NOTES SUR L’ISLÂM MAGHRIBIN MARABOUTS PAR EDMOND DOUTTÉ Extrait de la Revue de
NOTES SUR L’ISLÂM MAGHRIBIN MARABOUTS PAR EDMOND DOUTTÉ Extrait de la Revue de 1’Histoire des Religion Tomes XL et XLI PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1900 À MON MAÎTRE ET AMI M. AUGUSTE MOULIÉRAS SON ÉLÈVE AFFECTUEUX, E. DOUTTÉ Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. NOTES SUR L’ISLAM MAGHRIBIN(1) LES MARABOUTS S’il est une idée bien ancrée dans le public, c’est que le ca- ractère le plus saillant du mahométisme est sa simplicité. C’est, dit-on, un grand monothéisme, absolu, très froid, très sec et où rien ne relie la créature au Créateur. On va répétant qu’il suf- fi t de prononcer la formule bien connue de la chehâda, d’affi r- mer que Dieu est unique et que Mahomet est son Prophète, pour ____________________ (1) Notre dessein primitif était d’étudier dans ce travail les principaux faits intéressants pour la religion musulmane qui ont été consignés dans les ouvrages les plus récents et les plus autorisés sur le Maroc, en particulier ceux de MM. Mouliéras, de La Martinière et Lacroix, et de Foucauld. Mais nous avons été amené au cours de notre rédaction à présenter comme termes de comparai- son de nombreux faits puisés dans les notes que nous amassons à ce sujet, en sorte que nous avons da restreindre notre cadre, pour éviter que ce mémoire ne s’étendit plus qu’il ne convenait. Cela explique pourquoi nos exemples sont le plus souvent pris au Maroc : cette partie de l’Afrique Mineure a d’ailleurs pour nous le grand intérêt de représenter à l’époque actuelle un état de choses analo- gue à celui de l’Algérie-Tunisie avant que notre intervention eût produit dans ce pays toute une série de perturbations sociales. — Ce travail n’a pas la prétention d’être aussi complet qu’il serait désirable et nous avouons ne pas être encore en état de donner des conclusions générales. Il nous reste encore beaucoup à, demander aux sources écrites, aux sources arabes en particulier et surtout à l’ob- servation et à l’information orale. — Dans nos références, nous avons essayé d’indiquer quelle est à nos yeux la valeur des témoignages que nous invoquons au point de vue de l’histoire religieuse seulement : ces notes ne peuvent donc pas être considérées comme des critiques des ouvrages cités. — Nous n’avons pas indiqué de références aux innombrables ouvrages relatifs à l’orient musulman : nous avons circonscrit notre étude au Maghrib. Une exception a été faite pour le travail de M. Goldziher sur le Culte des Saints. — Quant à la transcription des mots arabes, nous nous sommes généralement rapproché le plus possible de la prononciation usuelle dans les dialectes du Maghrib. 2 REVUE DE L’HISTOIRE DES RELIGIONS être musulman. On fait ainsi bon marché des innombrables dis- cussions dogmatiques qui ont déchiré l’Islâm en sectes multiples, du chaos des mille et mille traditions attribuées au Prophète, des obligations pénibles et fastidieuses qui sont imposées au croyant : lorsqu’on réfl échit à tout cela, loin de penser que la simplicité du mahométisme a été la raison de sa rapide expansion, on s’étonne qu’il se soit étendu si aisément et on s’explique la longue résis- tance de ces Berbères de l’Afrique du Nord qui, suivant un pas- sage fameux d’Ibn Khaldoûn(1), apostasièrent jusqu’à douze fois, tellement la législation musulmane leur paraissait pénible à sup- porter(2). Quoi qu’il en soit, l’opinion qui veut faire de l’Islâm une religion très simple est universellement répandue elle a été sou- tenue par d’éminents écrivains(3) et elle dispense d’ailleurs d’une étude plus approfondie. Une des choses qui étonnent ordinairement le plus les par- tisans de cette opinion, c’est l’immense développement qu’a pris le culte des saints dans l’islamisme(4), rien ne semblant au premier abord plus éloigné du monothéisme que le culte rendu aux hommes qui se sont signalés par leur piété. On ajoute que la richesse spécu- lative du dogme catholique et surtout cette sorte de gnose restreinte qui est la Trinité et qui rapproche l’homme de son Dieu, ont pu fa- voriser l’extension du culte des saints et on n’est point choqué par’ la boutade de Voltaire, lorsqu’à Ferney il faisait visiter à ses hôtes ____________________ (1) Ibn Khaldoûn, Hist. des Berbères, trad. de Slane, 1, 28. (2) Goldziher, Materialien zur Kenntniss der Almohadenbewegung, Z. D. M. G., LI, 1887, p. 39 (travail de haute importance pour l’histoire de moyen- âge africain). — Cependant, on exagérerait en attribuant à cette seule raison les