AU SEUIL DE L'ABIME DE DIEU ELEVATIONS SUR L'EVANGILE DE SAINT JEAN Par Dom Gui
AU SEUIL DE L'ABIME DE DIEU ELEVATIONS SUR L'EVANGILE DE SAINT JEAN Par Dom Guillerand, Chartreux PRESENTATION PAR LE R. P. ANDRE RAVIER S. J. PREFACE Le voile peu à peu s'entrouvre. Quand parut, en 1949, Silence cartusien1, aucun nom d'auteur ne figurait sur la page de titre. D'où nous venait cette pensée si simple et si pleine, qui s'insinuait dans les profondeurs de l'âme comme une irrésistible lumière ? D'une Chartreuse, sans aucun doute : le titre même l'indiquait. Mais ce moine vivait-il encore ? Dans quel couvent ? A quel propos, pour qui avait-il écrit ces pages ? Ces questions restaient sans réponses : l'anonymat le plus strict était gardé. Et c'est ainsi que parurent successivement, sans nom d'auteur, Voix cartusienne, Harmonie cartusienne, Face à Dieu, et même Hauteurs sereines. Liturgie d'âme (1959) portait enfin que le livre, et les précédents, étaient l'œuvre d'un « Chartreux », ce qui ne nous avançait guère, mais la Préface, en nous prévenant que ce Chartreux avait « déjà quitté ce monde », nous laissait espérer que nous en saurions un peu plus long un prochain jour ! En effet, la seconde édition de Contemplations mariales révélait bientôt le nom de notre auteur : il s'agissait de Dom Augustin Guillerand. Nous-mêmes, dans un article de la revue Christus2, nous donnions quelques détails sur sa biographie et esquissions une première synthèse de sa pensée spirituelle. Puis Monseigneur Cristiani dans la revue l'Evangile dans la vie3 et dans la revue Carmel4 ajoutait d'autres renseignements. Enfin, Monsieur le Professeur Onorato Tescari, de l'Université de Rome, préfaçant la seconde édition italienne de Silence cartusien, voulait bien confier à ses lecteurs quelques-uns de ses très précieux souvenirs sur le Père Vicaire de San Francesco. Bientôt, nous l'espérons, nous livrerons à notre tour une étude aussi documentée que le comportent le sujet et la volonté de silence de l'auteur, sur la vie et les écrits de Dom Augustin Guillerand : les éléments puisés aux sources directes, c'est-à-dire auprès de la famille de Dom Augustin et auprès des Pères Chartreux et des Religieuses Chartreuses qui l'ont vu vivre et l'ont entendu, auprès des Prêtres du diocèse de Nevers qui le connurent séminariste, professeur, vicaire, curé, sont déjà à pied d'œuvre ; nous disposons notamment d'une copieuse correspondance familiale, que nous devons à la piété des neveux et petits-neveux de Dom Augustin. Mais lorsqu'il s'agit d'une âme aussi intérieure, les faits historiques sont bien peu de chose en regard de la grâce spirituelle qui lui fut conférée par le Saint-Esprit. Là, au plus secret de ce face à face quotidien avec Dieu, se cache la source de cette vie et de son rayonnement. Tout ce qui a été publié jusqu'à ce jour nous laissait pressentir la richesse, la pureté, le « dégagement », la « virginité », pour employer les mots cartusiens, de ce jaillissement surnaturel... Aujourd'hui, sans encore peut-être atteindre à la « pointe » extrême de cette âme (il semble en effet qu'elle n'ait trouvé sa plénitude que dans la contemplation au-delà des mots) nous faisons dans sa découverte un progrès décisif. Voici enfin son œuvre essentielle, le cœur de sa pensée, les Elévation sur l'Evangile de saint Jean, auxquelles nous avons cru pouvoir donner pour titre, un mot de Dom Augustin lui-même : Au seuil de l'abîme de Dieu. Regardons-le bien, d'abord, ce moine, dans sa cellule, regardons-le en train d'écrire, de sa longue écriture régulière... énergique, anguleuse, autoritaire, les pensées qui traversent son âme. Il est là, assis dans son « cubiculum », à sa petite table, très pauvre, auprès de la fenêtre. L'Evangile de saint Jean est 1 L'éditeur des écrits de Dom Augustin Guillerand est la Maison des « Benedettine di Priscilla », Via Salaria. 430, Roma. - Le dépositaire en France est : l'Office Général du Livre, 14 bis rue Jean Ferrandi, Paris, 6ème. 2 N° 21. Tome 6, janvier 1959. 3 N° 437. Mars 1959 4 N° 111. Tarascon 1959. 