31 Hugoye: Journal of Syriac Studies, Vol. 13.1, 31–48 © 2010 by Beth Mardutho:

31 Hugoye: Journal of Syriac Studies, Vol. 13.1, 31–48 © 2010 by Beth Mardutho: The Syriac Institute and Gorgias Press LA VIERGE MERE DE DIEU DANS LA PENSEE DE PHILOXENE DE MABBOUG P. ROGER-YOUSSEF AKHRASS SEMINAIRE DE THEOLOGIE DE ST EPHREM, MAARAT SAYDNAYA INTRODUCTION Philoxène de Mabboug est un auteur et polémiste qui a écrit à profusion dans la polémique christologique au tournant du sixième siècle. Sa christologie était axée sur le principe du « devenir sans changement » pour expliquer l’incarnation du Verbe de Dieu. Philoxène cherchait partout dans la vie de Jésus, des preuves de l’application de ce principe. C’est ainsi qu’il a trouvé dans les mots clefs « né d’une femme » de Gal 4, 4 une justification théologique de l’immutabilité de Dieu dans le devenir qui ne constitua pas une transformation interne, et en même temps une preuve de la connaturalité véritable et complète du Verbe incarné avec la race dans laquelle il venait s’insérer. L’intérêt de ces deux arguments pour la théologie du salut est évident, puisqu’ils garantissent, l’un la solidarité du Sauveur avec l’humanité, et l’autre l’immunité de sa qualité de sauveur divin. Or ce processus salvifique du devenir qui est l’inhumanation du Fils, s’est déclenché d’abord au moment de l’annonciation à Marie et ensuite dans la naissance d’une vierge devenue Mère de Dieu Théotokos. Notre exposé tentera de lire la portée sotériologique de la naissance de Dieu Verbe à partir d’une femme Vierge et Théotokos dans la doctrine philoxénienne. Mais avant cela, on donnera en prélude, les traits humains de la figure mariale dans les écrits de notre théologien. Cette image humaine de 32 P. Roger-Youssef Akhrass Marie corrigera toute fausse compréhension déifiante de Marie, prétendument fondée sur le titre de Mère de Dieu. 1. MARIE : FIGURE HUMAINE Loin d’être amené par le dogme de la Théotokos à diviniser la mère de Jésus au point de la soustraire à la condition humaine, Philoxène témoigne d’une aussi grande liberté que Chrysostome dans l’exégèse des textes évangéliques relatifs à Marie. Jusqu’à la Pentecôte, affirme notre auteur, la Vierge ne connut pas l’exactitude du mystère surnaturel qui s’était opéré en elle; c’est-à- dire que, si elle savait bien qu’elle avait conçu et enfanté virginalement, elle ne se rendait pas compte de la divinité naturelle de Son Fils 1. Notre théologien voit dans cette opinion faible la source du manque de foi et du scandale qu’aurait éprouvé Marie : elle s’étonne des paroles de Siméon (Lc 2, 33); elle ne comprend pas la mission de son Fils (Lc 2, 48–50); elle prétend lui imposer l’obéissance, alors que Jésus baptisé n’est plus soumis aux obligations de la Loi (Jn 2, 4) et peut la répudier (Mt 12, 48; Jn 19, 26); elle participe au scandale des disciples la nuit de l’arrestation (Mt 26, 31)2. Par tout ceci, Philoxène n’entend nullement insulter à la sainteté de Marie, mais il lui refuse une situation privilégiée par rapport à celle des disciples, puisque Pierre lui-même, qui put seul, avant le don de l’Esprit, confesser la divinité du Christ (Mt 16, 16) en vertu d’une révélation du Père, n’aurait pas compris le sens d’un mystère caché aux puissances spirituelles elles-mêmes (1 Cor 2, 6– 12; Ep 3, 10)3. Le manque de foi de Marie était d’ailleurs dû à la faiblesse, et non à une volonté mauvaise; aussi fut-il guéri lors du baptême de la Pentecôte; c’est ainsi que Philoxène explique que la 1 Commentaire de Luc 2, 51–52, fragment 46 dans Philoxenus of Mabbug, Fragments of the Commentary on Matthew and Luke, ed. and tr. J.W. Watt, CSCO 392 = Script. Syri 171 (Louvain, 1978), p. 52 (= Commentaire de Matthieu-Luc). 2 Commentaire de Luc 2, 22–39, fr. 43, p. 44–6; Philoxène de Mabboug. Homélies, tr. E. Lemoine, Sources Chrétiennes 44 (Paris, 1956), 239–43. The Discourses of Philoxenus Bishop of Mabbôgh, A.D. 485–519, ed. E.A. Wallis Budge, Vol I (London, 1894), 249–54. 3 Commentaire de Matthieu 16, 16–17, fr. 27, p. 25–28. La Vierge Mère de Dieu dans la pensée de Philoxène 33 7 lance du doute et du scandale ne fit que lui traverser le cœur (Lc 2, 35)4. 