Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire Le voile de Dieu Jean-François Clém
Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire Le voile de Dieu Jean-François Clément Citer ce document / Cite this document : Clément Jean-François. Le voile de Dieu. In: Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, N°25-26, 1994. Formes arabes de la rationalité / La femme indévoilable : entre le voile divin et le voile humain. pp. 132-141; doi : https://doi.org/10.3406/horma.1994.1246 https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_1994_num_25_1_1246 Fichier pdf généré le 05/02/2019 LE VOILE DE DIEU Jean-François CLÉMENT "L'univers est un système de désinformation superbement conçu pour nous faire croire à l'évolution et donc nous détourner de Dieu". Norman Mailer (1) Un h'adîth du prophète Muh'ammad dit : "Allah a soixante-dix voiles de lumière et de ténèbres : S'il retirait ces voiles, l'éclat de Sa face consumerait sans nul doute quiconque Le verrait" (certains lisent "sept cents voiles" ; d'autres "soixante dix mille")(2). Comment comprendre ce texte dans une religion où il y a révélation, c'est-à-dire manifestation de Dieu par un texte ? Cela signifie-t-il que derrière le sens apparent des mots de la révélation, il y a un sens occulte, le bâtin ? Celui-ci serait-il dégagé du texte exactement comme on tire l'eau du puits, istinbât', terme qui signifie "dégager le sens caché" et qui vient de la racine Vnbt' = tirer l'eau du puits. Il y aurait donc une problématique centrale dans l'islam qui serait celle du dévoilement du Voilé, kashf al-mah'jûb. Dieu ne se manifeste pas directement dans ce monde ni même dans sa révélation. Il faut parvenir pour avancer dans sa connaissance à la station du dévoilement (3). Comment comprendre la parole de Dieu et au-delà Dieu lui-même ? Quel peut-être le sens de cette notion de voile de Dieu, h'ijâb Allah? Comment lever éventuellement ces voiles de Dieu ou du moins certains d'entre eux ? Et à quoi peut donc bien servir une telle compréhension ? Permet-elle de préciser le sens du voile lorsque celui-ci est porté par des êtres humains ? De nombreux hommes se présentent en effet comme voilés, prophètes voilés, saints cachés ou aux charismes volontairement inapparents, hommes ou femmes voilés enfin, le voile étant alors entendu matériellement comme chiffon ou morceau de tissu. Le voile est-il négatif, signe d'une déréliction, ou peut-il Le voile de Dieu. Jean-François Clément avoir un sens positif ? A la limite, une femme peut-elle se dire musulmane et porter un voile ? Nous tenterons de répondre aux premières de ces questions en nous appuyant sur les textes de la tradition musulmane, sans donner ici d'interprétation personnelle. Nous proposerons quatre manières de comprendre ces voiles de Dieu. Il y a tout d'abord les voiles que l'homme constitue par son langage, sa raison ou toutes les projections anthropomorphistes qui font que lorsqu'il croit saisir Dieu, il n'analyse que lui-même. Il y a ensuite les voiles qui résultent de la relation entre Dieu et les hommes. Puis il y a les voiles de Dieu lui-même, enfin il y a le voile des voiles qui interdit la perception spontanée de ces trois différents types de voiles.. I Les voiles de l'homme sont multiples (4). On les appelle, dans le Coran, habituellement akinnat ou couvertures. "Oulûbunâ fî akinnatin mimmâ tad 'ûnâ ilayhî'®, "nos coeurs sont dans des couvertures épaisses qui nous cachent ce vers quoi tu nous appelles". La révélation, a dit un soufi, est "l'enlèvement des voiles de la condition humaine, al-bachariyya, sans que cela implique que l'essence de l'être divin varie. Et l'occultation, c'est que la condition humaine fait obstacle à la prise de conscience du monde caché, al-ghayb". En clair, "les secrets de l'être divin ne se montrent pas à l'homme qui est voilé"(6). Quelles sont ces couvertures de l'homme ? Il faut chaque fois distinguer les voiles de ténèbres et les voiles de lumière, bien que chaque type de voile limite ou interdise la connaissance. Les voiles de ténèbres de l'homme sont multiples. C'est tout d'abord le corps et l'âme charnelle, un des deux aspects de l'âme. C'est l'âme en tant qu'elle n'a pas encore été purifiée, qu'elle est encore nafs et pas encore rûh'. "L'âme charnelle est un roi si tu la suis {tabi'tahâ) et un serviteur si tu te fais suivre d'elle {atba'tahâ)"(7) . Cette âme charnelle nous fait préférer la loi du talion à la nécessité de rendre le bien pour le mal accompli afin de sortir du cercle de la violence comme le demande la Futuwwa®. Autre voile de ténèbres, ne pas comprendre comment s'exerce la comman- derie du bien et "le pourchas" du mal. C'est ce qui arrive lorsqu'un musulman condamne publiquement un autre musulman. En