1 sans doute ouvert sur le coin de la table, mais en a-t-il besoin ? Saint Jean, il le sait, pour ainsi dire, par cœur : c'est le texte familier à son âme, le thème ininterrompu de sa méditation. Il écrit : la main court sur les feuillets de papier rayé, au libre fil de l'esprit ; il ne se reprend pas, il ne se corrige pas ; se relit- il ? Ce n'est pas certain ; sinon, il aurait rectifié quelques fautes grossières de grammaire ou d'orthographe qui lui ont échappé. Il écrit. Mais il n'écrit que pour mieux contempler, et comme pour fixer la trop grande nervosité de son corps, tandis que son âme se laisse pénétrer, plus encore qu'elle ne les pénètre, des hauts mystères de la Vie divine. De lui, on pourrait dire ce qu'il a dit de saint Jean : « Il vit ce qu'il écrit… Il contemple Celui qu'il aime, en même temps qu'il en parle. » Ainsi vit-il, quand l'Office liturgique ou ses fonctions au couvent lui laissent la disposition des heures. Face à face avec saint Jean, ou plutôt avec la Parole révélée, telle que la rapporte « le disciple aimé, le disciple au regard d'aigle qui a passé sa vie au seuil de cet abîme ». Lui aussi, comme saint Jean, passa sa vie au seuil de l'abîme divin. Là est pour lui le lieu de la vie, le lieu de la joie. Ainsi le surprennent, à l'accoutumée, ceux de ses frères qui viennent d'aventure frapper à la porte de sa solitude. L'image est centrale : elle nous révèle Dom Augustin, beaucoup plus que toutes les anecdotes biographiques, beaucoup plus que toutes ses paroles, et que tous ses écrits. Ou plutôt ses paroles, ses écrits ne sont que l'écho de cette interminable contemplation. « Dieu, sa vérité, sa vie, sa beauté, toute la plénitude sans nom que nos mots s'efforcent en vain de traduire, c'est un aliment qui comble sans rassasier. » Sans rassasier. Ainsi s'explique le rythme même de sa pensée. C'est essentiellement une contemplation, une dégustation, plutôt qu'une méditation. Une contemplation très intellectuelle et très amoureuse, une contemplation qui introduit l'âme au cœur du mouvement trinitaire, une expérience de Dieu. Ne cherchons pas à appliquer à cet écrit nos catégories de l'infus et de l'acquis : nous en parlerons un jour. Prenons le texte tel qu'il sonne, « les yeux fermés et l'âme adorante ». Plions-nous à son rythme, à ses élans, à ses lenteurs et à ses reprises, à sa nonchalance comblée. Consentons à son pas, qui est celui de l'Amour, de l'Amour qui échappe au temps. « Jean se répète, il reprend sa formule ; il éprouve le besoin de rester un instant sur les hauteurs, en face de cette Réalité qui pour lui est tout... De là le mouvement si spécial de sa pensée : elle avance lentement, parfois elle s'arrête, elle semble même reculer de temps en temps, et comme revenir en arrière pour mieux prendre possession de son objet et en jouir. » Ainsi chemine, elle aussi, la pensée de Dom Augustin. « Je suis comme un oiseau qui tournoie autour d'un sommet avant de s'y poser... Sur ce sommet, je trouve tout. » Ce mot qu'il a dit à propos de sa contemplation de la Vierge Marie, il est plus vrai encore de sa contemplation de la Trinité et du Verbe fait chair. A telles enseignes que, lorsqu'il avait fini de méditer le Prologue de saint Jean - qui était pour lui, visiblement, la portion la plus savoureuse du quatrième Evangile - il ne craignait pas de recommencer à « In principio... » ; ou, lorsqu'il avait avancé dans l'Evangile, il ne craignait pas d'interrompre sa marche et de revenir au point de départ. Aussi nous sommes-nous trouvés en face de deux commentaires de Dom Augustin, du moins pour les quatre premiers chapitres de l'Evangile de saint Jean. L'un et l'autre incomplets5, l'un et l'autre lacuneux, différents l'un de l'autre sans doute, mais semblables de fond. Il était difficile, sinon impossible, de les publier tous deux dans leur intégralité. Le choix à opérer était subtil : nous avons finalement résolu, d'accord avec les Pères Chartreux responsables des Ecrits de Dom Augustin, de suivre l'Evangile de Jean, verset par verset, et de donner, pour chaque passage, les deux commentaires, mais en éliminant ce qui était pure répétition des idées : nous retenions alors le meilleur texte. Puisque nous en sommes à préciser nos interventions, confessons encore : 1° Que nous avons supprimé quelques rares phrases ou passages où Dom Augustin qui, répétons-le, écrivait de jet et pour lui-même, n'avait pas eu visiblement le temps de 5 Le premier commentaire, que nous appellerons A, est autographe ; il est écrit sur des demi-feuilles et à l'encre bleu-vert ; il recouvre les quatre premiers chapitres de saint Jean. Dom Augustin a mis une date à la fin du Prologue : 17 septembre 1942. Le second commentaire, que nous appellerons B, est en partie recopié (De I, 1 à uploads/Religion/ au-seuil-de-l-x27-abyme-par-dom-guillerand.pdf
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- Publié le Mar 26, 2022
- Catégorie Religion
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