Jean Lafrance La prière du coeur 1 LA PRIÈRE DU CŒUR de Jean Lafrance, prêtre (

Jean Lafrance La prière du coeur 1 LA PRIÈRE DU CŒUR de Jean Lafrance, prêtre (1931-1991) AVANT-PROPOS En ouvrant ces pages, je voudrais poser au lecteur une question : « Avez-vous déjà surpris votre cœur en flagrant délit de prière? ». C’est une expérience bien concrète que j’évoque ici. Tous, nous l’avons déjà faite une fois ou l’autre dans notre vie, soit en rencontrant un véritable homme de prière, soit en lisant un livre qui nous plonge d’emblée dans le mystère de la relation de l'homme avec Dieu. Les écrits de Silouane ont sur moi cet effet, je ne puis les lire sans être immédiatement saisi par la prière, qui ne me quitte plus. Une mère de famille m’avouait un jour qu’elle était saisie par des « bouffées de prière » au beau milieu de ses occupations ménagères, alors que son oraison était sèche et ardue. Lorsque nous faisons cette expérience, la parole qui monte soudain à notre conscience est celle des pèlerins d’Emmaüs : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous quand il nous expliquait les Écritures? (Lc 24, 32). Qu’est-ce qui se passe alors? Aucune psychologie humaine ne peut le dire. Il y a des moments dans notre vie où nous pressentons le Royaume des cieux, où la porte secrète de notre cœur s’ouvre pour laisser jaillir la prière. Imaginez un homme qui aurait vécu une expérience d’amitié jusqu’à vingt ans, qui n’a jamais revu son ami et qui, l’espace d’une seconde, voit surgir le visage de son ami - quelque chose de très fugitif, de très secret, mais de très fort quand même. C’est l’expérience de celui qui s’approche de la mer : l’air n’est plus le même, il est tout chargé d’iode. C'est le vent du ciel, le souffle du Saint-Esprit. Tous, nous l’avons senti passer un jour : il n'y a que cela qui puisse nous attirer vers Dieu et nous donner le goût et le désir de prier. On n'entre pas dans la vie de prière parce qu’on est convaincu que c'est plus parfait, mais parce qu’on ne peut pas faire autrement. Imaginez saint Paul après l’expérience du chemin de Damas. Le problème pour lui n’était plus de savoir comment trouver Dieu, mais comment le supporter au jour de sa visite : non plus de chercher, mais de se laisser chercher et trouver par lui. Il a compris alors que ses désirs étaient ridicules en face de la réalité du visage du Ressuscité. Un cœur de prière. Cela vient du fond de la vie trinitaire enfouie dans notre cœur. Par moments, une « bouffée » de cette vie égarée dans le fond de l’être vient jusqu’à la conscience et nous en donne le goût, l’attrait, l’amour. Pour parler de la prière, il faut parler d’abord de la vie trinitaire égarée dans le cœur de l’homme. Et ce qui complique l’épanouissement de cette vie et enraie la machine, c'est qu’elle gémit en nous dans un cœur de pierre. Si nous ne parvenons pas à bien prier, ce n’est pas à cause du manque de temps ou des distractions, mais à cause de notre cœur de pierre, prisonnier d’un corps de mort (Rm 7, 24). Jean Lafrance La prière du coeur 2 La prière dont nous voulons parler tout au long de ce livre est à peu près l’équivalent de ce que les Pères d’Orient ont appelé la « Prière du cœur », c’est- à-dire de la prière qui cherche sa source et ses racines au fond même de notre être, au-delà de notre esprit, de notre volonté, des affections et même des techniques de prière. Par la prière du cœur, nous cherchons Dieu lui-même ou les énergies de l’Esprit dans les profondeurs de notre être, et nous le rencontrons en invoquant le nom de Jésus dans la foi et l'amour. Le nom de Jésus est comme un « trait », une flèche qui perce notre cœur et libère la Gloire du Ressuscité, enfouie en nous depuis le baptême. Quand nous parlons d’une rencontre de Dieu, il faut bien comprendre les termes de l’expérience mystique. En effet, l'homme ne peut pas participer à l’essence de Dieu (dans ce cas, il serait Dieu), mais il peut entrer dans la communion la plus réelle avec les opérations et les énergies de Dieu : « La communion n'est ni substantielle (le cas du panthéisme), ni hypostatique (seul cas du Christ), mais énergétique, et dans ses énergies-opérations, Dieu est totalement présent » (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu, Seuil 1973, p. 48). Lorsque nous disons que l'homme doit découvrir la prière du cœur ou, ce qui revient au même, « entendre