1 LE CARDINAL PIE ET LE CHRIST ROI DE FRANCE Le texte choisi est le chapitre IV
1 LE CARDINAL PIE ET LE CHRIST ROI DE FRANCE Le texte choisi est le chapitre IV du Tome II de l'Histoire du Cardinal Pie, Evêque de Poitiers par Mgr Baunard, Oudin, 1888. Texte intégral1. L'ouvrage de Mgr Baunard a été supervisé par Mgr Gay, le grand ami du Cardinal Pie, qui a sélectionné la plupart des docu- ments, et qui surtout, connaissant les tendances libérales de l'auteur, a suivi de très prés ses travaux pour que la pensée, l'enseigne- ment et l'œuvre du Cardinal Pie ne soient pas déformés. Les notes sont de L-H REMY. CONSTITUTION DE LA ROYAUTE CHRETIENNE En commençant ce chapitre, nous devons prévenir le lecteur que nous changeons de terrain. Ce n'est plus de l'éternelle vérité qu'il s'agit, de la vérité religieuse, absolue, immuable, mais des vérités contingentes et relatives de la politique humaine, livrées, comme ce monde lui-même, à la dispute des hommes. Nous ne saurions donc confondre dans un intérêt égal, ni placer sur la même ligne de nos convictions les choses qui regardent l'Eglise et celles qui regardent l'Etat, particulièrement en ce siècle de crises et de transformations. Tandis que les premières sont du domaine de la foi, inviolable, sacré, les secondes sont du domaine plus libre de ces opinions auxquelles tout chrétien reste le maître de donner son assentiment ou de le refuser, ayant le devoir toutefois de le subordonner aux lois de la justice et au suprême intérêt du salut spirituel et temporel des âmes et des sociétés2. Du sein des nuages amoncelés autour de l'Assemblée, l'aube de meilleurs jours se levait et blanchissait l'horizon politique. Un mouvement royaliste se propageait dans les esprits, gagnant de proche en proche, surtout depuis le voyage de Monsieur le Comte de Chambord à Anvers et les manifestes royaux qui l'avaient suivi. C'était, par-dessus tout, des manifestes chrétiens, et l'on savait que le prince qui les signait était, par son caractère, son passé, sa conduite, le plus sûr garant de leur sincérité. Aussi l'Evêque de Poitiers, et avec lui la plus grande partie des catholiques, entrevoyaient-ils dans le règne de ce fils de saint Louis l'espérance d'une restauration du règne social de Jésus-Christ, autant du moins que le permettrait la malice des temps. Sa foi politique n'était donc ici que la conséquence de son espérance religieuse. Ainsi mit-il son zèle comme son patriotisme à servir la première dans l'intérêt de la seconde ; et en cela, comme en toute chose Mgr Pie demeura Evêque, rien que tout cela, mais tout cela. Déjà, vers la fin de l'année 1872, il ne dissimulait plus ce religieux espoir, dans ses discours publics aussi bien que dans ses lettres. Marie en était spécialement remerciée. L'homélie du jour de l'Immaculée Conception commenta cette antienne de l'office de la fête : «Votre Immaculée Conception, Mère de Dieu, a annoncé la joie au monde entier». L'Evê- que lui demanda de compléter cette joie par telle assistance d'en haut que l'on sentait venir : «Plus d'un symptôme, di- sait-il, annonce que la crise présente sera une crise de délivrance. L'heure de l'Eglise est venue.... L'heure approche où laquelle Jésus-Christ rentrera non pas seulement dans les intelligences et les cœurs des hommes, mais dans les institu- tions, dans les sociétés, dans la vie publique des peuples». Ainsi écrivait-il encore, le 31 décembre, à une grande chrétienne, bien digne de le comprendre : «Ne désespérez de rien pour l'avenir prochain de notre pays. Nous renouvelons toutes les sottises qui se faisaient au XIVè siècle, à la veille du règne réparateur de Charles V. Dieu se montrera bientôt, et les instruments qu'Il a préparés ne sont point iner- tes. Quelle grande voix que celle du Pape au milieu do ses spoliateurs ! Le temps à qui un tel spectacle est donné n'est pas maudit et délaissé de Dieu». Mais encore fallait-il que le pays légal corresponde à cette grâce. Mgr Pie estimait que la première mission de l'As- semblée de 1871, sinon son unique mission était de rétablir la royauté traditionnelle. Elle n'avait été élue si sponta- nément par le pays, et élue en très grande majorité royaliste, que pour cela. Il estimait, en outre, que les autres institu- tions qu'elle tenterait de donner à la France, si excellentes fussent-elles, ne devaient venir qu'après celle-là, et en s'ap- puyant sur elle, parce qu'elles ne pouvaient avoir de consistance et de durée que par là. "En toute société, répète-t-il, il faut commencer par constituer, avant d'organiser". On l'avait fait au Concile : pourquoi ne le faisait-on pas à Bor- deaux ou à Versailles ? De là les désolations et les indignations que nous lui avons vues, quand, au lieu de commencer par l'accomplissement de ce devoir fondamental, l'Assemblée s'était mise à bâtir sur le sable de pauvres ouvrages d'un jour, que minaient les hommes de désordre et de destruction auxquels sa débilité remettait le pouvoir. La cause de cette conduite, selon Mgr Pie, c'était la méconnaissance «de ce que devait être le droit monarchique en lui-même dans un pays chrétien, et spécialement en France», comme il écrivait à ses amis. Il était effrayé de la pré- dominance, dans un grand nombre d'esprits, des idées issues de la Révolution, idées dont était pétri, comme il s'expri- mait, «ce collectif libéral qui s'appelle l'assemblée, majorité souveraine qui, chose inouïe, a abdiqué aux mains d'un gou- vernement pris dans la minorité ! - Et dire, ajoute-t-il, que ces souverains ainsi détrônés ont la prétention de faire des conditions au Roi, pour l'admettre à l'honneur de partager le rôle abaissé qu'ils se sont fait !» L'idée que Mgr Pie avait pratiquement conçu du pouvoir monarchique, à une époque comme la nôtre, nous le ver- rons plus loin. Disons seulement ici que tout en voulant pour les peuples de sages libertés, inséparables d'un régime de monarchie chrétienne, il ne voyait d'état normal pour le gouvernement et de salut pour le pays que dans un pouvoir fort, qui sût gouverner en même temps que régner ; et, après les expériences de la Restauration, du régime de Juillet et de la fin de l'Empire, il était convaincu que livrer le pouvoir aux fluctuations du parlementarisme c'était le livrer tôt ou 1 Or la note 21 qui est du Père Théotime de Saint Just.. 2 Cette opinion du Cardinal Pie est fondée sur l'histoire, sur l'expérience, sur la connaissance de la cité du bien et sur l'échec de la cité du mal. Donc opinion éminemment importante. 2 tard à la Révolution et à l'anarchie. Un jour qu'un personnage politique libéral énumérait devant lui toutes les garanties de libertés publiques dont il fallait commencer par s'assurer auprès du Prince, avant de l'admettre à monter sur son trône : "Monsieur, répondit l'Evêque, pendant que vous me parliez, j'avais dans l'esprit une petite préoccupation : celle de sa- voir à qui pourrait convenir désormais la qualification de sujet, puisque dans votre théorie c'est la nation qui est souve- raine... Ah! pourtant si, j'y songe : il y aura un sujet, Monsieur, ce sera le Roi". Cependant la mort de l'Empereur avait providentiellement aplani les voies à la royauté, en dégageant le terrain des compétitions. L'effort des royalistes tendit alors plus que jamais à amener la fusion des deux branches de la Maison de France, en provoquant une démarche de M. le Comte de Paris auprès de l'héritier légitime de la couronne. Elle était près de s'accomplir et, si des questions secondaires la tenaient encore en suspens, on aimait à savoir où prenait ses conseils et où cherchait son modèle le Prince catholique qui écrivait alors : "J'attends peu de l'habileté des hommes et beaucoup de la justice de Dieu3. Lorsque l'épreuve devient trop amère, un regard sur le Vatican ranime le courage et fortifie l'espé- rance. C'est à l'école de l'auguste captif qu'on acquiert l'esprit de fermeté, de résignation et cette paix est assurée à quiconque prendra sa conscience pour guide et Pie IX pour modèle». En effet, le Comte de Chambord avait envoyé à Rome son ami M. de Vanssay, avec des instructions relatives à cette affaire. Mgr Pie le savait-il, et fut-ce un des motifs qui lui conseillèrent alors le voyage de la Ville sainte ? Rien ne nous le fait penser. Nous voyons seulement qu'il était impatient d'aller rendre ses devoirs au Pape, et au Pape prisonnier. Ainsi qu'il le rappelait ensuite, il s'était dit, comme Moïse en présence du buisson ardent : "J'irai et je verrai cette grande apparition : Vadam et videbo visionem hanc magnam. Cette parole, se demandait-il, ne convenait-elle pas au spectacle du Vatican investi des torches incendiaires de ses ennemis ? Et n'y voyait-on pas le représentant de Jésus-Christ, comme autrefois le Seigneur sur le mont Horeb, siégeant majestueusement et rendant ses oracles, au centre du buisson qui brûle et ne se consume pas ? Eh bien ! voilà le prodige qu'il faut, quand on le peut, aller voir de ses yeux : Vadam et videbo visionem hanc magnam, quare non comburatur rubus». Le 7 février, Mgr Pie déposa uploads/Religion/ mgr-baunard-cal-pie-constitution-royaute-chretienne.pdf
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- Publié le Mai 02, 2022
- Catégorie Religion
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