeiro, en janvier 2022. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart Les évangéliques représentent 30 % de la population du Brésil. Lors de la dernière élection présidentielle, ils ont massivement voté en faveur de Jair Bolsonaro. Lors du prochain scrutin, le Parti des travailleurs de Lula espère attirer une partie de cet électorat traditionnellement conservateur. Rio de Janeiro (Brésil).– Les climatiseurs à fond, les chaises en plastique, la lumière crue et le son du groupe de musique parfois défaillant, le culte de la pasteure Viviane Azevedo ressemble à tous ceux qui se tiennent au même moment aux quatre coins du Brésil. Mais ici, à l’extrême ouest de Rio de Janeiro, on défend les idées progressistes, en opposition au courant dominant dans le monde évangélique. «J’ai repris le flambeau, il y a quatre ans, d’une pasteure très conservatrice. Ça n’a pas été facile, il a fallu tout reconstruire. J’ai fait face au racisme, d’autres pasteurs ont voulu fermer mon église à cause des idées que je défends et de la façon dont je m’habille.» Si les progressistes restent une minorité, ils s’organisent et gagnent en visibilité face à la déferlante conservatrice. Pour Viviane Azevedo, «l’Église a toujours influencé la politique brésilienne. Avant, c’était seulement les catholiques, maintenant, c’est aussi les évangéliques. Bolsonaro a su en profiter, il faut reprendre ce terrain aux conservateurs». Présents en politique depuis les années1930, les progressistes ont été persécutés durant la dictature (1964-1985), laissant le champ libre aux plus fondamentalistes. À partir des années 1980, les ultraconservateurs s’investissent toujours plus en politique, tout en développant leurs propres médias. La pasteure Viviane Azevedo durant un culte, dans le quartier de Pacie#ncia à Rio de Janeiro, en janvier 2022. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart Rassemblés dans le groupe parlementaire évangélique, ils représentent aujourd’hui 20% du Congrès (tous les évangéliques élus n’intègrent pas ce groupe), et leur influence est grandissante. La religion les a rapprochés des classes populaires et, au-delà des thèmes religieux, ils s’unissent sur d’autres questions pour affirmer une identité conservatrice. Opposés à Lula lors de ses trois premières tentatives aux présidentielles, de nombreux leaders évangéliques l’ont cependant rejoint durant la campagne de 2002, quand sa victoire se dessinait. Ils sont alors devenus des acteurs de premier plan sur la scène politique nationale. Cette alliance pragmatique se rompt plus d’une décennie plus tard sous la présidence de Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT). Les évangéliques jouent un rôle déterminant dans le processus de destitution de 2016, puis soutiennent massivement Jair Bolsonaro. «Le PT a été surpris. La droite évangélique s’est radicalisée en 2018»,assure Vítor Queiroz de Medeiros qui étudie l’activisme politico-religieux et les évangéliques à l’université de São Paulo. Se rapprocher des quartiers populaires Mais trois ans de pouvoir ont érodé l’adhésion des évangéliques à Jair Bolsonaro. La crise économique, une inflation galopante, le grand retour de l’insécurité alimentaire ainsi que le comportement erratique du président ont sapé sa position dominante. Une brèche dont ses adversaires comptent bien profiter. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/4 Le Nept (Groupe des évangéliques du PT), une organisation interne oubliée, s’est restructuré pour aider le parti à reconquérir ce public.S’en rapprocher, c’est faire d’une pierre deux coups, car c’est aussi se rapprocher des quartiers les plus populaires où les évangéliques sont surreprésentés, estime le pasteur Oliver Costa Goiano, membre du Nept. Conscient des difficultés, il compte sur le pragmatisme de la population. «Le public évangélique est en première ligne et souffre directement de la crise. Or, il vote d’abord pour des raisons économiques, avant de voter pour des raisons religieuses.» Le PT compte surfer sur ce mécontentement, tout en ravivant le souvenir des fastes années Lula. Durant le culte de la pasteure Viviane Azevedo, à Rio de Janeiro, en janvier 2022. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart De son côté, l’ancien président tente de renouer de vieilles alliances. En novembre 2021, il a notamment rencontré le très influent pasteur Manoel Ferreira, devenu soutien de Bolsonaro. Les bons scores de Lula dans les sondages tendent les relations entre les alliés évangéliques du gouvernement et poussent les plus pragmatiques à explorer toutes les possibilités.La nomination en décembre 2021 d’un juge «terriblement évangélique» à la Cour suprême, une promesse de campagne de Jair Bolsonaro, a cependant rassuré une partie de ces leaders. Début février, la brève occupation d’une église catholique par un conseiller municipal du PT, dans le sud du pays, a servi le discours du camp bolsonariste, qui accuse sans cesse la gauche de vouloir s’attaquer aux croyants, et a apeuré une partie des électeurs évangéliques. Début mars, le président s’est réuni avec 280 dirigeants et parlementaires évangéliques et leur a assuré diriger « la nation dans la direction que vous souhaitez ». Sa contre-offensive s’est cependant heurtée à un scandale au sein du ministère de l’éducation impliquant deux pasteurs. Ces derniers, sans aucun lien avec le ministère mais très proches du président et avec la bénédiction du ministre de l’éducation, lui-même pasteur, demandaient notamment des pots- de-vin à des maires pour débloquer des budgets pour construire des écoles. Malgré la démission du ministre le 28 mars, accusé de trafic d’influence, cette affaire, qui a terni l’image des évangéliques en politique et tend les relations avec les alliés religieux du gouvernement, pourrait avoir un impact auprès de la population évangélique. Même si cette dernière reste parmi les plus fidèles à Bolsonaro, le délitement du soutien évangélique au président d'extrême droite donne de l’espoir à Geter Borges de Sousa, l’un des coordinateurs du Nept. «En 2018, de nombreux pasteurs qui nous étaient favorables ont été expulsés de leurs églises, entraînant un phénomène d’autocensure. Si Bolsonaro perd son hégémonie dans les cercles évangéliques, on espère que nos idées y circulent plus librement.» Les grandes églises tentent de perfectionner leurs techniques d’orientation des votes, mais les évangéliques ne sont pas un bloc monolithique. Le pays compte plus de 1300dénominations évangéliques, et 22% des fidèles n’ont pas d’église attitrée. Pour les convaincre, il ne suffit pas de rallier des pasteurs médiatiques, estime Oliver Goiano, «il faut aussi se concentrer sur les pasteurs de petites églises. Ceux dans la favela, avec une centaine de fidèles…». Mépris envers la gauche Malgré cette dispersion, les évangéliques peuvent se rassembler autour des thèmes moraux. Pour le PT, il est donc essentiel d’empêcher le camp Bolsonaro d’imposer un agenda moraliste en radicalisant la campagne. Mais là encore, le moment est plutôt favorable au PT, dit Vítor Medeiros: «Le discours anticorruption, mêlé à des menaces fantasmées sur les coutumes et des fake news, a été le marqueur de la précédente élection. En 2022, le scénario a changé, il peut y avoir une revanche du classicisme.» Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/4 Pour autant, le camp Bolsonaro domine largement le monde des réseaux sociaux et des applications de messagerie. «Dans cette bataille, les conditions sont plus favorables à l’extrême droite,reconnaît Geter de Sousa. On va divulguer du contenu spécifique pour les évangéliques afin de lutter contre les manipulations faites au nom de Dieu.» Cette course contre l’avalanche de fausses nouvelles semble perdue d’avance au vu du taux de viralité des fake news, généralement beaucoup plus important que celui de leurs démentis. D’autant que ce travail de longue haleine intervient un peu tardivement, reconnaît à demi-mot le coordinateur du Nept. «Il nous faut mieux dialoguer avec les évangéliques. La volatilité du vote des Brésiliens est importante, beaucoup d’électeurs peuvent choisir Bolsonaro ou Lula d’une élection à l'autre. Il faut fidéliser cet électorat.» Des fide#les pendant le culte de la pasteure Viviane Azevedo, à Rio de Janeiro, en janvier 2022. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart Or, depuis sa création, le PT s’est appuyé sur des mouvements sociaux, des communautés ecclésiastiques de base ou des syndicats, mais la société brésilienne s’est transformée. Les jeunes évangéliques des périphéries urbaines, abonnés aux emplois précaires, sont de plus en plus nombreux et ne rentrent pas dans les grilles de lecture d’un parti parfois emprisonné dans des schémas anachroniques. Nombre d’évangéliques ressentent même «un certain mépris de la gauche»,estime Vítor Medeiros. «Ils sont souvent considérés comme un public passif, un troupeau fanatisé et manipulé. En réalité, s’ils tendent à suivre un peu plus les consignes de vote de leaders religieux que le reste de la population, l’immense majorité se fait sa propre opinion.»Il précise que les leaders fondamentalistes exagèrent leur influence sur leurs fidèles pour faire pression et s’imposer dans le débat public. Àgauche, Lula est cependant le mieux placé pour s’adresser aux évangéliques, explique Vítor Medeiros. «Le souvenir des avancées sociales a marqué les plus pauvres. De plus, il ne s’est pas historiquement compromis sur nombre de sujets progressistes, comme l’avortement. Il prête moins le flanc que d’autres à des attaques de l’extrême droite sur ce uploads/Religion/ magazine-mediapart-du-17-avril-2022.pdf
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- Publié le Apv 22, 2021
- Catégorie Religion
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