effet, l'envoyé de Dieu a dit : "en t' appliquant à faire ressortir les défauts des musulmans, tu contribues en réalité à les rendre mauvais"(9). Abu al-H'usayn ibn Sam'ûn précise qu'il est nécessaire "d'éviter les controverses, de se maintenir dans une parfaite droiture, de ne pas chercher à relever les défauts des autres, d'essayer d'interpréter avec bienveillance les vices de leurs comportements, de leur trouver des justifications, d'enture leurs épreuves, de ne blâmer que soi-même"(10). Sans compter que ce genre d'accusation est avant tout un plaisir éprouvé par l'âme charnelle de l'accusateur qui serait personnellement tenté par ce qu'il recherche les imperfections des autres s'empêche de voir ses propres imperfections" disait DM' al-Nûn al-Misri. Le h'adîth cité précise donc clairement ce qu'est le véritable but, au-delà des apparences, des islamistes contempo- HORIZONS MAGHREBINS N° 25 / 26 - 1994 133 rains. Leur but est essentiellement satanique puisqu'ils contribuent à rendre mauvais les autres musulmans et ils accusent afin d'échapper eux-mêmes aux accusations. On n'en finirait pas de présenter les voiles de ténèbres liés à la condition humaine, de l'égoïsme à l'impolitesse, de l'impatience à la brutalité. Abu al-H'asân Sarî Saqatî résume ces voiles ainsi : "envier ce que les autres possèdent, chercher à obtenir d'eux des biens, ne plus avoir le contrôle de ses mains, de son estomac ou de sa libido, chercher à se faire prévaloir, refuser de prendre pour maître quelqu'un de plus avancé spirituellement". Il y a là les formes des multiples divertissements, qu'on trouve dans l'argent, la sexualité, la violence, etc., qui permettent de passer facilement de 700 à 70 000 voiles. Ghazâlî décrit en détail tous ces voiles. Ce sont les incroyants qui cherchent des causes dans le monde des créatures ou qui sont égocentriques, soit qu'ils cherchent seulement à satisfaire leurs besoins corporels ou à dominer les autres par la "conquête et la domination, le massacre, le rapt et la captivité de leurs semblables". On voit là décrites les pratiques des incroyants du Hezbollah libanais de ces dernières années. Ce sont aussi ceux qui cherchent la richesse ou les honneurs. "Innombrables sont ces variétés d'incroyants et tous, unanimement, sont voilés loin 6! Allah par la pure ténèbre et ils sont eux-mêmes ténèbres. De sorte qu'il n'est pas nécessaire de mentionner toutes les variétés individuelles une fois que l'attention a été attirée sur le genre"(11). Un cas particulier est celui de ces incroyants qui portent des pancartes où il est écrit "Dieu est le plus grand" et qui, dit Ghazâlî, "sont probablement incités à cela par la crainte seule, ou le désir de mendier auprès des musulmans, ou dT obtenir leur faveur, ou par un zèle purement fanatique de soutenir les opinions de leurs pères". La foi sociologique ou intéressée de ceux qui n'espèrent plus qu'obtenir une partie de la rente pétrolière n'est que de l'incroyance, ce qui est le voile spécifique du pétro-islamisme. "Seul nous sépare de la vue des manifestations de la joie ou du cri de damnation, l'instant où l'âme quitte le corps ; nous ne serons plus alors que de simples esclaves" disait la sœur de Fud'ayl ibn lyâz'. Quitter les séductions de son ego, de son nafs, c'est la première façon de lever les voiles. Les voiles de lumière se trouvent chez l'homme dont la raison est voilée. C'est du moins ainsi qu.' al-Nîsâbûrî comprend l'étymologie de majnûn (l2). Le majnûn, loin d'être possédé par un jinn, est celui dont la raison est voilée, al-mastûr 'aqluhu. La racine de majnûn serait Vin, cacher. Le majnûn est l'homme dont la raison a été occultée par l'amour qu'il éprouve pour Dieu. Et son occultation l'emporte sur son nom, junûnuhu ghalaba 'ala ismihi^ . Au point où on appellera un tel homme l'occulté, majnûn au masculin ou majnûna au féminin, sans qu'on se souvienne de son nom propre. Le majnûn est celui qui ne croit pas en Dieu pour en obtenir un avantage quelconque. D'où la tentation d'une mystique de l'ivresse ou de l'extase, comme dans le samâ', la séance de danse, par exemple des derviches tourneurs, accompagnée de musique, opposée à une mystique de la lucidité. D'où aussi les essais de lectures ésotériques par le système abjad pour lever les voiles de la raison(14) . Le voile de Dieu Jean-François Clément Par exemple, le simple fait de désirer aller au paradis est un voile pour l'homme qui l'empêche d'être religieux. C'est ce que disait SariSaqatîà Junayd en rapportant un h'adîth qudsî: "J'ai uploads/Religion/ le-voile-de-dieu-pdf.pdf
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- Publié le Sep 20, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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