2. THEOTOKOS 2.1. Au temps de l’annonciation 2.1.1. Marie, semence de David L’évangile de Matthieu montre que Jésus devint le fils de David à travers Joseph qui accepte de prendre Marie chez lui et, ceci faisant, il intègre Jésus dans la lignée davidique (Mt 1, 18–25). Mais selon Philoxène et les pères syriaques, Jésus fut aussi charnellement le fils de David à travers Marie qui est la semence de David : « Mais nous disons que c’est de la Vierge qu’il l’a voulu et qu’il est devenu, de celle qui est de la descendance de la maison de David, comme l’enseignent les Ecritures et nous le transmettent tous les docteurs de vérité. »5 « C’est lui (le Christ) que l’Ange appela aussi fils de David, parce que celui-ci avait reçu la promesse que le Fils de Dieu devait naître de sa semence. Or la semence de David, c’était la Vierge, de laquelle s’inhumana et naquit le Verbe de Dieu. Et si celui-ci devint homme dans le ventre, c’était pour naître de la femme; et il naquit de celle-ci afin de mourir; et il mourut afin de sauver, à savoir de Satan, de la mort et du péché. »6 2.1.2. Sanctification de la Vierge par l’Esprit-Saint Philoxène estime que la vierge fut purifiée et sanctifiée par l’Esprit lors de l’annonciation : « Il est descendu et, dans une Vierge pure qui fut sanctifiée par l’Esprit, Dieu a habité et est devenu homme d’elle, sans changement » . Les conséquences de cette sanctification 4 Luc 2, 22–39, fr. 43, p. 44–46. Commentaire de 5 F. Graffin, Sancti Philoxeni Episcopi Mabbugensis, Dissertationes Decem, De uno e Sancta Trinitate incorporato et passo (Memre contre Habib), V. Appendices, I. Tractatus II. Refutatio. III. Epistula Dogmatica. IV Fl pols, 1982), 53. orilegium, PO 41, 1 (Bre 6 Philoxène de Mabbog, Lettre aux moines de Senoun, tr. A. de Halleux, CSC = Script. Syr uvain, 1963), 48 [59]. O 231–232 i 98–99 (Lo 7 Graffin, Sancti Philoxeni, 43, § 12. 34 P. Roger-Youssef Akhrass ne concernent pas la sainteté morale de Marie ou sa purification du péché dit « originel » comme le penseraient certains. Les conséquences sont décisives pour la permanence de la virginité de Marie qui préserve l’incarnation de toute atteinte de mort naturelle et de convoitise : « Or, on ne lui attribue aucune des deux (mort et convoitise), parce que c’est sans recourir à l’union charnelle qu’il a été conçu et est né, et parce que l’Esprit-Saint est venu sur la Vierge, pour que ce fût saintement que se fit, d’elle, l’incorporation du Verbe. »8 On développera davantage les implications christologiques de cette sainteté dans la naissance lorsqu’on traitera plus loin de la perpétuelle virginité de Marie. 2.1.3. Moment de la conception Dans la lignée de Saint Ephrem, Philoxène soutient que la conception s’est faite avec la parole de l’ange. Cette idée est intrigante car on parle souvent du « oui » d’obéissance de la humble servante du Seigneur qui a librement répondu à l’appel du Seigneur. Et on explique souvent que l’incarnation a eu lieu par une synergie entre l’action divine venue de l’Esprit-Saint et le « oui » de Marie symbolisant l’accueil de l’action divine par l’humanité toute entière. Or pour Philoxène, le projet de Dieu est totalement souverain et ne peut être compromis par quelque possibilité de refus. C’est pourquoi, l’incarnation se fait immédiatement avec la parole de l’ange disant : « Le Seigneur soit avec toi ». A cela s’ajoute l’idée que le Fils est la semence de la Parole de Dieu, que l’archange-semeur sème dans la terre non labourée et vierge Marie. Cette Parole entre par l’oreille, mais n’est pas accueilli par l’intellect comme il se passe ordinairement chez les hommes mais cette fois-ci, dans les entrailles de Marie : «… Aussitôt que l’archange Gabriel eut dit à la Vierge Marie : Salut, pleine de grâce, le Seigneur [soit] avec toi ! En même temps que ce mot de l’ange, le Verbe vint dans la Vierge et entra, lui aussi, en même temps que le mot ou 8 I. Guidi, La lettera di Filosseno ai monaci di Tell’ addâ (Teleda), Atti dl. R. Accad. d. Lincei, cl. di sc. Morali, Memorie III 12 (Rome, 1884), 466. La Vierge Mère de Dieu dans la pensée de Philoxène 35 par son intermédiaire, non pas dans l’intellect, qui normalement reçoit les mots et conçoit les paroles, mais [c’est] hypostatiquement, dans le ventre de la Vierge, [que] le Verbe accourut aussitôt, parce qu’ici il ne voulut pas être conçu spirituellement dans l’intellect, comme chez n’importe qui, mais charnellement, dans le ventre où sont normalement formés tous les nourrissons de la nature… » 9 2.2. Au temps de la naissance 2.2.1. Un nouveau commencement En parlant du mystère de l’incarnation, il y a des formules qui peuvent choquer à cause du paradoxe christologique. Il uploads/Religion/ mariologie-de-philoxene.pdf

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  • Publié le Aoû 27, 2022
  • Catégorie Religion
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