LE MYTHE DE VÉNUS PAR M. H. HIGNARD De toutes les divinités de l’Olympe antique

LE MYTHE DE VÉNUS PAR M. H. HIGNARD De toutes les divinités de l’Olympe antique, une surtout reste encore vivante parmi nous, en plein monde chrétien, par la poésie et par les arts ; c’est Vénus. Mère des Amours, déesse des plaisirs, type de la beauté féminine, à ces divers titres la poésie érotique lui a conservé, même parmi ceux auxquels l’antiquité est inconnue, une popularité parfois assez fâcheuse ; et quant aux sculpteurs et aux peintres, Vénus leur fournit un thème si propice pour représenter de belles formes nues, que l’art moderne rivalise avec celui des anciens pour nous la montrer sous toutes les attitudes. Il n’est pas une seule de nos expositions des beaux-arts où nous ne la voyions revenir avec quelque variante de pose ou d’accessoires. Mais parmi ceux qui parlent de Vénus, qui la taillent dans le marbre ou la peignent sur la toile, bien peu la connaissent réellement. Sa beauté et le rôle qu’elle joue entre les deux sexes, tout est là pour le plus grand nombre. Ce qu’était à l’origine cette divinité si universellement invoquée, on ne se le demande guère. Il est du reste difficile de le bien démeler, car toutes les origines sont obscures et souvent impénétrables. Vénus a une histoire longue et compliquée, non seulement à Rome, sa dernière étape, non seulement en Grèce, où elle règne sous un autre nom, celui d’Aphrodite, mais encore en Orient, d’où elle est venue en Grèce. C’est même de l’Orient qu’elle a apporté ce nom d’Aphrodite, qui n’est pas grec, malgré une apparence trompeuse, mais appartient à une racine sémitique. C’est cette histoire que nous voudrions retracer dans les limites de nos connaissances, et en résumant quelques-unes des recherches qui sont l’honneur de notre siècle dans le domaine de la mythologie. L’origine orientale de Vénus a paru une excuse suffisante pour justifier l’insertion de ce travail dans une publication spécialement consacrée aux langues, aux idées et aux choses de l’Orient. I C’est par la littérature de Rome que Vénus a été d’abord connue des modernes, et cependant on ne l’y voit guère paraître qu’assez tard. Même dans le culte des Romains cette déesse semble n’occuper qu’une place très restreinte pendant les six premiers siècles de la République. Mais vers le temps de Sylla elle prend tout à coup une grande importance. Les poètes sont pleins de son nom, et les hommages du culte officiel lui donnent un rang à part entre toutes les autres divinités Sous le nom de Victorieuse (Venus Victrix) le peuple romain l’adopte pour sa protectrice ; il lui lait honneur de ses victoires. Pompée lui élève un temple au sommet du théâtre qui doit éterniser le souvenir de ses succès militaires. En même temps, consacrant une antique tradition qu’on trouve déjà dans Ennius, les Romains l’honorent sous le nom de Vénus Mère (Genitrix) comme la mère des descendants d’Énée avec lesquels ils se plaisent à se confondre. C’est dès lors l’Æneadum Genitrix que chante Lucrèce. Au temps de César cette fiction se développe et prend une importance poIitique. César rattache hardiment la généalogie de sa famille, la gens Julia, au légendaire Iulus, fondateur d’Albela -Longue, fils d’Énée et petit- fils de Vénus. Il voit non sans raison, dans cette origine divine, un ressort pour agir sur les imaginations et les pré parer à sa domination future. Auguste, en qualité de fils adoptif de César, prend à son profit cette généalogie céleste, et s’en fait un moyen de règne. Dès lors le branle est donné ; tous les poètes, à la suite de Virgile, chantent la divine mère du prince ; tous les empereurs, même après l’extinction de la famille d’Auguste, gardent le bénéfice de cette brillante fiction. Vénus devient la divinité nationale de Rome ; sa statue se dresse en divers lieux avec celle de Rome elle-même personnifiée et divinisée, comme dans le temple que leur élève l’empereur Hadrien près de l’arc de triomphe de Titus. Mais, à coté de cette Vénus officielle et majestueuse de la politique, les poètes latins et les peintures de Pompéi nous en montrent une autre beaucoup moins imposante, qui parfois com[)r(imi’t nu peu la patruiine du peu[ili.’ ninuiin et l’aïeule de la dynastie ; c’est la Vénus dos auiouroux, iiroti’ctrice des plaisirs et des doux larcins, mèri ! des désirs. Mater sœva cupidinum, et patronne, hélas ! des courtisanes. On peut croire qui’ le culte (1(_^ cette dernière, bien que moins solennel, n’était pas moins répandu. C’est celle que les modernes connaissent le plus. Mais il importi’ de noter qui ni l’une ni l’autre di’ ces deux Vénus n’avaient un droit réel à porter ce nom ; ni l’une ni l’autre n’étaient la véritable Vénus ; l’une et l’autre étaient des Aphrodites et venaient de la Grèce. La Vénus véritable, celle à laquelle ce nom appartenait en propre, était une ancienne divinité des peuples latins qui paraît avoir été surtout une déesse des jardins. C’étaient les jardiniers qui célébraient ses fêtes. Elle est restée telle jusqu’au jour où les Romains, par leurs relations avec la Grande-Grèce et la Sicile, se sont trouvés en présence de l’Aphrodite adorée par la race hellénique, et de la déesse à laquelle les Phéniciens avaient élevé, sur le mont Eryx, un sanctuaire célèbre. Comment la divinité grecque et phénicienne (nous verrons plus loin que c’est la même) s’est -elle confondue avec la Vénus lutine, lui donnant ses traits caractéristiques et sa légende, mais lui prenant son nom, c’est un des faits les plus curieux que nous présente l’histoire des religions antiques ; fait qui, du reste, n’est pas isolé, car c’est ainsi que l’Athéné grecque a pris le nom de la Minerve latine en lui donnant tous ses attributs, l’t que l’Héphtestos grec s’est substitué, sauf le nom, au Vulcain latin. En ce qui concerne Vénus, ce fait serait inintelligible si l’on ne connaissait d’abord à un degré suffisant l’Aphrodite grecque et phénicienne. Nous en reuiettuns l’explication au moment où, redescendant le cours des âges, nous reviendrons de Grèce en Italie. Alors seulement nous pourrons montrer avec quelque vraisemblance comment la divinité orientale et grecque s’est identifiée peu à peu avec l’antique protectrice des jardins du Latium ; comment, sauf quelques modifications exigées par le caractère et la politique des Romains, Aphrodite est devenue Vénus. II De même qu’il y a deux Vénus à Rome, eu Grèce il y a deux Aphrodites. Leur différence se montre dans les plus anciens monuments de la tradition et de la poésie, dans les poèmes d’Homère et d’Hésiode. Dans les uns comme dans les autres, il est vrai, les trois noms de la déesse, Aphrodite, Cypris, Cythérée, sont les mêmes (les deux derniers sont des surnoms dont nous verrons bientôt l’explication). Pour Homère comme pour Hésiode, elle est la déesse des amours. C’est elle qui a donné Hélène à Paris, et qui les réconcilie conjugalement quand ils se querellent, comme à la fin du chaut III de l’Iliade. Elle prête à Héra sa ceinture toute-puissante quand celle-ci veut séduire son époux Zeus. S Odyssée mms la uioutre même pratiquant Fainour libre et très libre dans ce récit de Démodocus qui est un vrai fabliau. Pour les deux poètes, Aphrodite est la représentation de la beauté, c’est la grande séductrice « qui charme le cœur des hommes et des dieux. » Mais Aphrodite n’a point chez le poète de l’Iliade la même origine que chez celui de la Théogonie. C’est là une différence capitale, caractéristique, qui trahit deux mythes tout à fait distincts, bien qu’ils soient déjà mêlés en partie dès les temps homériques. Dans l’Iliade Aphrodite est fille de Zeus et de Dioné, la grande déesse de Dodone ; dans la Théogonie elle est née de l’écume des flots à la suite de la mutilation d’Ouranos par Kronos. On peut en induire que nous voyons dans Homère le vrai mythe grec, le mythe indigène, et dans Hésiode nue importation étrangère dont il n’est pas difficile de démêler la source. Etudions d’abord l’Aphrodite grecque, la fille de Dioné. Cette Dioné, comme divinité distincte d’Aphrodite, a été plus tard mise eu oubli, par suite de la prédominance qu’avait prise le mythe hésiodique. La déesse née de l’écume des rints ne pouvait plus avoir de mère. Dès lors le nom de la mère devint un des surnoms de la fille. Aphrodite est déjà nommée Dioné chez les Alexandrins, chez Théocrite notamment. Virgile, Ovide, Stace, lui donnent aussi ce nom. Mais à l’origine, pour la Grèce primitive, l’une est la mère, l’autre la fille. Dioné a été longtemps la divinité principale d’une grande partie de la Grèce, particulièrement de l’Épire. Si nous examinons philologiquement son nom, il nous est aisé d’y reconnaître une forme féminine de Bios ou Zeus, le Dieu suprême, identique au Deits des Latins. Dioné était adorée à Dodone conjointement avec Zeus son époux, formant avec lui le couple sacré qu’on trouve dans toutes les religions primitives. Il est permis de l’identifier avec la Junon latine ; c’est la même fonction mythique et le uploads/Religion/ le-mythe-de-venus-par-m-h-hignard.pdf

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  • Publié le Jui 15, 2021
  • Catégorie Religion
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