MARABOUTS ET KHOUANS ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE PAR Louis RINN Chef de batail
MARABOUTS ET KHOUANS ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE PAR Louis RINN Chef de bataillon d’infanterie hors cadre. Chef du service central des Affaires indigènes au Gouvernement Général. Vice-Président de la Société historique algérienne. ALGER ADOLPHE JOURDAN, LIBRAIRE-ÉDITEUR 1884 Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. — III — PRÉFACE Depuis une cinquantaine d’années, les puissances occidentales de l’Europe ont fait de grands efforts pour entraîner le Vieil Orient dans le courant de la civilisation moderne. Les résultats obtenus ne sont pas considérables ; et cependant, les quelques progrès réalisés ont suffi pour émouvoir profondément les chefs religieux de l’Islam, qui, par conviction comme par intérêt, sont, opposés à ces ten- dances et à ces réformes. Pour combattre ce qu’ils regardent comme un danger, ils ont, non sans succès, cherché à exalter le sentiment re- ligieux et à resserrer les liens spirituels qui unissent tous les disciples du Prophète. Leur résistance, d’abord timide et maladroite, s’est peu à peu organisée et développée, dans tous les pays musulmans. Aujourd’hui, elle a réussi à déter- miner un mouvement panislamique qui, s’étendant des îles de la Sonde à l’Atlantique, constitue un véritable danger pour tous les peuples européens ayant des intérêts en Afri- que ou en Asie. Ce panislamisme a surtout, comme force et comme moyens d’action, les nombreuses congrégations et associa- — IV — tions religieuses qui, depuis le commencement du siècle, ont pris partout un énorme développement et exercent une grande infl uence sur les masses. Sous prétexte d’apostolat, de charité, de pèlerinages et de discipline monacale, les innombrables agents de ces congrégations parcourent ce monde de l’Islam, qui n’a ni frontières ni patrie, et ils mettent en relations permanen- tes La Mecque, Djerboub, Stamboul ou Bar’dad avec Fez, Tinbouktou, Alger, Le Caire, Khartoum, Zanzibar, Calcutta ou Java. Protées aux mille formes, tour à tour négociants, prédicateurs, étudiants, médecins, ouvriers, mendiants, charmeurs, saltimbanques, fous simulés ou illuminés in- conscients de leur mission, ces voyageurs sont, toujours et partout, bien accueillis par les Fidèles et effi cacement pro- tégés, par eux, contre les investigations soupçonneuses des gouvernements réguliers. Comme nation souveraine, suzeraine et limitrophe de peuples musulmans, la France a un intérêt politique consi- dérable à être bien fi xée sur le nombre de ces Ordres reli- gieux, sur leurs doctrines, leurs tendances, leurs foyers de propagande, leurs rayons d’action, leurs modes de recrute- ment, leurs organisations, etc. Tous ces renseignements ne sont pas faciles à se pro- curer. Si les statuts des Ordres religieux ne sont pas absolu- ment tenus secrets, ils sont, du moins, mis, le plus possible, à l’abri des regards des Européens. On ne nous en montre guère que la partie connue de la masse des Khouan ou con- signée dans des livres de doctrines, tombés, en quelque sorte, dans le domaine public des lettrés musulmans ; et c’est encore une chose délicate et diffi cile que d’en avoir de bonnes copies ! Aussi, même en Algérie, cette question des Ordres re- — V — ligieux n’est pas connue comme il serait nécessaire qu’elle le fût pour la bonne surveillance du pays. Les quelques pu- blications, qui ont été faites, en français, sur cette matière, sont très rares, déjà anciennes, ou perdues dans des recueils volumineux; la plupart ne se trouvent plus en librairie(1). Nous pensons donc avoir fait œuvre utile en offrant aux lecteurs un exposé aussi impartial et aussi explicite que possible de la situation de l’Islam en Algérie. Sans doute, il est regrettable que cet exposé se borne à notre France trans- méditerranéenne, alors que dans l’islam tout se tient, tout est connexe, sans distinction de pays. Mais, tel qu’il est, et malgré ses lacunes forcées ou ses imperfections involontai- res, ce livre facilitera toujours, dans une certaine mesure, les recherches et études des travailleurs, comme aussi il fournira des indications précieuses à tous les agents fran- çais qui, à un titre quelconque, en Algérie ou a l’Étranger, ont la délicate et diffi cile mission de surveiller les agisse- ments religieux ou politiques des Musulmans. ____________________ (l) Les meilleurs sont : Les Khouan, par le capitaine De Neveu, Paris, 1846. — Les Khouan, par M. BROSSELARD, Alger, 1862. — Ces deux ouvrages n’existent plus en librairie. — Citons aussi les chapitres XXI, XXII, XXIII du tome 2 de La Kabylie et les coutumes kabyles, par HANO- TEAU et LETOURNEUX, Paris, 1973. — VI — Grâce