apostasies des Berbères. Celles-ci étaient surtout des protestations pour ainsi dire nationales contre l’envahisseur musulman; elles étaient l’expression religieuse de la révolte. (3) Par Renan entre autres. (4) Le travail capital sur le culte des saints dans l’Islâm est celui de M. Goldziher, Die Heiligenverehrung im Islam in Muh. Stud., 2. Th ., Halle, 1890, p. 275-378. C’est un remaniement complet et très augmenté de l’article qu’il publia jadis ici-même. Voy. Rev. Hist. Rel., 1ère ann., t. II, 1880, p. 256-351. NOTES SUR L’ISLAM MAGHRIBIN 3 la seule église qui fût consacrée à Dieu ; mais on s’étonne de voir le même phénomène se produire dans le mahométisme. On ne réfl échit pas suffi samment, semble-t-il, que, même en concédant que l’Islam soit excessivement simple, c’est justement le manque de lien entre Allâh et le Croyant qui aurait été cause que le peuple a cherché des intermédiaires, et qu’il en est venu à cacher sous la doctrine de l’intercession établie par les docteurs, une véritable anthropolâtrie. Pour mieux dire, il n’a pas cessé d’être anthropolâtre : M. Goldziher a exposé avec une grande clarté et une grande force quel abîme, dans la doctrine du primitif Islam, et même dans celle de l’Islam actuel, séparait l’homme de son Maître Tout-Puissant(1), mais il a montré aussi qu’à l’origine de cette reli- gion, les tendances anthropolâtriques étaient si accentuées chez ses adeptes que les contemporains mêmes de Mahomet ne pouvaient se résoudre à le prendre pour un homme comme les autres(2), mal- gré les nombreuses affi rmations de la révélation en sens contraire. On trouve dans les travaux de cet érudit les plus intéres- sants détails sur les rapports du culte des saints avec l’orthodoxie islamique(3) ; il ne nous siérait pas d’élever la voix après un tel maître, sur des questions aussi délicates. Aussi bien n’avons-nous présentement pour but que de donner, en nous restreignant à l’Is- lâm maghribin, quelques indications sur les objets de ce culte an- thropolâtrique, c’est-à-dire sur les marabouts. Disons seulement que l’orthodoxie dut plier et admettre comme dogme le culte des saints ; elle l’étaya tant bien que mal sur la doctrine de l’interces- sion, mais toujours elle fut débordée par lui. Ce ne fut pas sans une longue lutte, qui a duré jusqu’à nos jours, que ce culte put prendre place dans le dogme(4) ; il eut des détracteurs acharnés et on vit des ____________________ (1) Goldziher, l. c., p. 279 seq. (2) Id., l. c., p. 282. (3) Id., 1. c., p. 388 seq. (4) Cf. Schreiner, Beitrage zur Geschichte der theologischen Bewegungen im- 4 REVUE DE L’HISTOIRE DES RELIGIONS personnages qui craignaient tant de comparer un homme à Dieu, qui poussaient si loin l’horreur du chirk(1) qu’ils ne se résol- vaient qu’avec peine à prononcer la chehâda, parce que le nom du Prophète y était assemblé avec celui d’Allah. C’est ainsi qu’un certain Samnoûn, mystique du Ve siècle, remplissant l’offi ce de muezzin, arrivé au passage où il devait témoigner qu’ « il n’y a de divinité qu’Allah et que Mohammed est son Prophète », ajouta : « O Dieu, si tu n’avais toi-même prescrit la récitation de ces pa- roles, je n’aurais jamais, dans un même souffl e, associé le nom du Prophète au tien(2). » Harris, dans son récent voyage au Tafi lelt, rapporte qu’ayant fait route avec un affi lié de la confrérie des Der- qâwa, celui-ci lui raconta que le but de la confrérie était, comme toujours, de ramener l’Islâm à sa pureté primitive et que Sidi-l’Ar- bi-d-Dergâwi(3) était si pénétré de l’Unité de Dieu, qu’il recom- ____________________ Islâm ; c) Ibn Tejmîja über Volksbräuche nichtmuslimischen Ursprungs und über den Heiligenkultus in Z.D.M. G., LIII. Bd, I. Heft, 1899; p. 51 seq. et 78 seq. — Les travaux de M. Schreiner sur l’Islâm sont extrêmement instructifs; ils portent la marque d’une érudition étendue. (1) C’est l’action de donner des associés à Dieu, comme font les chrétiens dans le dogme de la Trinité, au dire des musulmans. C’est pourquoi ils nous appellent mouchrikoûna, c’est-à-dire ceux qui associent. (2) Al-Biqâ’i, ap. Goldziher, op. laud., p. 280. (3) « Aboû ‘Abdallâh Moh’ammed el-’Arbî ben Ah’med ed-Derqâwî, fondateur de l’ordre des Derqâwa, mourut dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 septembre 1823 et fut enterré à Boû-Brîh’, pays de Ghomâra (en réalité uploads/Religion/ notes-sur-l-islam-maghribin-marabouts-pdf.pdf
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- Publié le Jul 13, 2021
- Catégorie Religion
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