-Mémoire de DEA d’Études Africaines- Paris - 1 – La Sorbonne U.F.R 11, de Scien
-Mémoire de DEA d’Études Africaines- Paris - 1 – La Sorbonne U.F.R 11, de Science Politique. 2001-2002 - BAAY-FALL du TEMPS MONDIAL : INDIVIDUS MODERNES du SENEGAL - --- “Des dynamiques de construction de sujets individuels et d’invention d’une modernité véhiculées par l’originale communauté islamique des Baay-fall.” Par Mr Xavier AUDRAIN Mémoire réalisé sous la direction De Monsieur Richard BANÉGAS -Résumé- La communauté baay-fall est une branche de la confrérie soufi du Sénégal des Mourides. Instaurée au début du XX° siècle par Cheikh Ahmadu Bamba, la confrérie mouride constitue un islam noir confrérique de terroir par excellence. En son sein, la voie baay-fall, initiée par Maam Cheikh Ibra Fall, cultive de nombreuses originalités. Ses adeptes ne pratiquent ni les prières quotidiennes, ni le jeûne du ramadan, ni l’assaka. Ils substituent à ces piliers de la doctrine musulmane, un assujettissement total envers leur marabout et s’investissent dans une mystique du travail censée leur ouvrir les voies d’Allah dans le cadre d’une recherche mystique intérieure. Cette interprétation de l’islam leur vaut l’opprobre de la population musulmane qui considère les Baay-fall comme des marginaux enclins à assouvir leurs déviances sous couvert de la religion. Or, avec la montée en puissance de la confrérie mouride, la communauté baay-fall connaît un engouement certain auprès de la jeunesse urbaine. Ce succès se réalise toutefois dans une perspective de ré-islamisation forte de la jeunesse et non dans celle d’un détachement vis-à-vis de la religion. Cette étude se propose de revenir sur les motivations des jeunes à investir cette voie religieuse et de réfléchir sur les changements historiques que son succès révèle et accompagne. Il est avancé l’hypothèse que les jeunes trouvent en cette communauté le moyen de s’émanciper de leurs assignations lignagères, sans pour autant renier le système de solidarité communautaire. Parachevant ainsi un processus d’individualisation, l’individu-taalibe acquière par cet itinéraire religieux une autonomie relative lui permettant de se réaliser et de s’affirmer en tant que sujet- individuel. Allant au-delà du paradoxe d’une réalisation des processus d’individualisation et de subjectivation dans une entreprise communautariste, nous essayons de démontrer l’efficacité d’un assujettissement affranchissant permis par la remise de soi à un marabout baay-fall. Source de différenciation (au plan individuel et collectif), la conversion baay-fall permet aux individus de se rendre matre d’eux- mêmes et de mettre en œuvre une “culture de soi” les poussant à façonner leur propre éthique en fonction de la morale musulmane. Cet assujettissement (au deux sens du terme : sujet du marabout et sujet de soi) provoque et exprime une reformulation des gouvernementalités au sein de la société sénégalaise. Si une véritable dynamique de subjectivation politique individuelle accompagne les conversions baay-fall des jeunes sénégalais, c’est également une nouvelle société qui s’invente et qui s’impose. Celle-ci se façonne autour du concept de cité cultuelle de terroir, permettant d’affirmer sa différence à la face du monde par le biais d’une invention religieuse d’une modernité endogène. 1 -Introduction- “Le XXI ° siècle sera religieux ou ne sera pas !” Cette phrase revient comme un leitmotiv dans la bouche des interlocuteurs rencontrés lors des recherches de terrain menées au Sénégal sur la communauté musulmane soufi des Baay-fall. Souvent, ils n’en connaissent pas l’auteur ou plutôt, c’est pour eux, leur seriñ1, leur jawriñ2 ou leurs frères taalibe3. Peu importe finalement le sens qu’André Malraux voulait donner à ces mots, ils en ont une compréhension bien à eux4. Cette phrase est à relier à une autre expression revenue aussi fréquemment : “voir la réalité”. Celle-ci transcrit la perception des adeptes baay-fall lors de leur intégration à la communauté et décrit également leurs impressions lorsqu’ils se rendent à Touba, la ville sacrée mouride. Gibril, un Baay-fall de Pikine le dit lui-même: “ Ma famille, maintenant, ils savent que moi là où je suis [la communauté baay-fall], c’est la réalité. Avant ma maman quand je ramenais des choses à côté de sa chambre, elle faisait un peu comme ça [il mime la désapprobation], et maintenant ça va, parce que je l’ai amenée à Touba. Elle a vu tout quoi. Elle a vu là-bas la réalité quoi. Même ça elle m’a dit : “Dès que tu as ta bagnole, tu m’emmènes à Touba.” Ces deux expressions : “Le XXI ° siècle sera religieux ou ne sera pas !” et “voir la réalité” sont constitutives d’un phénomène social qui confirmerait que loin de se tarir avec le développement et la modernisation, comme l’avaient prévu les tenants du développementalisme, le fait religieux occupe aujourd’hui encore, voire plus que jamais, une place déterminante dans l’évolution (quelle qu’elle soit) des sociétés africaines. A en juger du sens de ces expressions, le fait religieux semble être interprété