UN MAÎTRE SPIRITUEL ENCORE TROP PEU CONNU S’il m’est permis de commencer par un
UN MAÎTRE SPIRITUEL ENCORE TROP PEU CONNU S’il m’est permis de commencer par une confidence la présentation des deux volumes que M. Blanchard vient de consacrer à François- Marie-Paul Libermann, je dirai que j ’ai eu la grâce d’être initié à la spiritualité de celui-ci par le P. Biagre, c.s.sp., au cours de nombreuses conférences spirituelles lors de mes années de séminaire, et que le P. Bibermann m’est dès lors apparu tout ensemble comme un saint, dans la force apostolique du terme, et comme un maître en matière de vie d’oraison, au sens carmélitain de ce mot, — un saint et un maître marqué avant tout du signe de la simplicité évangélique. Je lui suis resté fidèle. Si je risque ici quelques réserves sur la présenta tion du travail de M. Blanchard, c’est à mes risques et périls. Je dis bien réserves et non critiques car nul ne saurait imposer son point de vue personnel à un auteur qui demeure libre du choix de sa méthode, dès lors que celle-ci est évidemment sérieuse. Au vrai, avant même la lecture de ces deux volumes, les sous-titres de chacun d’eux m’avaient fait craindre que l’exposé n’eût péché par excès d’analyse et entraîné certaines répétitions. Be premier tome porte le sous-titre Son expérience, sa doctrine, le second Sa personnalité, son action. Si l’on se reporte à la table générale des matières on lit pour la première partie Les fondements de Vexpérience, pour la deuxième partie, Structure de l’expérience et synthèse de la spiritualité, — ces deux parties constituant le premier tome. Ba troisième partie qui con stitue le second tome devient Les dimensions de Vexpérience. La per sonnalité et l'action du Père Libermann. P ’auteur d’ailleurs n’est pas demeuré insensible à cette difficulté, car il écrit au sujet de la troisième partie de son oeuvre qui comporte elle-même quatre sections sous-divisées en dix-sept chapitres : « Dans cette troisième partie, nous étudierons successivement les dimensions de cette personnalité et les aspects de cette expérience : expérience du prêtre — expérience du directeur — expérience du missionnaire — expérience du fondateur — mais en nous souvenant que les distinctions que nécessite le développement logique de l’exposé se confondent dans l’unité de la vie. Certaines répétitions inévitables nous prouveront que nous évoluons autour d’un centre unique : l’action de Dieu dans une âme, l’action de Dieu par cette âme » (t. II, p. 10). Ephemerides Carmeliticae 12 (1961/1) 215-225 2 1 6 FR. PH ILIPPE D E LA TRINITÉ, O.C.D. « Ce travail n’est pas la vie du P. Pibermann, bien qu’on se réfère constamment à elle [...]. Il est une étude de psychologie religieuse qui retient le problème fondamental des rapports de l’expérience et de la doctrine et les autres problèmes que pose, à ses divers niveaux et à ses différents moments, cette existence » (t. I, p. 20). Ce travail n’est -pas la vie du P. Pibermann, bien qu’on se réfère constamment à elle : voilà bien où gît selon moi toute la difficulté de l’ouvrage qui ne suit pas les événements dans leur ordre chronologique. Pes che vauchements, les bonds en avant, les retours en arrière seront inévi tables. Pe morcellement des analyses ne facilite pas la lecture. (Celui qui ne connaîtrait pas déjà, au moins dans ses grandes lignes, l’exis tence du P. Pibermann ferait bien d’en lire la biographie avant d’abor der la somme de M. Blanchard.) Or, le P. Pibermann est essentiellement placé sous le signe de la simplicité évangélique. (Voir t. I, p. 194, I. Refus des systèmes.) « I l ne faut pas suivre de système dans la vie spirituelle ». — « Je n ’ai presque lu aucun auteur spirituel ». — « R etenez bien ce principe : vous ne devez pas lire des auteurs spirituels pour apprendre la théorie de la vie intérieure » (t. I, pp. 194-195). — « Un grand principe, dans la vie spirituelle, c’est de sim plifier les choses le plus qu’on peut » (t. I, p. 223 et p. 460). — V oir encore dans le même sens, notam m ent t. II, p. 189, p. 194, p. 465. Si je tiens compte du double fait que, d’une part, le P. Pibermann n’a pas cherché à être un théoricien de la vie spirituelle, et que, d’autre part, pour lui, comme pour le Christ des Evangiles, exemple et message, action et doctrine interfèrent essentiellement de manière