à la haute bienveillance de M. le Gouverneur général TIRMAN, à qui nous sommes heureux d’offrir ici l’expression de notre respectueuse gratitude, nous avons eu toutes les facilités désirables pour puiser nos informations aux sources les plus autorisées ; nos relations personnelles avec quelques notabilités religieuses, telles que SI AHMED TEDJINI, CHEIKH EL-MISSOUM, ALI BEN OTSMAN, nous ont permis de vérifi er et de compléter ces informa- tions. Plusieurs de nos camarades du Service des Affaires in- digènes et du Corps des Interprètes militaires ont bien voulu nous prêter leur concours empressé ; parmi eux, nous avons tout particulièrement à remercier M. le capitaine BISSUEL, qui a été chargé d’établir la carte jointe à ce volume, et MM. les interprètes ARNAUD et COLAS, qui ont consacré de longues heures à des traductions ardues et hérissées de dif- fi cultés. MARABOUTS & KHOUAN ÉTUDE SUR L’ISLAM EN ALGÉRIE CHAPITRE PREMIER DOCTRINE POLITIQUE DE L’ISLAM Lorsque, sans parti pris ni passion, on regarde autour de soi en pays musulman, qu’on interroge l’histoire ou qu’on étudie les livres des docteurs de l’Islam, on s’aperçoit bien vite que le caractère dominant de la religion musulmane n’est ni l’intolérance, ni le fanatisme. Ce qui domine et déborde dans l’œuvre de Mohammed, c’est l’idée théocratique, et ce qui frappe chez ses adeptes, c’est l’ardeur des convictions religieuses. Tous les Musul- mans, sans exception, ont cette foi robuste qui n’admet ni compromis ni raisonnement, et qui, naïvement, se complaît dans son « credo quia absurdum. » — 2 — Dans ses origines, comme dans son essence, la société musulmane a toujours été et est restée foncièrement théocra- tique. Ses premiers souverains n’étaient ni princes, ni rois, ni chefs, ni juges, ils étaient prêtres, et eux-mêmes se nommaient « pontifes et vicaires du Prophète. » Les guerres qui, après la mort de Mohammed, divisèrent et ensanglantèrent l’Islam pendant plusieurs siècles, curent surtout pour objectif l’Imamat, c’est-à-dire le sacerdoce uni- versel. La plupart des fondateurs des dynasties musulmanes du Mar’reb furent des personnages religieux avant d’être des personnages politiques ; et, devenus souverains, ils se donnè- rent comme pontifes et successeurs du Prophète. Car Moham- med lui-même n’avait fondé sa puissance temporelle qu’en raison de la mission, qu’il disait avoir reçue du ciel, de rame- ner les hommes au culte des anciens patriarches et à l’unité de Dieu. A travers les siècles, planant au-dessus de toutes les ré- volutions politiques et de tous les progrès de la science ou de la civilisation, l’idée théocratique est restée la clef de voûte de l’édifi ce de l’Islam. Et, telle cette idée s’affi rmait, en 681, lors de l’assassinat d’Ali, chez les premiers puritains Ouahbites(1), telle elle s’affi rme encore aujourd’hui, en plein XIXe siècle, non seulement dans les doctrines mystiques des Senoussya et autres ordres religieux, mais même dans tout l’enseignement offi ciel, normal et orthodoxe des écoles publiques musulma- nes. Dans un livre, classique en Orient, et l’un des catéchismes les plus autorisés et les plus en faveur chez les professeurs des établissements où se donne l’instruction islamique, le « très vénéré » imam Nedjem Ed-Din-Nassafi (mort à Bar’dad en 537-1142) résume, en 58 articles, les dogmes fondamentaux ____________________ (1) Voir chapitre XI. — 3 — de l’Islam, et s’exprime ainsi(1) : « Les Musulmans doivent être gouvernés par un imam qui ait le droit et l’autorité : de veiller à l’observation » des préceptes de la loi, de faire exécuter les peines légales, de dé- fendre les frontières, de lever les armées, de percevoir les dî- mes fi scales, de réprimer les rebelles et les brigands, de célé- brer la prière publique du vendredi et les fêtes de Beyram, de juger les citoyens, de vider les différends qui s’élèvent entre les » sujets, d’admettre les preuves juridiques dans les causes litigieuses, de marier les enfants mineurs de l’un et l’autre sexe qui manquent de tuteurs naturels, de procéder enfi n au partage du butin légal. » Tout l’Islamisme est renfermé dans ces quelques lignes, qu’un des commentateurs les plus autorisés et les plus con- nus, Sad-Ed-Din-Teftazani (mort à Boukhara en 808-1405) précise et complète en ces termes : « L’établissement d’un imam est un point canonique ar- rêté et statué par les Fidèles du premier siècle de l’Islam. Ce point, qui fait partie des règles apostoliques et qui intéresse, d’une manière absolue, la uploads/Religion/ marabouts-et-khouans-1884.pdf
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- Publié le Mar 26, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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