par des Sénégalais, dont les Baay-fall, comme “l’axe référentiel”5 qui fera la réalité du XXI° siècle. L’engouement sans précédent pour la communauté baay-fall, de la part de jeunes urbains en recherche de spiritualité, est un constat qui s’impose. Il constitue à ce titre une caractéristique des dynamiques du changement façonnant la société sénégalaise contemporaine. Certains s’entêtent à voir en ce phénomène socio- religieux le signe d’une société résolument tournée vers le passé et le traditionnel. Les descriptions sur la communauté baay-fall renvoient fréquemment à des 1 Le seriñ est le guide spirituel des fidèles de la confrérie mouride, dont la communauté baay-fall est une branche interne. De façon plus familière (voire péjorative) il est appelé marabout. 2Le jawriñ correspond à une sorte d’intendant et de bras droit du seriñ, il s’occupe de la gestion du daara (école coranique, qui correspond pour les Baay-fall principalement à une unité de travail) et de la relation entre le marabout et ses disciples. 3 Le taalibe est le disciple du seriñ après lui avoir fait son acte d’allégeance : le njëbëlu. 4 Cet exemple illustre bien ce que Bayart nomme l’extraversion : “l’extraversion consiste à épouser des éléments culturels étrangers en les soumettant à des objectifs autochtones.” J.F.Bayart, L’illusion identitaire, Fayard, Paris, 1996 p.80. 5 J.F Bayart (dir.), Religion et modernité politique en Afrique noire –Dieu pour tous et chacun pour soi, Paris, Karthala, 1993, p.12. 2 références ancestrales, l’assimilant à un syncrétisme entre islam et culture païenne préislamique, comme l’entend Dennis Galvan : “ Members of the key sub-sect (Baye- fall) of the largest brotherhood (Mourides) are in effect a reformulated version of the warrior caste of the old wolof kingdoms. They still adhere to the warrior’s stéréotypical behavorial and organizational patterns”6. En revanche, d’autres s’efforcent, selon nous à juste titre, à briser la vision passéiste et historiciste afin de comprendre l’engouement actuel pour cette communauté religieuse et de déceler les véritables enjeux et transformations. Charlotte Pézeril fait partie de ceux-là. Elle rappelle que de considérer cette communauté comme une secte païenne d’une autre époque serait une erreur : “ Ils [les Baay-fall] sont à la base même du mouridisme et ne constituent pas cette branche désignée comme marginale et anachronique.”7 L’ambivalence des représentations de la communauté baay-fall vient du fait que cette dernière constitue un véritable vecteur participant au changement de la société, mais camouflé par l’illusion d’une continuité traditionnelle, de surcroît, syncrétique entre l’islam et des comportements préislamiques. Dans cette perspective, une réflexion s’attelant à faire ressortir les ruptures et les dynamiques de changement d’un ordre social provoquées par l’engouement envers cette voie religieuse nous semble plus pertinente que d’y voir un retour en force dans les esprits sénégalais d’un passé traditionnel, tel un palliatif d’une “modernisation impossible”. Mais avant d’aller plus loin, un éclairage sur ce qu’est et représente la communauté baay-fall s’impose. -Présentation de la communauté baay-fall et perception de celle-ci par la société sénégalaise : La communauté baay-fall constitue une des branches internes (Khalifat ou Xalifa, en wolof) de la confrérie mouride. Tous les membres de cette confrérie se reconnaissent en Cheikh Ahmadu Bamba, initiateur d’un nouvel enseignement et d’une nouvelle pratique de l’islam, ainsi qu’en Maam Cheikh Ibra Fall, son fidèle disciple dont le nom est à l’origine du terme Baay-fall8. Ce dernier révéla cette nouvelle voie, qu’il rendit intelligible aux hommes en l’appliquant lui-même. Cheikh Ahmadu Bamba avait plusieurs disciples qui sont à l’origine d’autant de Khalifat (ou maison) mouride. Le Khalifat général des Mourides est tenu par un fils de Seriñ Touba9, et l’ensemble des autres khalifes et marabouts lui doit obéissance. C’est le cas du chef du Khalifat des 6 D. Galvan, Democracy without Ethnic Conflict : Embedded Parties, Transcendent social capital and non- violent pluralism in Senegal and Indonesia, Unpublished paper, contribution au 97° meeting annuel de l’Association Américaine de Science Politique, San Francisco, septembre 2001, p.9-10. 7 C. Pézeril, La relation marabout-disciples dans la confrérie mouride au Sénégal, Paris, mémoire des Hautes Etudes en Sciences Sociales, (dir. Jean Copans), 1996-1997, p.95. 8 “Baay” signifie en wolof “papa” et “Fall” est la reprise du nom de Maam Cheikh (surnom donné à Ibra Fall). Ainsi ceux qui se revendiquent Baay-fall, se revendiquent littéralement de Papa Fall. 9 Seriñ Touba est le nom donné à Cheikh Ahmadu Bamba et à l’ensemble de ses descendants qui occupent le poste de Khalife général des Mourides, actuellement tenu par uploads/Religion/ memoire-dea-audrain.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 22, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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