indissoluble, je me prends à regretter d’autant plus vivement que sur les 1051 pages qu’il lui a consacrées de manière aussi dense, aussi ferme, aussi docu mentée, M. Blanchard ne nous ait pas donné approximativement une émouvante biographie de 500 pages pour 500 pages de réflexions et d’analyses. (En cette hypothèse, c’est la table analytique de la fin de l’ouvrage qui aurait été beaucoup plus développée qu’elle ne l’est, l’auteur renvoyant logiquement, de fait, pour une très large part à sa table des matières.) De la biographie du P. Pibermann les deux présents volumes contiennent, ici et là dispersés, tous les principaux éléments. Il n’était que de les assembler différemment dans la conti nuité d’un élan vital. Alors, quelle couleur, quel pittoresque, quel souffle, quel dynamisme ! Jugez-en par la description que nous fait le Vénérable de l’appartement de l’ancien Supérieur de la Congréga tion du Saint-Esprit dont il vient de prendre possession. Un romancier de talent ne lui donnerait pas de s’exprimer autrement. Pe style c’est l’homme : « C’est ce bien-être qui fait notre grande peine. Si vous veniez me voir vous seriez effrayé pour moi. « Représentez-vous une belle cham bre de vin gt pieds carrés, le carreau rouge et ciré, une belle glace sur la cheminée qui est en m arbre noir, soutenue de UN MAÎTRE SPIRITUEL ENCORE TROP PEU CONNU 2 1 7 deux colonnes, idem un canapé avec deux oreillers des deux côtés et huit fau teuils, le to u t couvert de velours d ’U trecht (cependant il faut rendre justice, ce velours est très vieux et laid, aussi je pense que je pourrai conserver cela) ; entre les deux fenêtres du côté Sud, un secrétaire en acajou avec table de m ar bre dessus, entre les deux fenêtres du côté opposé, une espèce de table en acajou avec m arbre dessus, et sur ce m euble un grand et beau crucifix en ivoire. Sur la cheminée, une belle pendule avec deux vases à fleurs sous cloches ; à droite et à gauche, à côté des deux vases à fleurs, deux candélabres bronze doré, hauts d ’environ deux pieds et demi et à sept ou neuf branches chacun (je n ’ai pu soutenir la vue de ces deux candélabres, et je les ai fa it m ettre tout de suite à la sacristie). Au milieu de la cham bre, une table ronde en m ar bre, avec un tapis rouge brodé de fleurs noires, le tout en fine laine. A utour de la cham bre, six beaux tableaux peints à l ’huile, hauts de deux pieds et demi au moins, outre huit à dix petits cadres, le tout, ainsi que la glace, en cadres dorés avec dessins aux coins des cadres. A chaque fenêtre, un rideau blanc et un rideau jaune. Dans la cham bre à coucher, un immense lit en acajou, de la form e la plus à la mode, une table de n uit en acajou avec m arbre ; une espèce de je ne sais quoi en acajou, avec table de m arbre blanc pour la toilette, avec un m iroir pardessus, suspendu au mur. Je suis parvenu à m ’en débarrasser, en prenant à la place une autre m achine pareille, qui est vieille et dont to u t le m arbre est cassé. — Or, je vous demande, si avec tout cela, j ’ai le droit de me dire membre de la Congrégation, d ’enseigner la pauvreté et l ’abnégation ! « Pour m énager un peu les esprits et n ’avoir pas l ’air de désapprouver le passé, je ne veu x pas brusquer les choses. Mais très prochainem ent je vais me défaire des tableaux et faire couvrir la glace d’une im age de piété et me m ettre avec la plus grande sim plicité que je pourrai, vu les circonstances où je me trouve. Je ne ferai rien sans être d’accord d'avance avec les confrères, excepté les tableaux que je vais expédier au plus vite. C’est M gr M onnet qui a eu l ’en fantillage de me doter de tan t de belles choses. Je crains de lui faire de la peine en allant trop vite » (t. II, p. 75). Ce n’est pas du roman, c’est du vécu. Puisse un jour M. Blanchard nous donner cette biographie qu’il réaliserait de main de maître ! Bi- bermann, alors, vivrait devant nous, dans sa simplicité évangélique, simplicité de plénitude. J’ai eu trop souvent, au contraire, devant les deux volumes d’aujourd’hui, l’impression désagréable d’une vivisection. A peu de chose près, uploads/Religion/ maitre-spirituel-encore-peut-connu.pdf
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- Publié le Dec 26, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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