battre » son cœur de prière, nous pensons aux énergies de l’Esprit qui habitent son cœur (Rm 8, 9-11) pour le transfigurer. Le corps lui-même participe à cette transfiguration au point qu’il est repétri, transformé et sanctifié par la puissance de l’Esprit. Être né de Dieu, c'est avoir été comme repris et repétri dans le sein même de la Trinité; c'est être comme revenu au monde, après avoir pris un bain dans une eau profonde et lumineuse, celle de la vérité du Dieu-Amour (1 Jn 3-4). C'est au fond prendre au sérieux la grande affirmation paulinienne : Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous? … Glorifiez donc Dieu dans votre corps (1 Co 6, 19-20). Alors la prière se désintellectualise, s’identifie à l'être physique et adhère au rythme même de la respiration. Ceci peut paraître étrange à des Occidentaux. À cause de notre esprit cartésien, nous avons toujours tendance à penser le Saint-Esprit comme l'Esprit qui aurait une sorte de connaturalité avec la réalité de l’intelligence en l'homme, alors qu’en fait l'Esprit-Saint, comme Dieu, transcende radicalement aussi bien l’intelligence de l'homme que sa nature corporelle, et peut sanctifier et transformer réellement aussi bien le corps de l’homme que son âme. C'est ainsi - et cela nous paraît curieux et étrange - qu’un grand spirituel égyptien du VIe siècle, saint Barsanuphe, était dans un tel état de transparence à la présence de Dieu qu’il ne pouvait presque pas supporter une présence humaine. Il était tellement poreux à l’invisible, tout en étant tout à fait vulnérable, qu’il pouvait comprendre très profondément tous ceux qui venaient à lui et leur répondre d'une manière tout à fait appropriée. Il vivait reclus, il était un père spirituel et avait le discernement des esprits. L’Orient a appelé ces hommes des pères théophores ou pneumatophores. Ces hommes avaient trouvé la prière du cœur et réalisaient à la lettre le conseil de Paul : Priez sans cesse. Rendez grâce en toutes choses (1 Th 5, 17-18). Jean Lafrance La prière du coeur 3 Une des plus grandes grâces qu’un homme puisse obtenir en ce monde est de découvrir que, dans l’unique désir du Christ, il peut vivre à l’aise partout et découvrir Dieu en toutes circonstances. C'est dans cette ligne qu'il faut prier les versets 4 à 9 du chapitre 4 des Philippiens qui constituent la « teinture de base » de ce livre. Nous n’en sommes pas là, car nous n’avons pas encore découvert la prière du cœur. Nous avons peur d’aller jusqu'à cette simplicité, parce que nous voulons que notre prière entre dans un cadre bien organisé. Il faut longtemps pour parvenir à cette simplicité dans la prière et ne venir à nous oublier nous-mêmes pour choisir ce qui convient à notre prière. Est-ce que cela m’aide à trouver Dieu? C'est la seule question à me poser. L’unité viendra du cœur qui ne savoure pas ses joies et ne s’arrête pas à ses tristesses, mais trouve Dieu en toutes choses dans un mouvement d’abandon. Trop souvent, nous cherchons à réaliser la prière en dehors de nous et nous essayons de la créer à partir des mots, des idées, ou nous la cherchons au- dessus ou autour de nous, dans les « gros bouquins » qui décrivent des techniques de prière. Tant que nous essaierons de produire la prière à partir de l’extérieur, nous ne parviendrons jamais à prier en vérité et toujours. Tout homme doit un jour découvrir qu'il porte en lui un « cœur de prière », comme le dit si bien André Louf à propos d’un moine « que la prière a tout bonnement saisi et qui l’occupe continuellement. « Aujourd’hui, dit-il, j’ai l’impression que, depuis des années, je portais la prière dans mon cœur, mais je ne le savais pas. Elle était comme une source qu’une pierre recouvrait. À un moment donné, Jésus a ôté la pierre. Alors la source s’est mise à couler et depuis elle coule toujours » (André Louf, Seigneur, apprends-nous à prier, Éd. Foyer Notre-Dame, Bruxelles 1973, p. 31). Il faut donc découvrir l’être caché au fond du cœur, selon la belle expression de saint Pierre (1 P 3, 4) parlant de la situation de l’homme nouveau. Saint Bruno parlera du « cœur profond ». Nous avons dit plus haut que l’homme portait, enfouie au fond de son cœur, uploads/Religion/ priere-coeur.pdf

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  • Publié le Sep 30, 2021
  • Catégorie Religion
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